L'UE déclare la guerre commerciale aux voitures électriques chinoises, le monde réagit

L'annonce récente de la Commission européenne d'imposer des droits provisoires pouvant atteindre 38,1% sur les importations de véhicules électriques chinois a suscité de nombreuses réactions à travers le monde. Cette décision est motivée par les conclusions préliminaires de l'enquête de la Commission selon lesquelles la chaîne de valeur des véhicules électriques en Chine bénéficie de subventions déloyales, ce qui pose une menace économique pour les producteurs européens de véhicules électriques.

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L’usine Renault de Tanger. Crédit: MAP

Mardi 12 juin, la Commission européenne a annoncé les résultats provisoires de son enquête, initiée en octobre 2023, sur les importations de véhicules électriques à batterie (BEV) en provenance de Chine. L’enquête a révélé que la chaîne de valeur des BEV en Chine bénéficiait de subventions injustes, entraînant une distorsion du marché au détriment des producteurs européens. En conséquence, la Commission a décidé d’imposer des droits compensatoires provisoires afin de rétablir des conditions de concurrence équitables.

Les droits provisoires proposés varient en fonction des fabricants chinois, avec des taux allant de 17,4% pour BYD à 38,1% pour SAIC. Les autres producteurs chinois qui ont coopéré à l’enquête se verront appliquer un taux moyen pondéré de 21%, tandis que ceux qui n’ont pas coopéré seront soumis au taux maximal de 38,1%​​.

La Commission européenne a également communiqué que ces droits pourraient être ajustés en fonction des retours des entreprises concernées et des négociations en cours avec les autorités chinoises​​.

Des réactions divergentes

Les principaux constructeurs automobiles européens ont exprimé leurs préoccupations quant à ces nouvelles mesures. Volkswagen a critiqué les droits compensatoires, soulignant que cette décision pourrait aggraver la demande déjà faible pour les véhicules électriques en Allemagne et en Europe. “Les effets négatifs de cette décision l’emportent sur les éventuels bénéfices pour l’industrie automobile européenne et surtout allemande”, a déclaré la société à travers son porte-parole.

Stellantis, tout en réaffirmant son engagement envers la concurrence libre et équitable, a indiqué qu’elle avait anticipé ce développement potentiel dans sa stratégie globale et que cela ne perturberait pas ses plans avec Leapmotor en Europe.

Ola Kaellenius, PDG de Mercedes-Benz, a insisté sur l’importance de réduire les barrières commerciales pour un pays exportateur comme l’Allemagne, exprimant ainsi des réserves similaires sur l’impact de ces mesures sur le commerce mondial. “En tant que nation exportatrice, ce dont nous n’avons pas besoin, ce sont des barrières commerciales croissantes. Nous devrions travailler à démanteler les barrières commerciales dans l’esprit de l’Organisation mondiale du commerce”, a-t-il affirmé.

Le gouvernement chinois, en la personne du porte-parole du ministère des Affaires étrangères Lin Jian, n’a pas tardé à réagir, qualifiant l’enquête de la Commission européenne de “cas typique de protectionnisme”. Selon lui, cette décision “viole les principes de l’économie de marché et des règles du commerce international, et endommage la coopération économique et commerciale entre la Chine et l’UE ainsi que la stabilité de la production et de la chaîne d’approvisionnement automobile mondiale”, avertissant qu’elle finira par “nuire aux intérêts de l’Europe elle-même”. Et d’ajouter : “Nous exhortons l’UE à respecter son engagement à soutenir le libre-échange et à s’opposer au protectionnisme. La Chine prendra toutes les mesures nécessaires pour protéger fermement ses droits et intérêts légitimes”.

“La Commission européenne brandit d’une main la haute bannière du développement vert et de l’autre le bâton du ‘protectionnisme’, politisant et instrumentalisant les questions économiques et commerciales”

Lin Jian, porte-parole du MAE chinois

Faisant allusion à la taxe carbone à l’entrée imposée par l’UE qui concerne les entreprises qui importent dans l’UE “des marchandises à forte intensité carbone”, Jian a affirmé que cette décision nuit aux “efforts du bloc pour atteindre la neutralité climatique d’ici 2050”.

“La Commission européenne brandit d’une main la haute bannière du développement vert et de l’autre le bâton du ‘protectionnisme’, politisant et instrumentalisant les questions économiques et commerciales”, a déclaré le porte-parole.

Du côté européen, Teresa Ribera, ministre espagnole de l’énergie a déclaré que “l’industrie automobile européenne est une industrie extrêmement importante qui doit rattraper son retard en termes de transformation des modèles, de propositions de mobilité et de transition vers les voitures électriques”, ajoutant que “si cette violation des règles commerciales internationales s’est produite, nous devons soutenir la proposition de la Commission”.

Les analystes partagent des points de vue nuancés sur les implications de ces droits. Frank Schwope, expert de l’industrie automobile à l’Université des Sciences Appliquées FHM Hanovre, a décrit ces mesures comme potentiellement désastreuses pour les acheteurs de voitures européennes et les fabricants allemands, tout en notant que les fabricants français pourraient en bénéficier.

Will Roberts, chef de la recherche automobile chez Rho Motion, a suggéré que les fabricants chinois pourraient absorber ces nouveaux tarifs dans leurs marges bénéficiaires. Cependant, il a mis en garde contre une possible rétorsion de Pékin, ce qui pourrait ralentir la transition des fabricants européens vers l’électrification.

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Déjà, le mois dernier, Neil Winton, ancien correspondant automobile européen pour Reuters, décriait, dans les colonnes de Forbes, les conséquences d’une décision pareille : “Si l’action de l’UE est sévère, les conséquences pourraient être inattendues, car cela pourrait provoquer des représailles de la part de la Chine à court terme et inciter ses fabricants à installer davantage d’usines en Europe à long terme, ce qui pourrait rapidement mettre sous pression les usines locales beaucoup moins efficaces”.

Il est également à rappeler qu’en décembre 2023, le suédois-suisse ABB Group et le chinois Gotion High-Tech ont signé un mémorandum d’entente pour construire, au Maroc, une usine de production de lithium-ion à grande échelle afin de répondre aux besoins des industries de véhicules électriques des États-Unis et de l’Europe.

Plus tôt durant la même année, le Maroc et Gotion High-Tech ont conclu un accord pour établir un complexe de fabrication de batteries pour véhicules électriques d’une valeur de 6,4 milliards de dollars, en faisant la première usine de batteries substantielle en Afrique.

Le mois dernier, moins de deux mois après la signature d’une convention d’investissement de 3 milliards de dirhams pour l’implantation de l’usine de cathodes de BTR New Material à la Cité Mohammed VI Tanger Tech, deux nouveaux investisseurs ont rejoint le pôle industriel : Hailiang Group, grand producteur de pièces automobiles en cuivre, et Shinzoom, spécialisé dans la production d’anodes pour batteries au lithium.

Le Maroc semble donc être une destination de choix pour augmenter la production de l’industrie et répondre aux besoins des constructeurs et, éventuellement, pour contourner les droits provisoires nouvellement imposés par l’UE.

Jusqu’à présent, l’UE n’avait jamais imposé de telles mesures pour une industrie aussi cruciale.