Au Maroc, une grotte révèle le régime très végétal des derniers chasseurs-cueilleurs d’Afrique du Nord

Au menu : glands de chêne cuits, céréales sauvages et pas trop de viande. Il y a 15.000 ans déjà, les chasseurs-cueilleurs d’Afrique du Nord étaient passés à une alimentation très végétale, plusieurs milliers d’années avant l’avènement de l’agriculture, selon une étude parue lundi.

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La grotte de Bizmoune se trouve à une vingtaine de kilomètres au nord-est d’Essaouira, perchée à près de 300 mètres d’altitude. Crédit: YASSINE TOUMI

Cette découverte aide à comprendre comment les groupes humains du Paléolithique ont basculé vers l’agropastoralisme, pendant une longue période de transition encore mal connue.

Elle montre que “les nouveaux modes de vie apparus au Néolithique sont davantage le fruit d’une filiation que d’une rupture”, dit à l’AFP Abdeljalil Bouzouggar, directeur de l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (Insap) à Rabat, co-auteur des travaux.

Il est généralement admis que les chasseurs-cueilleurs ont consommé de grosses quantités de viande jusqu’à l’avènement de l’agriculture, et que ça n’est qu’à cette période qu’ils ont commencé à exploiter les ressources végétales”, explique Zineb Moubtahij, autrice principale de l’étude publiée dans Nature Ecology & Evolution.

“L’un des plus anciens cimetières d’Afrique”

Mais l’analyse de sépultures préhistoriques au Maroc suggère un tout autre scénario pour des chasseurs-cueilleurs de la culture dite ibéromaurusienne, qui s’est développée dans l’actuel Maghreb entre 25.000 et 10.000 ans avant le présent.

Entre il y a -15.000 et -13.000 ans, l’une de ces communautés a occupé la grotte des Pigeons à Taforalt, dans le nord-est marocain. “L’un des plus anciens cimetières d’Afrique”, précise Zineb Moubtahij, doctorante en archéologie au CNRS, qui a mené ses recherches à l’Institut Max Planck en Allemagne.

Abdeljalil Bouzouggar, professeur d’archéologie préhistorique à l’INSAP.Crédit: Yassine Toumi / TelQuel

Démarrées à la fin des années 1940, les fouilles de ce site de plusieurs niveaux archéologiques ont mis au jour “des parures en coquillages vieilles de 82.000 ans, l’un des plus anciens crânes trépanés, le plus ancien ADN fossile d’Afrique…”, énumère Abdeljalil Bouzouggar.

Et une sépulture contenant des restes humains, directement datés entre 15.077 et 13.892 ans avant le présent. En 2014, l’étude de leurs dents révèle des traces de caries. “Une pathologie qui se développe avec une alimentation riche en carbohydrates (contenus dans certains végétaux, ndlr), caractéristique des populations du Néolithique”, souligne le professeur de Préhistoire.

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La trouvaille éveille donc les soupçons des scientifiques car elle suppose un mode de vie similaire à celui des groupes sédentaires agropastoraux, dont les premières traces en Afrique du Nord sont apparues seulement vers 7600 ans avant le présent.

Pour savoir comment ils se nourrissaient, les chercheurs ont analysé les dents de sept individus avec une nouvelle méthode d’étude d’isotopes dont ceux du zinc, un métal issu de l’alimentation et enregistré dans l’émail dentaire. Cette technique permet “d’estimer la consommation de ressources en viandes et en plantes”, précise Zineb Moubtahij. Ils ont ensuite fait des comparaisons avec des restes de canidés, exclusivement carnivores, retrouvés sur place.

Les résultats ont conclu à une alimentation majoritairement végétale au sein de la communauté. L’analyse des dents et ossements de bébés a en outre révélé un sevrage à base de protéines animales, avant un an, un âge particulièrement précoce pour des chasseurs-cueilleurs.

Leur régime était constitué de fèves, lentilles et avoine sauvages et glands de chêne, dont des restes carbonisés avaient été identifiés dans la grotte — en moindre quantité que les ossements d’animaux, car ils se préservent moins bien. Des ressources végétales qu’ils cueillaient, puis cuisaient. “À la cuisson, les glands deviennent farineux et se collent sur les dents, pouvant provoquer des caries”, relève Zineb Moubtahij.

Autre signe d’un nouveau mode de vie : la présence de traces d’alfa, plante non comestible encore utilisée aujourd’hui pour fabriquer des paniers, suggérant un transport et un stockage des denrées, complète le Pr Bouzouggar. Les scientifiques imaginent une population semi-sédentaire, occupant la grotte des Pigeons la plupart du temps, qui aurait transformé son alimentation pour s’adapter à un changement d’environnement.

L’étude avance l’hypothèse d’un appauvrissement de la faune locale, notamment des mouflons à manchettes alors très exploités, qui aurait poussé à la consommation de végétaux, plus de 7000 ans avant la domestication des plantes et des animaux.

Un changement de régime aussi précoce avait déjà été identifié chez les chasseurs-cueilleurs du Natoufien au Proche-Orient, où le Néolithique a débuté. Une population d’ailleurs génétiquement proche des Ibéromaurusiens.