Qu’ils soient correspondants de médias palestiniens ou étrangers, leur quotidien est peu ou prou celui des 2,4 millions de Gazaouis soumis aux assauts incessants et au blocus de l’armée israélienne, souffrant du manque de tout — vêtements chauds, nourriture, carburant… Qu’importe. “Notre travail consiste à documenter la guerre, à faire savoir au monde ce qui se passe”, clame Hind Khoudary, journaliste gazaouie. Mais chaque jour est “une question de vie ou de mort”, témoigne le photo-journaliste Motaz Azaiza.
64 professionnels des médias palestiniens morts
L’ONG Comité de protection des journalistes chiffre à au moins 64, au 18 décembre, le nombre de professionnels des médias palestiniens — journalistes, photographes, caméramen, techniciens, chauffeurs, etc. — tués dans la bande de Gaza depuis le début de la guerre le 7 octobre.
Quatre journalistes israéliens ont également perdu la vie depuis cette date, dans l’attaque du Hamas contre leur kibboutz, et trois Libanais.
Certains ont péri dans les bombardements, chez eux, avec des membres de leur famille. D’autres, en faisant leur métier : d’après l’ONG Reporters sans frontières (RSF), au moins 17 journalistes ont perdu la vie un stylo à la main, une caméra au poing. Il s’agit du bilan le plus lourd dans un conflit sur une période aussi courte depuis au moins trois décennies, détaille l’ONG.
L’attaque d’une ampleur sans précédent menée le 7 octobre par des commandos du Hamas en Israël a fait 1139 morts, selon des données officielles. La guerre aussitôt déclarée par Israël au Hamas à Gaza a fait plus de 19.453 morts, selon le dernier bilan du ministère de la Santé du territoire.
Tous les journalistes interrogés — dont ceux de l’AFP — ont enterré un proche
Comme 1,9 million de Gazaouis, Hind Khoudary a dû fuir. Avec l’intensification des combats au sol, elle s’est résignée à abandonner sa maison et son bureau. “Un morceau de mon cœur”, qu’elle est persuadée de ne plus jamais revoir. Entre son premier départ vers l’hôpital al-Shifa, le plus grand de Gaza, puis son “éprouvante” marche en direction du sud, vers Rafah, près de la frontière fermée avec l’Égypte, elle n’a cessé de documenter “les horreurs” de la guerre sur les réseaux sociaux.
Casque et gilet pare-balles siglé “presse”, le photo-journaliste Motaz Azaiza est un autre visage du quotidien des Gazaouis pris au piège de la guerre. Suivi par plus 17 millions d’abonnés, il capture à travers ses photos et “directs”, la détresse des déplacés, sans taire son propre “désespoir”. Il se retrouve souvent au cours de ses reportages à sortir des corps des décombres ou à transporter des enfants vers les rares hôpitaux opérationnels. Tous les journalistes interrogés — dont ceux de l’AFP — ont enterré un proche.
Alors qu’il commente des images depuis un hôpital, Wael Dahdouh, chef du bureau de Gaza d’Al-Jazeera, apprend en direct la mort de ses deux enfants et de sa femme dans une frappe israélienne, le 25 octobre. “Ma plus grande peur n’a jamais été d’exercer mon métier, mais de perdre mes proches”, commente sobrement à l’AFP le correspond de la chaîne qatarie. Le 15 décembre, lui-même est blessé au bras par des éclats d’obus. Son caméraman, Samer Abou Daqa, n’a pas survécu à la frappe.
L’armée israélienne a indiqué à l’AFP qu’elle ne visait jamais “délibérément” les journalistes.
Un travail semé d’embûches
Outre la guerre, il faut composer avec les restrictions imposées par le Hamas, au pouvoir depuis 2007 à Gaza. Plus compliquée “sous le Hamas, la pratique du journalisme a considérablement changé par rapport à la situation sous l’Autorité palestinienne”, témoigne Adel Zaanoun, journaliste à l’AFP depuis près de 30 ans.
Alors qu’il autorisait des journalistes par le passé à assister à des manœuvres, le mouvement islamiste armé impose depuis le début de la guerre une censure totale sur ses opérations.
“Le Hamas ne s’oppose généralement pas à la couverture des opérations militaires israéliennes, mais a totalement interdit de couvrir ses propres activités militaires, notamment celles concernant ses postes militaires, armes et tunnels”, détaille le journaliste.
Le mouvement, classé organisation terroriste par les États-Unis, l’UE et Israël, empêche aussi les journalistes de se pencher sur “la corruption au sein de son gouvernement ou de son mouvement” et “ne tolère aucune critique sur les réseaux sociaux”.
Sur le terrain, pour avoir de l’information, il faut nouer des liens avec des membres du Hamas, très frileux avec la presse étrangère, selon le journaliste palestinien.
À Gaza, à mesure que les combats s’intensifient, les journalistes craquent tour à tour. Deuil, manque de sommeil, absence d’équipements de protection reviennent dans les témoignages collectés par l’AFP.
Si chacun, au quotidien, cherche du gaz ou du bois pour cuire le pain ou se chauffer, les journalistes ont impérativement besoin d’électricité pour recharger téléphones, caméras, ordinateurs. Mais, souvent, le réseau électrique est hors service et les communications coupées.
“En coupant internet, les autorités israéliennes empêchent les journalistes de travailler, c’est une atteinte au droit à l’information”, dénonce Jonathan Dagher, responsable de RSF pour le Moyen-Orient.
Au 74e jour de la guerre, Adel Zaanoun, journaliste à l’AFP, est “à bout”. Son unique souhait : “mettre sa famille à l’abri”, de l’autre côté de Rafah, là où la guerre n’existe pas.