Il a tiré sa révérence le 13 décembre des suites d’une longue maladie, à l’âge de 78 ans. Au fil de ses parutions qui ont croisé romans et poèmes, Mohamed Loakira a indéniablement marqué le paysage littéraire marocain de ses vers et sa prose.
Né à Marrakech en 1945, il embarque dans l’aventure de la revue Souffles, aux côtés de Tahar Ben Jelloun et Mostafa Nissaboury, et signe également des contributions à Lamalif ainsi que dans d’autres supports de presse culturelle. Son premier recueil de poésie, L’horizon est d’argile, avait été publié en 1971, auprès de l’éditeur français Jean-Pierre Oswald, alors surnommé “l’éditeur du tiers-monde”, avec une préface de Abdellatif Laâbi.
Tout au long de sa vie, le goût prononcé de Mohamed Loakira pour les objets artistiques pluridisciplinaires se traduit dans ses collaborations avec le musicien gnawa Majid Bekkas, ou encore le peintre Bouchta El Hayani. Avec le premier, il met en scène des lectures poétiques, prenant la forme de récital accompagné du hajhouj du maâlem. Avec le second — dont une exposition rétrospective est en cours à la galerie L’Atelier 21 à Casablanca — Mohamed Loakira publie “… et se voile le printemps” aux éditions La virgule, un poème long inédit dans lequel les tableaux de Bouchta El Hayani dialoguent avec les mots du poète. La publication date de 2015, et ce sera l’une des dernières qu’on lui connaîtra.
Le poète est discret, mais pas en reste. Pendant les années qui suivront, Loakira continuera à écrire des textes, dont le style n’a pas pris une ride, qu’il partagera avec ses amis proches. Son ami Noureddine Bousfiha, universitaire et auteur, évoque l’œuvre de Mohamed Loakira en ces termes : “Voilà bien des décennies que je fréquente ses textes pour le goût de la création poétique et l’exactitude littéraire. Loakira a le sens du rythme, assure le ton et la rigueur dans l’expression. Ce souci, il est chez lui permanent. Quant à l’image, elle n’est détournée que pour appeler les choses par un autre nom que le leur. Et c’est à chaque fois un étonnant bonheur”, peut-on lire sur son témoignage en ligne.
Outre ses parutions, Mohamed Loakira était un homme de culture, qui a notamment occupé le poste de directeur des arts au sein du ministère de la Culture, de producteur de programmes radiophoniques, et d’animateur au Festival d’Avignon de théâtre dans les années 1970. Parmi ces faits d’armes, on retrouve l’émission culturelle Parcours, pensée comme un espace de débat autour de la culture marocaine.
En 2022, les éditions Marsam ont entrepris de publier l’œuvre poétique de Mohamed Loakira en deux tomes. “L’œuvre de Mohamed Loakira s’est bâtie sur les ruines d’une histoire personnelle et les débris d’une mémoire collective. Une œuvre de la déconstruction. À l’épreuve de la perte. Liée à un double naufrage, l’un, précoce, qui prive l’auteur de ses deux enfants pendant plus de vingt ans, l’autre, chronique, social et culturel, qui voit les fausses valeurs envahir les cales du grand navire marocain” écrivait alors Jacques Alexandra, qui avait consacré un essai à l’œuvre du poète, intitulé Mohamed Loakira, entre le souffle et le braisier.
Un hommage parmi d’autres qui ont été consacrés à un homme dont la soif de poésie était inépuisable, et dont “chaque poème creuse la question de la vulnérabilité de l’homme face à la dislocation familiale, face aux mutations -défigurations des grandes villes, surtout Marrakech, sa ville natale…”, selon Jacques Alexandra. C’est que Mohamed Loakira était aussi le poète d’une ville, Marrakech, qui aura hanté chacun de ses vers.