Une étude met en lumière la “galère” des enseignants contractuels

Dans le dernier numéro de la Revue des mondes musulmans et de la méditerranée (REMMM), Tarik Hari, docteur-chercheur en sociologie, spécialisé en politiques éducatives, dévoile les résultats d'une étude approfondie sur l'impact de la contractualisation dans le secteur éducatif marocain.

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Surveillance lors des examens du baccalauréat, le 6 juin 2023 à Rabat. Crédit: Rachid Tniouni / TelQuel

Intitulée « Les enseignants contractuels au Maroc. Entrée dans le métier et apprentissage ‘sur le tas’ de ses ficelles », cette recherche se base sur une enquête menée auprès des enseignants du cycle primaire, mettant en lumière les lacunes du processus de recrutement et de formation du personnel éducatif.

Face à une pénurie critique d’enseignants, le ministère de l’Éducation nationale a initié, en novembre 2016, un vaste programme de recrutement sous contrats à durée déterminée (CDD) dans l’urgence, visant à recruter et former 11.000 enseignants dans un laps de temps restreint. Cependant, les nouvelles recrues ont été affectées directement aux classes, débutant leurs fonctions avec très peu de formation.

Malgré les critiques, les opérations de recrutement se sont poursuivies à un rythme soutenu (24.000 enseignants en 2017, 20.000 en 2018, 15.000 en 2019…).

L’étude met en lumière les difficultés et contraintes auxquelles est confronté le personnel enseignant. Le parcours des enseignants contractuels de la première génération, recrutée en novembre 2016, est édifiant à cet égard. Les témoignages recueillis font état d’une formation très faible.

« Les choses sont parties très vite ; il y avait beaucoup d’improvisation. Dès l’annonce des résultats du concours, j’ai été appelé à suivre une formation. Celle-ci a duré quatre jours. Et après, j’étais appelé à rejoindre mon établissement d’affectation (…). Durant ces quatre jours, on a eu droit à quelques séances d’ordre théorique, que même les formateurs avaient du mal à développer », affirme un des enseignants rencontrés. Tous les enseignants de cette promotion évoquent avec insatisfaction leur formation et la décrivent comme étant « non qualifiante ».

Ils estiment que son impact sur leurs compétences professionnelles est très faible et que, de ce fait, leurs débuts dans le métier ont été des plus difficiles.

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Peu armés, ces enseignants ont donc dû confronter les dures réalités du milieu scolaire et les conditions de l’exercice du métier. Surcharge des classes, manque de matériel pédagogique, déficit des élèves en termes d’acquis scolaires… « Lors de ma première année, on m’a chargé d’une classe de 3e année. J’étais frappé par le nombre d’élèves qui n’arrivaient pas à suivre le cours, qui ne comprenaient pas ce que je disais. Bien sûr, j’ai essayé de simplifier et de réexpliquer, mais je me suis rendu compte qu’ils avaient de grands déficits ; ils étaient incapables de suivre. Je parle là de presque la moitié de la classe. C’était hallucinant », témoigne un des enseignants.

L’étude met aussi en exergue une autre difficulté rencontrée par les enseignants, et non des moindres : la langue d’enseignement. Venant de disciplines très variées (économie, histoire, droit, philosophie, études islamiques…), ils sont en effet appelés à enseigner en arabe ou en français, chose qui ne va pas de soi.

Pour les enseignants contractuels, le manque de formation et d’encadrement est une circonstance aggravante. Plusieurs d’entre eux rapportent des éléments qui en disent long sur la fragilité des situations d’enseignement : « J’avoue qu’au début j’ai sous-estimé la question de la langue. Je me disais que l’arabe, c’est quand même une langue que je connais. Mais au fur et à mesure, j’ai pris conscience que je ne maîtrise pas bien plusieurs aspects linguistiques, et la pire des choses qui puisse arriver à un enseignant c’est [de] commettre des fautes devant ses élèves. Ça délégitime », rapporte un enseignant.

Bien que l’analyse se soit focalisée sur les enseignants contractuels, en toile de fond, ce sont les logiques contradictoires des politiques éducatives qui sont révélées au grand jour. Selon l’auteur de l’étude, l’impulsion d’une réforme du système éducatif, telle que formulée dans les documents officiels (Vision stratégique, loi-cadre…), fait la part belle aux acteurs éducatifs et à la nécessité de leur « professionnalisation ».

Mais la mise en œuvre de cette réforme se heurte à des contraintes, dont certaines sont liées au manque de ressources budgétaires et d’autres aux problèmes de gouvernance, qui tendent à la vider de son sens. Le recrutement des enseignants par des contrats à durée déterminée et la qualité médiocre de la formation dont ils ont bénéficié en sont la parfaite illustration. Un gap sépare les documents stratégiques et de politique publique, d’un côté, et les capacités d’opérationnalisation et les contraintes du terrain, de l’autre.