La chambre criminelle, statuant en l’absence du plus farouche adversaire du président Macky Sall, l’a acquitté des accusations de viols et menaces de mort dans un climat de vives tensions.
Après l’annonce du verdict, des affrontements ont mis aux prises des jeunes et les forces de sécurité à coups de pierres et de gaz lacrymogènes près de l’université de Dakar, ont constaté des journalistes de l’AFP. Des heurts ont été rapportés par les réseaux sociaux ailleurs au Sénégal.
La décision du tribunal a soulevé de bruyantes manifestations de réprobation dans la salle du tribunal sous forte protection policière, sans qu’apparaisse clairement si elles étaient dues à la sympathie pour la plaignante ou pour Ousmane Sonko.
La “corruption de la jeunesse” consiste à favoriser la “débauche” ou à débaucher un jeune de moins de 21 ans. La plaignante, Adji Sarr, ancienne employée du salon de beauté où Ousmane Sonko allait se faire masser, avait moins de 21 ans au moment des faits qu’elle dénonce.
Elle a quitté le tribunal sans s’exprimer. Menacée et insultée depuis que le scandale a éclaté, placée sous protection policière, elle a toujours persisté dans ses accusations. Elle a dit au procès que Sonko avait abusé d’elle à cinq reprises entre fin 2020 et début 2021. Elle n’est jamais devenue la figure d’un combat contre les violences faites aux femmes, le dossier trop politisé par la présidentielle et la société ne facilitant pas un tel engagement.
Sonko n’a cessé de nier les accusations et de crier au complot ourdi par le pouvoir pour l’écarter de la présidentielle. La patronne et des témoins ont contesté les dires d’Adji Sarr au procès. La patronne du salon Sweet Beauté, Ndèye Khady Ndiaye, a été également été condamnée à deux ans de prison ferme pour incitation à la débauche, mais acquittée de complicité de viols. Elle et Sonko doivent payer chacun 600.000 francs CFA (900 euros) d’amende et conjointement 20 millions de FCFA (30.000 euros) de dommages et intérêts à la plaignante.
“Nous sommes satisfaits de la culpabilité de Sonko”, a dit à la presse Me El Hadji Diouf, avocat d’Adji Sarr. Mais 20 millions de FCFA de dommages, c’est peu pour les “souffrances” qu’elle a endurées, a-t-il déploré. La décision paraît au vu du code électoral maintenir la menace sur l’éligibilité de Sonko et sur sa faculté à concourir à la présidentielle de l’an prochain. Les implications immédiates de cette décision et une éventuelle arrestation de Sonko sont incertaines. Le tribunal ne s’est pas prononcé sur une éventuelle arrestation.
“La décision de l’arrêter ou pas dépend du ministère public”, a dit un des avocats de Sonko, Me Djiby Diagne. Mais “la candidature d’Ousmane Sonko est hypothéquée”, a-t-il déclaré. “Que tous les Sénégalais le sachent : Ousmane Sonko ne peut plus être candidat”, a renchéri un autre de ses conseils, Me Bamba Cissé.
Au moment de la décision de justice, Sonko, président du parti Pastef-les Patriotes et troisième de la présidentielle de 2019, était censé se trouver chez lui à Dakar, bloqué depuis dimanche par un important dispositif policier, “séquestré” selon ses mots.
Les forces de sécurité ont repoussé, y compris par la force, toute tentative de l’approcher de la part de ses avocats ou de ses sympathisants. Les forces de sécurité ont tenu les journalistes à une distance considérable de sa maison. Elles ont lancé des grenades lacrymogènes sans sommation vers un groupe de journalistes, dont une de l’AFP, pour les éloigner.
Sonko encourait jusqu’à 20 ans de réclusion pour viols. L’enjeu est autant criminel que politique. L’égibilité de Sonko, 48 ans, est déjà compromise par une récente condamnation à six mois de prison avec sursis pour diffamation contre un ministre.
Depuis février 2021 que l’affaire de viols présumés défraie la chronique, Sonko est engagé dans un bras de fer forcené avec le pouvoir pour sa survie judiciaire et politique.
Une vingtaine de civils ont été tués depuis 2021 dans des troubles largement liés à sa situation. Le pouvoir et le camp de Sonko s’en rejettent la faute. Le camp présidentiel accuse Sonko de se servir de la rue pour une affaire privée, et de nourrir un projet insurrectionnel.
En dehors du sort de Sonko, un autre facteur de division est le flou entretenu par Macky Sall sur sa candidature ou non à un troisième mandat.