Le Sénégal retient son souffle avant le verdict du procès contre l’opposant Ousmane Sonko pour “viols”

Le Sénégal retient son souffle en prévision du verdict qui sera prononcé demain, jeudi 1er juin, par le juge de la Chambre criminelle du Tribunal de grande instance de Dakar dans l’affaire opposant depuis deux ans le leader du parti Pastef, Ousmane Sonko, candidat déclaré à la présidentielle de février 2024, à une ancienne employée d’un salon de beauté, Adji Sarr, qui l’accuse de “viols” répétés et de “menaces de mort”.

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Ousmane Sonko / Twitter

L’audience se tient dans un climat très tendu dans le pays marqué par des incidents violents survenus dans des quartiers de la capitale sénégalaise lundi soir entre des jeunes partisans de Sonko et les forces de l’ordre. La capitale sénégalaise a vécu ce jour au rythme des échauffourées entre forces de l’ordre et partisans et/ou sympathisants du parti Pastef, de la coalition Yewwi Askan Wi (libérer le peuple) et du mouvement des forces vives de la nation (F24) qui protestent contre le “blocus” imposé à Sonko, et un éventuel troisième mandat de Macky Sall, à neuf mois de la présidentielle 2024.

Elle intervient le lendemain de la tenue du Dialogue national demandé par le président Macky Sall, dont l’appel à discuter des affaires du pays est rejeté par de nombreux partis de l’opposition qui ont décidé de tenir parallèlement des Assises concurrentes appelées “Pencuum Senegaal”.

Ousmane Sonko évoque un “complot”

Le président du parti Les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), qui rejette les accusations de “viols”, n’a pas encore confirmé s’il se rendra jeudi ou non au tribunal. Ousmane Sonko invoque depuis le début de cette affaire un “complot” du pouvoir pour l’écarter de la présidentielle du 25 février 2024.

Le Maire de la ville de Ziguinchor (sud), traîné dans cette affaire depuis février 2021, a déjà averti le 7 mai dernier qu’il ne comptait plus “collaborer avec la justice, sans un minimum de garantie pour sa sécurité”. Il avait posé des conditions préalables à sa présence au procès, exigeant, entre autres, le respect de son itinéraire pour se rendre au tribunal, et la levée des barricades érigées aux alentours de son domicile dakarois, à la Cité Keur Gorgui.

Le 23 mai dernier, l’audience de ce procès qui tient en haleine et agite le Sénégal depuis deux ans s’était tenue en son absence et en celle de ses avocats. L’opposant risque gros au procès si le juge qui statue sur cette affaire retient la peine requise récemment par le Procureur qui a réclamé une peine de 10 ans de réclusion criminelle.

Le procureur Abdou Karim Diop avait demandé la condamnation de Sonko à dix ans de réclusion pour viols, ou au minimum à cinq ans de prison pour “corruption de la jeunesse”, ainsi qu’un an de prison pour les “menaces de mort” qu’il aurait proférées contre la plaignante Adji Sarr, 23 ans, employée du salon Sweet Beauté, basé à Dakar. La jeune femme a maintenu au procès que Sonko avait abusé d’elle “cinq fois” entre 2020 et début 2021 et l’avait menacée de mort si elle parlait. Sonko réfute ces accusations, mais son absence de l’audience de jeudi pourrait lui coûter cher, selon les analystes.

“Si Ousmane Sonko n’a jamais couché avec moi, qu’il le jure sur le Coran”

Adji Sarr

La présumée victime, Adji Sarr a été attaquée et menacée à plusieurs reprises sur les réseaux sociaux. Mais elle a toujours réclamé justice. “Si Ousmane Sonko n’a jamais couché avec moi, qu’il le jure sur le Coran”, déclarait-elle en mars 2021.

Ousmane Sonko, aujourd’hui âgé de 48 ans, avait pourtant reconnu être allé se faire masser pendant le couvre-feu imposé à cause de la crise Covid-19 pour apaiser des douleurs de dos chroniques. Mais, il a demandé “à un prêcheur si sa religion l’autorisait à être massé par des femmes qui ne sont pas ses épouses”. Il s’est assuré qu’il y avait toujours au moins deux masseuses dans la salle, avait-il dit, selon la presse locale.

À signaler que Sonko avait été ramené dimanche dernier par les forces de sécurité jusqu’à son domicile à la Cité Koeur Gorgui à Dakar, alors qu’il conduisait une “Caravane de la liberté” vers la capitale Dakar pour, dit-il, mener le dernier combat contre le pouvoir de Macky Sall. Sonko parle de “séquestration” et appelle les Sénégalais à se lever “comme un seul homme” contre le pouvoir. Depuis ce jour, son domicile est surveillé par les forces de l’ordre.

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Son interpellation en mars 2021 sur le chemin du tribunal avait déclenché plusieurs jours d’émeutes qui ont fait au moins une douzaine de morts. Et ses rendez-vous avec la justice ont régulièrement donné lieu à des incidents ou mis Dakar sous haute tension. Ses adversaires le décrivent comme un agitateur fomentant un projet “insurrectionnel”.

Déjà condamné pour “diffamation”

Les ennuis judiciaires de Ousmane Sonko ne s’arrêtent pas à cette seule affaire de viols. L’opposant avait été déjà condamné fin mars en appel à six mois de prison avec sursis pour “diffamation” à la suite d’une autre plainte du ministre sénégalais du Tourisme et des Loisirs. Si la peine est maintenue, elle pourrait entraîner la déchéance de ses droits électoraux et menacer son éligibilité à la Présidentielle du 25 février 2024, un scrutin très attendu au Sénégal et qui suscite un débat dans le pays tant que Macky Sall n’a pas jusqu’à présent dévoilé ses intentions sur un 3e mandat.

Le jeudi 1er juin, sera-t-il au tribunal pour répondre aux accusations et affronter en face sa victime présumée ? C’est la question que se posent Sénégalais et étrangers, alors que ses avocats entretiennent le suspense et gardent le silence total.

En prévision de ce retentissant procès, la ville de Dakar sera certes mise à l’arrêt et ses principales rues seront barricadées par un imposant dispositif sécuritaire surtout aux alentours du Palais de justice qui abritera l’audience.

Une comparution de force de Sonko pourrait causer de nouveaux remous et des incidents dans la capitale, et une éventuelle condamnation par contumace pourrait aussi signifier la déchéance des droits électoraux de Ousmane Sonko qui jouit d’une popularité, surtout chez les moins de 20 ans.

Selon les observateurs, le jeudi 1er juin sera un moment difficile pour l’opposant et aussi pour les populations dakaroises. Les analystes se demandent si le leader de Pastef réussira à s’en tirer grâce à la rue.

La journée du verdict sera précédée de la tenue du Dialogue national lancé par le chef de l’État Macky Sall qui doit se dérouler au Palais présidentiel mercredi et pour lequel le mouvement de l’ex-maire de Dakar, Khalifa Sall, “Taxawu Senegaal” (opposition), a décidé d’y participer aux côtés du Parti démocratique sénégalais PDS, de l’ancien président Abdoulaye Wade.

“Taxawu Senegaal” est membre de la Coalition Yewwi askan wi (Yaw, libérer le peuple en wolof), dont Ousmane Sonko est l’un des leaders. Un autre leader, l’actuel maire de Dakar et membre de ce mouvement, Barthelemy Dias, a cependant surpris mardi soir l’opinion nationale par sa décision de ne pas participer à ce Dialogue.

L’édile de Dakar, et figure notable de la formation “Taxawu Sénégal”, a en effet posé des conditions pour sa potentielle participation à ces pourparlers cruciaux. “Si la question du troisième mandat qui est prêtée à Macky Sall n’est pas inscrite dans les termes de référence, je n’irai pas à ces concertations”, a-t-il notamment affirmé dans une interview accordée à la chaîne locale 7tv.

Dias a également suggéré d’ouvrir le débat à tous les candidats potentiels, faisant valoir que la Constitution permet d’organiser des “élections” et non des “sélections”.