En élaborant son projet de loi relatif aux peines alternatives — suspendu par le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch —, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, avait pour ambition de limiter les conséquences négatives des peines privatives de liberté de courte durée, mais aussi de contribuer à “réduire le problème de la surpopulation au sein des établissements pénitentiaires et à en rationaliser les coûts”. Les chiffres de la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR) confirment cette urgence.
Dans son rapport annuel au titre de l’exercice 2022, l’institution dirigée par Mohamed Saleh Tamek relève que les établissements pénitentiaires accueillaient, en 2022, 97.204 détenus, soit 251 détenus pour 100.000 habitants. Presque la moitié, 48,18 %, sont âgés de moins de 30 ans, 0,82 % sont mineurs, tandis que seuls 2,42 % des détenus sont des femmes. Au cours de 2022, les établissements pénitentiaires comptabilisent 116.922 nouveaux détenus, dont 95 % y accèdent en étant poursuivis en état de détention préventive.
Le casse-tête de la détention préventive
De détention préventive, il est beaucoup question dans les rapports de la DGAPR. En 2022, son taux s’élevait à 41 %. Autrement dit, 59 % de la population carcérale seulement est condamnée, le reste étant en attente de jugement. “Ce taux varie d’un mois à l’autre, mais demeure toujours à un niveau très élevé”, nous expliquait une source autorisée au sein de l’administration pénitentiaire en 2021. La faute aux décisions rendues par la justice marocaine, selon l’Observatoire national des prisons, qui “passent sous silence d’autres mesures alternatives à l’incarcération”.
Mesure exceptionnelle tendant à devenir la règle, la détention préventive demeure liée, aux yeux du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), “principalement au mauvais usage du pouvoir discrétionnaire conféré au Parquet général, au manque de sa rationalisation par celui-ci et la lenteur des procédures judiciaires”. Si le pourcentage de prisonniers en détention préventive en 2022 (41 %) est en légère baisse par rapport à l’année précédente (42 %), il demeure loin de l’objectif fixé à 35 %. Malgré son caractère prioritaire aux yeux du Parquet général, les efforts menés pour rationaliser le recours à la détention préventive semblent pour l’heure insuffisants.
Par ailleurs, les chiffres révélés par la DGAPR démontrent que le nombre des condamnés pour “crimes de droit privé” a atteint en 2022 41 016 individus, tandis que 31 920 ont été jugés pour des “crimes financiers”. 12 597 individus, eux, ont été condamnés pour des crimes contre les personnes.
Plus de 100 000 prisonniers à horizon 2026
Dans son rapport annuel, la DGAPR indique l’évolution du nombre de détenus au fil des années. Celui-ci est passé de 83 757 en 2018 à 86 384 en 2019, puis à 84 990 en 2020. Cette baisse, l’administration pénitentiaire l’attribue aux mesures de confinement décidées par les autorités dans le cadre de la pandémie du Covid-19.
Depuis, le nombre des détenus a augmenté à 88 941 en 2021, puis à 97 204 en 2022. Ainsi, entre 2018 et 2022, l’augmentation était de l’ordre de 16 %. En outre, le rapport souligne l’augmentation du nombre des femmes détenues de 13 % entre 2021 et 2022.
Reste que la donnée la plus intéressante fournie par l’administration pénitentiaire concerne l’évolution de la population carcérale dans les prochaines années. À en croire cette projection de la DGAPR, le nombre des détenus va baisser en 2023 pour atteindre 96.414, avant d’augmenter en 2024 à 98.963. À partir de 2025, le nombre de détenus va franchir le cap des 100.000 en atteignant 101.512. Cette augmentation sera maintenue en 2026 avec un nombre de détenus dépassant les 104.000.
Dans le détail, la DGAPR prévoit que le taux de détention préventive se maintient autour de 40,7 % à horizon 2026, tandis que le nombre des femmes incarcérées devrait baisser à 2341 contre 2351 actuellement. Quant aux nouveaux détenus, l’administration s’apprête à accueillir 127.959 individus, contre 116.922, ce qui présage une augmentation du taux de criminalité d’ici 2026.
Numérisation de l’administration pénitentiaire
Le rapport liste également plusieurs réalisations de la DGAPR au cours de 2022. Parmi elles, le développement d’un système mobile d’identification des détenus par empreinte digitale, permettant une détection plus précise des cas de récidive. En outre, l’administration pénitentiaire a procédé à la généralisation d’un programme informatique sur la gestion et le suivi de l’efficience de fonctionnement de l’ensemble des établissements sous sa tutelle.
Par ailleurs, la DGAPR a élaboré un programme spécial pour le suivi et la gestion du transfèrement des prisonniers dans le cadre de sa stratégie de numérisation et de modernisation de l’administration pénitentiaire. Au programme, gestion des données et des programmes informatiques à travers le perfectionnement du système de gestion des ressources humaines et celui de la gestion du pécule des détenus.
Sur le volet de la réinsertion, la DGAPR se félicite du nombre de bénéficiaires des programmes de formation professionnelle, agricole et artisanale en 2022. Ainsi, 10.000 détenus ont bénéficié de ces programmes, tandis que 5390 détenus étaient inscrits dans les programmes éducatifs. Enfin, 8735 détenus ont bénéficié des programmes de lutte contre l’analphabétisme.