TelQuel : En quoi après 1994, 1998, 2006, 2010 et 2026, la candidature tripartite pour 2030 représente l’heure du Maroc pour accueillir enfin la Coupe du monde ?
Amine Birouk : Tout d’abord, aujourd’hui, il y a une reconnaissance mondiale de la place que le Maroc occupe dans l’échiquier international. L’équipe du Maroc et les supporters du Maroc ont apporté une preuve intangible de leur quatrième place au sein de l’échiquier mondial en ayant éliminé des grandes nations comme la Belgique, l’Espagne et le Portugal lors du Mondial 2022. Le Maroc est devenu la première nation africaine à atteindre, dans l’histoire de la Coupe du monde, le dernier carré de la compétition. Il a eu un public qui a donné à la Coupe du monde un ton festif de manière pacifique. Les responsables des fédérations nationales qui devront voter prendront donc en compte le fait qu’il y a un aspect important à ne jamais manquer dans une Coupe du monde, c’est l’aspect festif et populaire.
Et puis, sur le plan de l’organisation, de la logistique, nous ne sommes plus seuls. Nous n’avançons pas en solitaire face à de grandes superpuissances. Je rappelle que nous étions à chaque fois confronté à des nations supérieures en matière d’infrastructures peut-être, à l’exception de 2010 où nous avions toutes nos chances, mais où elles se sont un peu dissipées dans la nuit du vote. Le Maroc avait la certitude d’organiser la Coupe du monde 2010, mais il y a eu une fuite de trois voix pour des raisons que personne n’ignore puisqu’il y a eu des enquêtes sur la corruption au sein des instances de la FIFA, de certaines confédérations à l’époque, et ces trois voix de la Confédération de football d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes (Concacaf) ont été largement soudoyées.
Cette fois-ci, le Maroc se greffe aussi à une candidature qui travaille depuis deux années de manière très sérieuse, celle-ci offre les plus grandes garanties. C’est la candidature la plus homogène sur le plan géographique : Maroc, Portugal, Espagne ne sont séparés que par un bras de mer, quatorze kilomètres du détroit de Gibraltar. Enfin, il y a un aspect culturel et civilisationnel qui nous unit depuis très longtemps.
Justement, la candidature maroco-ibérique est concurrencée par celle latino-américaine (Argentine-Uruguay-Paraguay-Chili) et celle des trois continents (Arabie saoudite-Egypte-Grèce). Quelle est la particularité de l’ibéro-marocaine par rapport aux autres ?
En face, il y a une candidature latino-américaine qui joue sur l’aspect historique de la Coupe du monde (l’Uruguay a accueilli la première Coupe du monde il y a un siècle, en 1930, ndlr), mais il y a un aspect qui manque à ce dossier, c’est la fiabilité économique. Lors de l’octroi des Jeux olympiques de 1996, la Grèce avait bien tenté aussi de jouer sur l’aspect centenaire, ce qui n’a pas empêché les responsables du Comité international olympique (CIO) de voter Atlanta plutôt qu’Athènes. Donc aujourd’hui, il faut aussi un fond, sur le plan économique, qui soit assez solide. C’est peut-être le talon d’Achille des latino-américains. Il y a aussi le fait que la Coupe du monde 2026 se déroulera dans la partie nord du continent américain, même si c’est une autre confédération. C’est donc un aspect à ne pas négliger.
Concernant la candidature sur trois continents entre l’Arabie saoudite, l’Égypte et la Grèce, nous avons l’avantage d’avoir pris l’initiative et on mène de quelques points puisque l’aspect symbolique est apparu dans la candidature maroco-ibérique contrairement à celle Arabie saoudite-Egypte-Grèce qui est en train de s’esquisser. Il y a un autre aspect historique, c’est que la Coupe du monde au Qatar a obligé la FIFA à changer tout son calendrier et à faire en sorte que les championnats s’arrêtent et que la Coupe du monde se déroule au mois de novembre. Est-ce qu’on est prêt à retenter une deuxième fois la même aventure 8 ans plus tard ? Dans ce dernier cas, la Coupe du monde risquerait d’avoir lieu dans des conditions climatiques très compliquées notamment en Égypte et surtout en Arabie saoudite. Pour toutes ces raisons, la candidature du juste milieu, de la raison, c’est la candidature qui englobe le Maroc et les pays de la péninsule ibérique.
Qu’est-ce qui sera décisif pour que la candidature incluant le Maroc puisse l’emporter ?
Il faut partir du principe que nous sommes un pays leader sur le continent africain et que toute l’Afrique peut-être, à quelques exceptions près, sera derrière la candidature du Maroc. C’est vrai qu’il faudrait un travail en matière de diplomatie sportive important pour pouvoir convaincre les votants. Ensuite, l’Europe sera entièrement derrière la candidature ibérique. C’est la candidature aujourd’hui la plus disposée à obtenir le maximum de voix européennes.
Il ne faut pas oublier qu’il va falloir faire des comptes et les mathématiques nous disent : sur 211 fédérations, la majorité simple, c’est 106 voix. Pour la candidature du Mondial 2026, le Maroc tout seul a obtenu 65 voix donc nous avons toutes nos chances en travaillant sérieusement, en communiquant de la manière la plus judicieuse possible et en présentant un dossier solide, que ce soit sur le plan des infrastructures sportives, routières et aéroportuaires. Tout cela est un package qu’il va falloir vendre. L’avantage principal, ce sont les 14 kilomètres qui nous séparent de la péninsule ibérique, ce qui fait que les distances ne sont pas très longues, on peut rester sur les mêmes fuseaux horaires tout en étant à cheval sur deux continents.
D’un autre côté, nous ne marchons plus tout seul. Nous étions toujours le petit outsider que ce soit face aux États-Unis en 1994, la France en 1998, l’Allemagne en 2006, un degré moindre face à l’Afrique du Sud, mais surtout face aux géants de l’Amérique en 2026. Cette fois-ci nous nous greffons à une candidature solide. Les Espagnols et les Portugais ont déjà commencé à travailler depuis deux ans. Nous avons apporté notre petite pierre à l’édifice et nous allons voir dans quelle mesure le comité de coordination de la candidature commune sera organisé. Quels stades et villes seront proposés ? Mais cette fois-ci aussi, nous allons proposer du concret, c’est-à-dire des infrastructures qui existent déjà.
C’est un pays qui est en mouvement. Le train à grande vitesse qui va pouvoir s’étendra du côté d’Agadir prochainement, le fait d’avoir de nouvelles autoroutes, d’avoir des moyens de télécommunications supérieurs aux précédentes candidatures et peut-être travailler rapidement en amont sur une interconnexion entre les deux côtés du détroit de Gibraltar… C’est un rêve qui existe depuis la fin des années 1970 et qui peut être concrétisé d’ici 2030 !