Dans un communiqué commun, Save the Children, le Conseil norvégien pour les réfugiés et CARE International ont annoncé la suspension de leurs activités en attendant que l’annonce d’interdiction faite samedi par les talibans soit “clarifiée”.
“Nous suspendons nos programmes, en exigeant que les hommes et les femmes puissent poursuivre de la même manière notre aide pour sauver des vies en Afghanistan”, ont expliqué les trois associations à la sortie d’une réunion rassemblant de hauts responsables de l’ONU et des dizaines d’ONG.
Le ministère afghan de l’Économie a ordonné samedi à toutes les organisations non gouvernementales de cesser de travailler avec des femmes sous peine de suspendre leur licence d’exploitation. Il n’a pas été précisé si la directive concernait le personnel féminin étranger des ONG.
Dans la lettre envoyée aux ONG locales et internationales, le ministère explique avoir pris cette décision après avoir reçu des “plaintes sérieuses” selon lesquelles les femmes y travaillant ne respectaient pas le port du “hijab islamique”.
En Afghanistan, les femmes sont contraintes de se couvrir le visage et entièrement le corps.
“S’ils (les autorités talibanes) ne sont pas en mesure de revenir sur cette décision et de trouver une solution à ce problème, il sera très difficile de poursuivre et de fournir une aide humanitaire de manière indépendante et équitable, car la participation des femmes est très importante”, a déclaré à l’AFP le coordonnateur humanitaire de l’ONU pour l’Afghanistan, Ramiz Alakbarov. “Nous ne voulons pas suspendre immédiatement l’aide, car cela nuirait au peuple afghan”, a-t-il poursuivi, évoquant un impact “dévastateur” sur l’économie déjà délabrée du pays. “C’était une économie de cinq milliards de dollars et elle n’en compte plus que trois”, a-t-il souligné.
“Nous allons discuter de cette question avec les autorités. Nous insisterons pour que cela change”, a ajouté Alakbarov.
Selon les Nations unies et les agences d’aide, plus de la moitié des 38 millions d’habitants du pays ont besoin d’une assistance humanitaire pendant l’hiver rigoureux.
Des dizaines d’organisations travaillent dans les régions reculées de l’Afghanistan et beaucoup de leurs employés sont des femmes.
“L’interdiction va avoir un impact sur tous les aspects du travail humanitaire, car les femmes employées ont des postes clés dans les projets axés sur la population féminine vulnérable du pays”, a déclaré dimanche à l’AFP un haut responsable d’une ONG étrangère.
Depuis Berlin, la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock a appelé dimanche à “une réaction claire de la communauté internationale”. “Celui qui exclut les femmes et les jeunes filles du travail, de l’éducation et de la vie publique ne ruine pas seulement son pays. (…) La persécution sexiste peut constituer un crime contre l’humanité”, a tweeté la ministre, ajoutant que “nous n’accepterons pas que les talibans fassent de l’aide humanitaire un enjeu de leur mépris des femmes”.
Wer Frauen und Mädchen von Arbeit, Bildung und öffentlichem Leben ausschließt, ruiniert nicht nur sein Land. Geschlechtsbezogene Verfolgung kann auch ein Verbrechen gegen die Menschlichkeit sein. Wir setzen uns für eine deutliche Reaktion der internationalen Gemeinschaft ein. 2/2
— Außenministerin Annalena Baerbock (@ABaerbock) 25 décembre 2022
“Ce dernier recul flagrant des droits des filles et des femmes aura des conséquences considérables sur la fourniture de services de santé, de nutrition et d’éducation aux enfants”, a tweeté le directeur régional de l’Unicef, George Laryea-Adjei.
UNICEF stands with every girl and woman in #Afghanistan and demands that the Taliban immediately allow all women humanitarians to resume their lifesaving work for vulnerable families and communities.
— George Laryea-Adjei (@G_LaryeaAdjei) December 25, 2022
“Nous sommes 15 dans ma famille et je suis le seul soutien, si je perds mon emploi, ma famille mourra de faim”, a témoigné Shabana, 24 ans, employée d’une ONG à Kaboul. “Pendant que vous célébrez l’arrivée de la nouvelle année, l’Afghanistan est devenu un enfer pour les femmes”, a-t-elle ajouté.
Ne souhaitant pas donner son nom de peur de représailles des talibans, une autre Afghane de 27 ans, qui devait commencer à travailler dimanche dans une ONG internationale, a vu ses “rêves s’envoler”. “Le travail ardu que j’avais fourni ces dernières années dans le domaine de l’éducation a volé en éclats”, a-t-elle déploré. “Mais nous sommes assez courageuses pour ne pas accepter les interdictions, et nous battre pour nos droits. Cela peut prendre du temps, mais si nous croyons en nous-mêmes, nous reviendrons plus fortes que jamais”.
L’étau autour des femmes s’est resserré ces derniers mois. Les talibans, revenus au pouvoir en août 2021, leur ont interdit, il y a moins d’une semaine, de fréquenter les universités publiques et privées, pour les mêmes raisons de code vestimentaire non respecté. Ils les avaient déjà exclues des écoles secondaires.