Tasblast, le petit village traditionnel d’Imsouane, pourrait être rayé de la carte ces prochains jours. Informés de cette décision mercredi par les autorités locales (oralement, sans document), les habitants et amoureux d’Imsouane se sont rapidement mobilisés à coup de pétition (plus de 17.000 signatures), de fonds de soutien aux populations locales sur Go Fund Me, de communiqués, et de groupe WhatsApp de plus de 220 membres pour tout coordonner. Objectif : sauver le cœur historique de cette destination de surf de renommée mondiale.
Pêcheurs, surfeurs, Marocains, étrangers résidents, touristes de passage ou habitués, la communauté fait front autant qu’elle le peut. Si quelques habitants ont déjà commencé à vider et démonter leurs maisons pour récupérer biens et matériaux, d’autres ont décidé de ne rien détruire par eux-mêmes. C’est le cas de Younes Fizazi, un Rbati qui a investi il y a trois ans dans une maison troglodyte sur la plage “Cathédrale”, “une des plus anciennes du village, qui remonte aux années 1970”.
Comme la majorité de ses voisins, il a tenu à préserver le cachet de cette grotte, une forme de construction que l’on retrouve dans plusieurs villages du littoral de la région Souss-Massa. Et c’est justement ce qu’il déplore, au-delà de la perte de sa maison : la destruction d’un patrimoine, d’une culture, d’une identité.
“C’est tout un patrimoine culturel, identitaire, architectural et social qu’on va perdre”
“En détruisant Tasblat, ils vont confisquer la mémoire collective des locaux, tout ce qui représente leur histoire”, relève Younes Fizazi, qui rappelle que c’est ce village qui a créé cette économie du surf à Imsouane et attiré les touristes. “Je venais déjà dans les années 1990, je payais 15 dirhams la chambre pour dormir. Aujourd’hui encore, ce lieu est l’âme d’Imsouane. C’est tout un patrimoine culturel, identitaire, architectural et social qu’on va perdre.”
Narimane Es Saadi a elle aussi investi sur cette plage. C’était en 2011. Cette Casablancaise connaissait déjà bien l’endroit, venant s’y ressourcer depuis 1997. “Lorsque l’opportunité s’est présentée d’acquérir une maison de pêcheurs dans le coin, je n’ai pas hésité. J’y ai fait les aménagements nécessaires en sublimant et en respectant le lieu. J’ai créé mon propre assainissement, investi dans du solaire et aménagé la parfaite maison écoresponsable avec tous les enregistrements au niveau de la commune et du domaine maritime. Je tenais à respecter du mieux que je pouvais la spécificité du bâti d’Imsouane”, raconte celle qui employait trois personnes à plein temps dans sa petite maison d’hôtes qui ne désemplissait pas.
“L’expérience du tremblement de terre qui a mis tant de monde à la rue n’a-t-elle donc pas servi de leçon pour qu’on veuille reproduire le même schéma, cette fois par tractopelles ?”
Aujourd’hui, comme son voisin, elle déplore des “destructions tellement abusives et tellement injustes”. “Plus que de ressentir de la peine pour ma maison, mon cœur saigne pour les locaux d’Imsouane, déjà si vulnérables et fragiles. L’expérience du tremblement de terre qui a mis tant de monde à la rue n’a-t-elle donc pas servi de leçon pour qu’on veuille reproduire le même schéma, cette fois par tractopelles ?”
Et de poursuivre : “Je comprends une volonté de ‘developper’, de créer de l’emploi, etc., mais ce sont des décisions tellement déconnectées de la réalité des gens. Pourquoi le faire dans des lieux qui ont déjà trouvé leur manière de fonctionner ? Pourquoi un tel manque de considération envers les locaux ? Pourquoi leur prendre leur terre, leur échappatoire, leur océan et source de fraîcheur lorsque les températures atteignent de hauts degrés en été dans les terres ? Imsouane est le lieu de villégiature de tout l’arrière-pays si aride !”
“Je ne veux pas voir ça”
“Les autorités se tirent une balle dans le pied, car les touristes ne reviendront plus, et dans le monde entier, on va dire que le Maroc est un pays sauvage qui détruit tout son patrimoine, sans même aviser la population locale ni informer sur ses projets futurs, c’est une catastrophe ! Une catastrophe historique, culturelle, sociale et de communication”, estime Younes Fizazi.
“Vouloir changer les choses, je peux le comprendre, mais de manière aussi brutale, je ne peux pas le comprendre”
Sommés de déguerpir en 24 heures avant un délai d’un jour supplémentaire, les habitants ont effectivement été pris au dépourvu, sans plus d’explications sur les projets à venir. “C’est le khalifa (celui qui est en dessous du caïd) qui m’a appelé, très gentiment, pour me prévenir. Lui-même ne sait rien de ce qui se trame, il applique simplement les instructions”, raconte Younes Fizazi. “Vouloir changer les choses, je peux le comprendre, mais de manière aussi brutale, je ne peux pas le comprendre. Je ne suis pas sur place, je ne veux pas voir ça.”
Légalement, l’État est dans son droit de récupérer le domaine public maritime, même sans préavis. Mais pour Younes Fizazi, la solution est ailleurs : “Si le problème est qu’on occupe illégalement, qu’on ne paye pas d’impôts et qu’on n’emploie personne, il suffit, au lieu de détruire tout ce patrimoine, de nous faire entrer dans l’économie formelle. Les locaux et les touristes seraient contents. Pour l’instant, seul l’État est content, et on ne sait pas pourquoi...”
“J’ai un droit d’exploitation, un contrat notarié, un compteur d’électricité en mon nom. Ils m’enlèvent ma seule maison et mon futur projet d’investissement. J’avais déjà déposé les documents au CRI il y a plus d’un an pour monter une maison d’hôtes, et j’espérais que le village allait un jour être classé au patrimoine”, poursuit-il.
Narimane Es Saadi rebondit : “Toutes les habitations ne sont pas illégales. Certaines oui, mais la plupart ont des reconnaissances, des titres. Certes pas des titres fonciers qui n’existent pas en général sur le domaine maritime, mais elles ont une existence légale. Et on vient en 24 heures les sommer d’évacuer, sans leur laisser aucun recours, droit à la parole ou à la défense. Quelle société veut-on créer ? Pourquoi ne pas les régulariser, les aider, les intégrer, améliorer leur quotidien ?”
Au-delà de la manière, Younes Fizazi s’interroge sur l’intérêt même de détruire ce qui fait le charme d’Imsouane et attire de si nombreux touristes. “Tout le monde venait se photographier devant ces maisons, j’ai même eu le magazine Vogue pour un shooting photo devant chez moi. Pourquoi ils ne le font pas ailleurs, à votre avis ? L’image positive du Maroc, la beauté du pays sont là, dans ces villages.”
“Il y a plein d’endroits où faire une corniche ou des projets immobiliers, pourquoi ici ? insiste-t-il. Et plus globalement, plein de pays ont du soleil et des plages, mais peu ont cette richesse culturelle. Si on nous enlève ça, le Maroc n’aura rien de plus que les autres à offrir.”
Pour rappel, les destructions sur le littoral pour “occupation illégale du domaine maritime” ont commencé à Tifnit le 25 décembre, avant de se poursuivre dans les villages de pêcheurs plus au sud (Douira, Tabelbeilt, Ouassay, Sidi Rbat…), toujours dans la région de Souss-Massa.
Puis se fut au tour des constructions entourant le mausolée de Sidi Abderrahmane d’être détruites par les autorités locales le vendredi 12 janvier, sur ordre du wali de Casablanca, Mohamed Mhidia.
Dahomey, petite plage près de Bouznika, a également vu les pelleteuses arriver en début de semaine, le 16 janvier.