Khalil Azzouzi, Azur Innovation Fund : “Notre objectif 2025 est d’investir dans 20 projets avec un budget global d’environ 300 millions de dirhams”

Dans cette interview, Khalil Azzouzi, partenaire associé à Azur Innovation Fund, partage son analyse de la dynamique du capital risque au Maroc et révèle les contours de la stratégie de son fonds à l’horizon 2025 avec un objectif d’investissement global d’environ 300 millions de dirhams.

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Khalil Azzouzi. Crédit: DR

TelQuel : Quels sont les faits marquants de l’année 2023 au niveau des investissements d’Azur Innovation Fund ?

Khalil Azzouzi : Depuis mars 2020, date du démarrage d’Azur Innovation Fund (AIF), nous avons reçu environ 900 projets et investi dans 11 projets avec une enveloppe globale d’investissement de 110 millions de dirhams (MDH) portant sur un premier tour d’investissement. Nous comptons terminer l’année 2023 avec un total de 14 projets investis.

Notre objectif à l’horizon 2025, date de la fin de la phase d’investissement de notre fonds, est d’investir environ 300 MDH dans 20 projets. Nous avons intentionnellement capé notre portefeuille à 20 projets pour pouvoir accompagner en plusieurs rounds de financement et permettre un meilleur suivi de nos startups.

Avec ces indicateurs, nous restons dans les normes internationales du capital risque qui investit entre 1 % à 2 % sur le total des projets qu’il reçoit. Sur ce pourcentage, il faudrait compter en moyenne un taux d’échec variant entre 50 % à 70 %, seuls les 5 % à 10 % du portefeuille permettent en général de réaliser la rentabilité escomptée par les investisseurs du fonds.

Votre sélection de projets à financer n’est-elle pas rigoureuse par rapport à la forte de demande de financement de startups ?

Notre démarche sélective s’explique par des facteurs endogènes et exogènes à chaque projet retenu. D’abord, pour les données exogènes, je peux citer le cadre réglementaire souvent contraignant ou conservateur et peu réceptif aux innovations reçues, le faible attrait du marché cible et de son offre en scalabilité, la structure du marché cible (oligopoles, monopoles, manque de transparence, prépondérance du marché informel, etc.).

Ensuite, pour ce qui est des éléments endogènes de chaque dossier soumis au financement, nous regardons de très près l’expérience et les capacités humaines et professionnelles des porteurs du projet, l’harmonie entre les associés, leur parcours et les aspects de complémentarité, le modèle économique (Business Model) du projet et ses projections de croissance et de rentabilité, sa dimension internationale et les possibilités de sortie (“Exit”) du fonds.

AIM Fund a financé 11 entreprises à ce jour avec un investissement total prévisionnel d’ici fin 2023 dans 14 projets pour un ticket global prévisionnel en premier tour de financement de 170 MDH. Quelles leçons retenez-vous de la dynamique de l’écosystème de startups et de l’innovation au Maroc ?

L’écosystème des startups a beaucoup évolué ces cinq dernières années grâce à plusieurs facteurs. En premier lieu, au plan macroéconomique, la communication intensive des médias à travers les réseaux sociaux sur les réussites des startups dans le monde offre des “rôle model” pour toute une génération qui a envie de les imiter par effet d’émulation.

“L’arrivée des réseaux sociaux a créé une dynamique sans précédent dans l’éveil de l’esprit entrepreneurial”

Khalil Azzouzi

Cette vision internationale qui nous manquait il y a une vingtaine d’années compte tenu du manque de moyens de communication a été comblée par l’arrivée des réseaux sociaux qui a créé une dynamique sans précédent dans l’éveil de l’esprit entrepreneurial. Autrement dit, l’envie d’entreprendre est beaucoup plus présente au sein de la nouvelle génération (Z) comparées aux anciennes (Y et X).

Au-delà de l’effet d’émulation et des réseaux sociaux sur l’esprit entrepreneurial des porteurs de projets, comment évaluez-vous la qualité des dossiers de financement soumis à votre fonds ?

Pour avoir évolué dans l’industrie du capital risque depuis presque une vingtaine d’années, je remarque avec une grande satisfaction l’évolution de la qualité des projets et la créativité des porteurs de projets au Maroc.

La nouvelle génération a soif de savoir et elle est animée d’une grande curiosité avec une forte envie de réussir, parfois même trop vite. Il faudrait lui donner les moyens éducatifs, intellectuels et matériels pour qu’elle puisse réaliser ses ambitions.

“La problématique de financement des startups ne se pose plus grâce à la pléthore de fonds d’investissement actifs sur le marché”

Khalil Azzouzi

Le fonds étatique “Innov Invest” combiné aux fonds levés par les sociétés de gestion de fonds sélectionnés à cet effet dans une démarche de partenariat public-privé (PPP) par Tamwilcom (ex-CCG) ont apporté une véritable dynamique à l’écosystème entrepreneurial en général et aux startups en particulier. En toute franchise, la problématique de financement des startups ne se pose plus grâce à la pléthore de fonds d’investissement actifs sur le marché.

À noter que nous recevons beaucoup de projets émanant de la diaspora marocaine et des porteurs de projets étrangers voulant faire du Maroc leur base arrière pour aller conquérir les marchés internationaux. En tant que fonds d’investissement, nous leur apportons toute notre expérience et savoir-faire, au-delà des moyens de financement, pour les aider à concrétiser leurs projets au Maroc.

Nous avons entamé depuis 2020 un nouveau cycle dans la chaîne mondiale de l’innovation, avec l’arrivée de l’Intelligence artificielle, Blockchain, Internet of Things (IoT), Robot et drones, CleanTech… et ce, après avoir vécu pendant presque 30 ans auparavant sur le digital, le software, le new média, etc.

Nous devrions saisir cette opportunité pour accompagner notre économie dans sa mue. Le rôle et le poids des startups dans la création de valeur d’un pays n’est plus à prouver. Tous les pays ayant fait de l’innovation et du financement de startups leur cheval de bataille se retrouvent aujourd’hui dans les rangs des pays les plus développés. Ces pays ne tarissent pas d’imagination pour attirer les meilleurs projets.

Le bilan d’un fonds d’investissement est évalué sur la base du mix des investissements et de ses sorties. Quelle est votre stratégie de sortie “Exit” pour les prochaines années afin de valoriser vos différents investissements ?

Comme je l’ai précisé précédemment, nous investissons dans des projets à dimension internationale qui pourront rentrer dans les radars des gros investisseurs ou corporates grâce à leur croissance rapide pendant les 4 ou 5 premières années de notre investissement. Les marchés internationaux offrent de meilleures perspectives de valorisation et de sortie pour les fonds.

Quels sont les axes de votre feuille de route d’investissement de AIM Fund AIF pour l’année 2024 ?

2024 pourrait être une année charnière entre la fin du cycle d’investissement de notre premier fonds, la préparation de sortie de notre portefeuille, et la levée d’un nouveau fonds d’investissement pour continuer à faire bénéficier l’économie marocaine et les startups de notre soutien et du savoir-faire de notre équipe dans le métier du capital risque.

Sur la base de votre expérience de plus de 20 ans dans l’investissement, quels sont, à votre avis, les leviers pour booster l’écosystème de startups au Maroc ?

Nous pouvons citer plusieurs éléments. En amont de la chaîne de valeur entrepreneuriale, il faudrait une refonte du système éducatif avec un contenu et un encadrement qui s’inscrivent dans la droite ligne des attentes de notre époque et de sa génération. Le Pacte ESRI 2030 du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation apporte un ensemble de résolutions stratégiques dont nous nous réjouissons. Sa bonne déclinaison devrait accélérer la transformation de l’écosystème éducatif au Maroc.

Pour Khalil Azzouzi, les grandes entreprises devraient ouvrir leur marché en associant les startups dans leur processus d’offre de produits et services, dans une démarche RSE.Crédit: Unsplash

Sur un second plan, il y a lieu de développer le partenariat entre les entreprises et les universités et de participer au financement et à l’encadrement de leur incubateur. En effet, la promotion des incubateurs par métiers/industries à travers un partenariat mixte public-privé devrait constituer des gisements en matière d’innovation pour notre économie dans différents secteurs tels que l’automobile, l’aéronautique, l’électronique, l’agro-industrie, le textile…

Parallèlement, le cadre réglementaire devrait anticiper la légifération des innovations et veiller à ce que les textes de loi soient prospectifs au regard de ce qui est en vigueur dans les marchés évolués et matures. En outre, il faudrait veiller à leur adoption dans des délais courts pour ne pas étouffer les initiatives de création de projets innovants.

De même, les grandes entreprises de notre pays devraient ouvrir leur marché en associant nos startups dans leur processus d’offre de produits et services. Cette démarche devrait faire partie de la responsabilité sociale de nos entreprises afin de permettre l’éclosion d’une économie innovante et compétitive au Maroc.

Au-delà de l’urgence des réformes de l’éducation et du dispositif réglementaire lié à l’innovation, l’adaptation du dispositif fiscal à l’entrepreneuriat et au capital risque n’est-elle pas un chantier prioritaire ?

Je suis tout à fait d’accord avec vous. Le cadre fiscal devrait être amélioré tant pour les startups que pour les fonds/investisseurs prenant le risque d’y investir, d’autant que les jeunes pousses demeurent souvent en courbe de pertes pendant les trois premières années de leur activité en moyenne (“J Curve”).

Il nous appartient pendant ces premières années critiques de les soutenir et de ne pas les accabler avec des charges supplémentaires, quitte à imaginer des exemptions de charges (cotisations salariales et patronales, frais d’enregistrement, etc.) et des crédits/exonération d’impôts pendant cette période.

Plus intéressant, et vu le taux d’échec des startups pendant les premières années de leur vie, il serait opportun de concevoir un moyen plus souple de mise en liquidation de ces projets dont la durée de vie est généralement limitée à 10 ans, ce qui souvent pose problème aux fonds d’investissement.

Enfin, je serai d’avis de penser à mettre en place un “Startup Act” avec la contribution des différents acteurs de l’écosystème entrepreneurial afin de le rendre plus vertueux et attractif.

Rachid Jankari est journaliste et consultant spécialisé dans le digital, l’innovation et l’intelligence économique. Il vit entre Casablanca et Istanbul.