Elle ne veut pas venir avec moi à Casa, mais ensuite elle m’a soufflé à l’oreille qu’on se mariera quand elle sera grande.” Sur cette photo, postée sur Instagram par un Casaoui s’étant rendu dans l’un des villages touchés par le drame, on le voit poser tout sourire à côté d’une enfant rescapée du séisme.
Un autre internaute poste, lui, une vidéo, les bras autour d’une petite fille à qui l’on ne donnerait pas dix ans : “Montre-moi comment tu tresses tes cheveux, tbarkellah”, lui dit-il en caressant sa tête.
Des images et messages tout aussi choquants, certains à caractère pornographique, circulent depuis le début de la semaine sur les réseaux sociaux, provoquant un tollé et poussant la Commission nationale chargée de la coordination des mesures de lutte et de prévention contre la traite des êtres humains à mettre en place un numéro spécial (0800004747) pour dénoncer les violences sexuelles que pourraient subir les enfants rescapés. Le ministère public a, de son côté, publié sur ses réseaux sociaux un lien pour déposer plainte.
“Nous avons constaté des agissements de personnes mal intentionnées, de prédateurs, qui profitent de la vulnérabilité de la population et plus particulièrement des jeunes femmes et des petites filles”, fustige Narjis Benazzou, présidente de Moroccan Outlaws.
Le collectif a d’ailleurs publié plusieurs messages sur ses plateformes pour alerter sur ce danger et communiquer les contacts mis à disposition par le ministère public.
“On ne sait pas si ces photos ont été prises avec le consentement des parents quand il s’agit de personnes mineures, mais en tout cas, on a vu passer sur les réseaux sociaux certaines photos très suggestives et qui n’ont pas lieu d’être prises et diffusées”, poursuit la militante.
Depuis hier nous recevons des captures d’écrans et des partage de témoins d’actes d’harcèlement ou de tentative de traite d’êtres humains sur les victimes du séisme d’Al Haouz. Ce sont des actes abjects qu’il faut dénoncer! pic.twitter.com/usdsaBJsP5
— Moroccan Outlaws 490 (@MoroccanOutlaws) September 13, 2023
Les plus vulnérables
Militants et associations alertent notamment sur la condition particulièrement vulnérable des enfants sur place. “Livrés à eux-mêmes, séparés de leurs proches et toujours traumatisées par les événements, ils peuvent être victimes d’exploitation ou d’agressions sexuelles puisque plus vulnérables”, souligne Narjis Benazou.
“Les personnes vont et viennent dans ces zones librement, sans contrôle ; on ne vérifie pas qui part avec qui”
Même son de cloche du côté de Sarah Benmoussa, fondatrice du mouvement #7achak. “Il est extrêmement préoccupant de constater que certains bénéficiaires de l’aide après un séisme au Maroc sont victimes d’agressions, de kidnappings et de tentatives de mariages précoces, peut-on lire dans un communiqué publié sur le compte Instagram du mouvement. Ces enfants, déjà vulnérables en raison des séquelles liées au séisme, sont en train de vivre des expériences traumatisantes qui aggravent encore davantage leur situation.”
La militante s’est d’ailleurs rendue dans les zones sinistrées le 11 septembre : “Ce sont des enfants dont on n’imagine même pas la condition. J’ai rencontré une jeune fille de 14 ans qui était déjà mère de trois enfants. Et avec le séisme et la perte de leurs proches, ces enfants sont livrés à eux-mêmes. Les personnes vont et viennent dans ces zones librement, sans contrôle ; on ne vérifie pas qui part avec qui”, s’indigne-t-elle auprès de TelQuel.
La militante et fondatrice du mouvement M.A.L.I. Ibtissame Betty Lachgar a, elle, rappelé certains chiffres sur ses réseaux sociaux : “Les catastrophes naturelles multiplient les déclencheurs de violences sexuelles à l’encontre des femmes et des filles et le risque de traite d’êtres humains. Les femmes et les filles représentent 65 % des victimes de traites. 90 % des femmes victimes de traite d’êtres humains le sont à des fins sexuelles.”
Appel au gouvernement
L’association Kif mama Kif baba a également publié un communiqué mercredi 13 septembre pour souligner le fait que “le séisme rend les enfants de ces régions encore plus vulnérables au mariage des fillettes, mais aussi aux agressions sexuelles, au travail des enfants et aux exploitations en tout genre”.
“Nous lançons un appel pour mettre en place un moratoire sur l’autorisation du mariage des enfants visant à interdire aux magistrats d’octroyer toute autorisation jusqu’à nouvel ordre”
Outre les agressions, ce sont aussi les mariages des mineurs qui inquiètent particulièrement les associatifs puisqu’ils sont autorisés si le juge accorde une dérogation. La co-fondatrice de l’association Ghizlane Mamouni est d’ailleurs montée au créneau pour alerter les autorités : “Nous lançons un appel au gouvernement pour mettre en place un moratoire sur l’autorisation mariage des enfants visant à interdire aux magistrats d’octroyer toute autorisation jusqu’à nouvel ordre ainsi qu’un décret de loi visant à pénaliser le mariage d’enfants et à sanctionner d’emprisonnement toute personne qui ‘se marie’ de façon coutumière avec une mineure ou qui facilite ce ‘mariage’”, insiste celle qui est aussi avocate.
“Tout cela est puni de prison, l’incitation à l’enlèvement et au viol d’enfants — parce qu’il ne faut pas oublier que si les mariages coutumiers ne sont pas célébrés, c’est considéré comme un enlèvement et un viol d’enfant, et tout ça est sanctionné par la loi. Sans compter la diffusion d’images sans leur consentement. Vraiment, pour le coup, c’est tellement énorme, il y a tellement de charges qui peuvent être retenues contre ces gens-là”, complète-t-elle.
Elle exhorte de surcroît les Marocains témoins de situations de mariage d’enfants ou d’exploitation à alerter immédiatement les autorités : “Les personnes qui font ça et ceux qui voient ça et se taisent s’exposent à la prison.” Et la militante de rappeler que Kif mama Kif baba est en capacité de relayer les plaintes aux autorités. Ghizlane Mamouni compte d’ailleurs dès à présent déposer les premières plaintes : “Demain je porte plainte contre chaque cas qui m’est remonté et que j’arrive à identifier. Et je continuerai comme ça, tous les cas qui seront remontés, prioritairement d’agressions sexuelles, mais aussi tous ceux qui appellent à faire ça, un à un on les poursuivra. On a mis en place un numéro avec Kif mama kif baba. On a des gens qui sont sur place avec des associations partenaires qui font état de beaucoup de cas de harcèlement, mais c’est très compliqué de répertorier tous ces cas, c’est nouveau et c’est pour ça qu’on appelle aussi l’État à se mobiliser”.
Un appel également lancé par Moroccan Outlaws, comme le souligne à TelQuel Narjis Benazzou : “À notre niveau, nous demandons à toutes les personnes qui ont été victimes de tentatives d’agressions ou d’exploitation de ne pas hésiter à contacter des associations comme Touche pas à mon enfant ou SOS Villages d’enfants, ou de contacter le CNDH pour signaler ces faits.”
Protection difficile sur le terrain
Une “horreur” dénoncée depuis des années par l’INSAF qui tente d’éradiquer cette pratique “criminelle”. Les bénévoles de l’association sont d’ailleurs présents dans les zones touchées par le séisme depuis samedi. “Effectivement il y a des prédateurs qui ternissent les belles actions sur place. Comme dans toutes les catastrophes humanitaires il y a de sinistres personnages qui vont abuser de la crédulité des enfants. De notre côté nous veillons à la sécurité de nos bénéficiaires. Nous allons faire de la sensibilisation pour prevenir les villageois d’eventuels escrocs”, soupire Meriem Othmani, présidente de l’INSAF.
Et la militante, depuis Al Haouz où elle est active depuis samedi, de continuer : “On s’occupe de ce que l’on peut faire concrètement, fournir à ces enfants vulnérables les produits de première nécessité dont ils ont besoin, on fait également de la prévention sur place, comme nous l’avons toujours fait, pour sensibiliser les populations aux dangers des mariages précoces. Les enfants devenus orphelins suite au séisme sont généralement accueillis par la famille élargie et cela est une excellente alternative. ”
Pour Ghislaine Mamouni, l’urgence est aujourd’hui de mettre en place des structures de protection : “Il faut un dispositif spécifique de protection des enfants, qui aille de la protection contre les agressions à la scolarisation, parce que ce sont les populations les plus exposées quand il y a une tragédie comme celle-ci.”