Séisme : pourquoi le Maroc est particulièrement vulnérable

Le séisme qui vient de frapper le Maroc, provoquant la mort de plus de 1000 personnes selon un dernier bilan ce samedi, interpelle sur la vulnérabilité du Royaume face aux risques sismiques, ainsi que sur la prédominance des immeubles à étages souples, qui sont particulièrement fragiles.

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(Cet article, initialement publié en mars 2023 suite au séisme en Turquie, a été mis à jour le 9 septembre 2023)

Les immeubles à étages souples seraient répandus au Maroc, en raison de leur coût réduit. Selon Nabil Mekaoui, expert en génie parasismique et enseignant-chercheur à l’École Mohammadia d’ingénieurs (EMI), qui a effectué une partie de ses études au Japon, explique à TelQuel la vulnérabilité de ce type de construction.

Du béton mal armé

Nabil Mekaoui, expert en génie parasismique.Crédit: DR

Ces bâtiments sont habituellement constitués de plusieurs étages, dont un ou plusieurs sont très flexibles horizontalement par rapport aux étages adjacents. Lorsque ce type de construction est exposé à une force horizontale, comme durant une secousse sismique, les étages souples subissent des déformations importantes qui peuvent menacer la stabilité des éléments porteurs du bâtiment, tels que les poteaux et les poutres.

Cette situation est très courante au niveau des rez-de-chaussée, souvent destinés à un usage commercial (café, magasin, garage…) et conçus avec une architecture nécessitant moins de maçonnerie de remplissage que les étages supérieurs, ce qui les rend moins rigides. En cas de séisme, les étages supérieurs se déplacent comme un bloc rigide, tandis que le rez-de-chaussée souple se déforme ou s’effondre, augmentant le risque d’écroulement total du bâtiment et causant des pertes humaines et matérielles considérables”.

“Ce type d’effondrement emprisonne les survivants sous des matériaux de construction lourds, ce qui rend les missions de sauvetage encore plus difficiles”

Nabil Mekaoui, expert en génie parasismique

Et Nabil Mekaoui d’ajouter : “Ce type d’effondrement emprisonne les survivants sous des matériaux de construction lourds, ce qui rend les missions de sauvetage encore plus difficiles”.

L’histoire le confirme, les bâtiments à étages souples résistent très mal aux séismes de forte et moyenne magnitudes. Par exemple, lors du tremblement de terre de magnitude 6,7 de Northridge en Californie en 1994, presque tous les bâtiments à étages souples se sont écroulés, entraînant la mort de 70 personnes et la destruction de 40.000 logements.

De même, lors du tremblement de terre de Chi-Chi (magnitude de 7,6 à 7,9) à Taïwan en 1999, de nombreuses structures semblables aux constructions californiennes ont subi un effondrement complet en raison de leurs étages souples, tuant plus de 2400 personnes et détruisant plus de 9900 bâtiments.

Au Maroc, où l’activité sismique est relativement modérée, la vulnérabilité des constructions, notamment celles comportant des étages souples, a déjà causé des dégâts majeurs lors de séismes. Comme celui d’Agadir en 1960 (magnitude 5,7), qui a provoqué la mort de plus de 12.000 personnes et la destruction de 75% de la ville. Plus récemment, le séisme d’Al Hoceïma en 2004 (magnitude 6,3), a tué plus de 620 personnes et détruit plus de 2500 bâtiments.

“Le Maroc particulièrement vulnérable”

“Même si l’on peut dire que le risque sismique est modéré au Maroc, la vulnérabilité est loin de l’être. C’est justement là que réside le problème”

Global Earthquake Model (GEM) Foundation

Contactée par TelQuel, la Global Earthquake Model (GEM) Foundation, organisation à but non lucratif lancée en mars 2009 à l’initiative du Forum mondial de la science de l’OCDE, nous confirme que le risque sismique au Maroc provient essentiellement de la vulnérabilité des constructions. “Même si l’on peut dire que le risque sismique est modéré au Maroc, la vulnérabilité est loin de l’être. C’est justement là que réside le problème”, souligne la GEM Foundation, une référence en matière d’estimation des dégâts potentiels (humains, sociaux, économiques, financiers…) des secousses sismiques.

Et de préciser :“Si nous prenons en compte la densité de la population dans les zones les plus sismiques du pays, où se trouve d’ailleurs la majeure partie de la richesse, et si on y ajoute la concentration de bâtiments vulnérables notamment ceux à étages souples dans la région, nous obtenons un risque élevé de dégâts humains et matériels qui peuvent déstabiliser l’économie du pays”.

Les calculs de la GEM Foundation sont effectués sur la base des indicateurs sociaux de chaque pays, de la sismicité historique et de la vulnérabilité des bâtiments et des infrastructures.

“Nous rappelons qu’on ne meurt pas d’un tremblement de terre, mais de l’effondrement des bâtiments qu’il provoque. Il vaut mieux prévenir qu’ensevelir”

Global Earthquake Model (GEM) Foundation

Ce qui ressort de notre analyse du Maroc, c’est que ce pays est particulièrement vulnérable. D’où l’importance d’une stratégie de prévention et d’anticipation pour réduire les pertes, notamment à travers la mise en place de normes parasismiques qui soient rigoureusement respectées. Nous rappelons qu’on ne meurt pas d’un tremblement de terre, mais de l’effondrement des bâtiments qu’il provoque. Il vaut mieux prévenir qu’ensevelir”, souligne l’ONG.

Comment éviter, à l’avenir, des tragédies ? Pour nos interlocuteurs, la réponse réside dans une conception et une construction adéquates des bâtiments, en particulier ceux à plusieurs étages, ainsi qu’un contrôle plus strict des normes parasismiques, qui ne sont pas appliquées systématiquement dans toutes les régions du pays.

“Le Maroc ainsi que d’autres pays proches des lignes de faille comme la Turquie peuvent tous être sujets à des tremblements de terre plus au moins intenses, mais ces catastrophes pourraient ne pas être aussi meurtrières si les autorités font appliquer strictement les codes parasismiques et instituent le ‘logement sûr’ comme droit humain”, précise la GEM Foundation.

En Turquie comme au Maroc prédominent les immeubles à étages souples, qui sont particulièrement vulnérables aux secousses sismiques.Crédit: BULENT KILIC / AFP

Questions en suspens

Au niveau national, un premier règlement a été imposé dans le périmètre urbain d’Agadir après le séisme de 1960, mais il a fallu attendre 2002 pour qu’un décret sur la construction parasismique (RPS 2000) et établissant un zonage sismique du Maroc soit adopté. Ce texte a été révisé et amélioré en 2011 pour une meilleure applicabilité.

Un deuxième plan de prévention contre les risques naturels a été lancé par le royaume après le séisme d’Al Hoceïma en 2004. Mais là ou le bât blesse, c’est au niveau des contrôles et de l’application de ces règlements, soulignent nos interlocuteurs.

Les organismes chargés de surveiller le respect des normes parasismiques au Maroc et ayant les compétences techniques à cet effet, qui sont les bureaux de contrôle technique, ne disposent pas encore d’un arsenal législatif et réglementaire qui définit clairement les modalités de leur intervention dans l’acte de bâtir. Ils interviennent généralement dans le cadre de l’assurance de responsabilité civile décennale (un contrat d’assurance couvrant principalement les dommages liés à la solidité du bâtiment réalisé) et l’agrément de l’exercice de leur métier est accordé par des sociétés de réassurance”, regrette Nabil Mekaoui.

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Autre point qui interpelle : si un règlement parasismique n’a été adopté au Maroc qu’en 2002, tous les bâtiments construits avant cette date risquent-ils de s’effondrer à la moindre secousse ? Une chose est sûre, il est très difficile d’évaluer la résistance parasismique des bâtiments au Maroc ou de connaître la proportion de bâtiments à étages souples à travers le pays.

En l’absence de chiffres officiels, TelQuel a tenté d’obtenir des réponses du côté du Ministère de l’Aménagement du territoire, de l’urbanisme, de l’habitat et de la politique de la ville. À l’heure où nous mettions sous presse (en mars 2023, ndlr) aucune réponse à nos questions n’est parvenue à la rédaction.

“Une évaluation de l’étendue de la vulnérabilité sismique du bâti existant au Maroc doit être menée pour réellement évaluer la résistance parasismique des bâtiments à travers le pays”

Nabil Mekaoui

“Une évaluation de l’étendue de la vulnérabilité sismique du bâti existant au Maroc doit être menée pour réellement évaluer la résistance parasismique des bâtiments à travers le pays. Un règlement d’évaluation sismique et de renforcement devrait être établi et utilisé à cet effet. Théoriquement, le risque sismique a été atténué dans les constructions post-2002 puisqu’en principe le respect du règlement est devenu obligatoire depuis. Pour tous les bâtiments construits avant cette date, il va falloir établir le premier règlement marocain d’évaluation sismique des bâtiments existants et de renforcement”, conseille Nabil Mekaoui.

En mars dernier, le Conseil national de l’Ordre des architectes marocains a appelé la profession, dans une lettre, au respect du règlement de construction parasismique et des exigences de construction antisismique pour les bâtiments et les ouvrages de génie civil.

De son côté, la ministre de l’Habitat, Fatima-Ezzahra El Mansouri, avait annoncé avoir réalisé avec ses équipes une cartographie au niveau de la province d’Al Hoceïma.

Une évaluation des pertes potentielles en cas de séisme a même été réalisée par anticipation. Et une approche visant à intégrer les conclusions des études effectuées dans la stratégie d’urbanisation au niveau de l’ensemble de la province, ainsi qu’au niveau d’autres concentrations urbanistiques, notamment en ce qui concerne les plans d’aménagement, a même été adoptée.

Outre Al Hoceima, nous nous sommes également attardés sur le cas d’Agadir. Un travail de fond est effectué au niveau de la réglementation urbanistique de cette zone, entre autres au niveau du Schéma directeur d’aménagement urbain (SDAU). Un intérêt particulier est également accordé à la mise en œuvre sur le terrain des dispositions réglementaires décidées dans le cadre de l’approche suivie par les pouvoirs publics, qui ont décidé de privilégier l’anticipation”, a répondu la ministre aux parlementaires qui lui ont demandé, après le séisme de Turquie, si son département avait anticipé les risques sismiques dans certaines régions. Un début de prise de conscience ?

Sécurité

Comment s’assurer que votre logement (actuel ou en construction) respecte les normes parasismiques ?

En faisant appel à à un bureau d’études ou de contrôle agréé, ou bien sûr, à un expert en génie parasismique, nous indique Nabil Mekaoui. Ils pourront vérifier si la structure est conforme aux normes.

Cette prestation technique est évidemment plus simple et économique à réaliser durant les phases de conception et de construction d’un bâtiment. Mais on peut également faire expertiser un logement avant de l’acheter, de le louer, ou… de décider de déménager.