A l’exception de quelques rares sociétés, abusivement qualifiées de primitives par les puissants, l’histoire humaine est celle de peuples motivés par la constitution de puissances militaires, commerciales, industrielles, technologiques ou culturelles.
Et de tous temps, ces puissances s’essoufflent et sont supplantées par d’autres dans un cycle continu de flux et reflux des empires et des civilisations.
La fin du premier cinquième du 21ème siècle restera dans l’histoire comme un moment où les Etats-Unis, première puissance militaire, économique, scientifique et culturelle n’arrive pas à éduquer, loger, soigner et nourrir une partie significative de sa population.
Dans le pays champion de la liberté, l’espérance de vie de la population est en baisse. De nombreux Américains découvrent qu’ils ont, en fait, la liberté de mourir dans un pays qui dispose, pourtant, d’un système de santé à la pointe du progrès, ou de connaître la faim dans la première puissance agro-alimentaire.
Face à cette hyperpuissance en panne, nous avons vu s’élever une rivale, la Chine, qui adopte le même modèle de développement économique et se flatte d’offrir plus de bien-être matériel à sa population et de mieux la soigner, fut-ce par la force comme pendant la crise du Covid-19, mais au prix d’un système politique totalitaire et de restrictions sévères des libertés individuelles et collectives.
Les percées spectaculaires de la Chine dans les sciences, les technologies, l’intelligence artificielle, les industries et l’armement s’inscrivent ouvertement dans un projet tout aussi hégémonique que celui des Etats-Unis.
La crise du modèle économique déployé par les hyperpuissances rivales et ses nombreux dommages collatéraux, humains et environnementaux, nourrissent la dénonciation du PIB comme étalon ultime du développement et la quête de conceptions alternatives du développement.
Dans ce paysage, des pays plutôt européens, petits par la géographie et la démographie, montrent qu’il n’est pas nécessaire d’être une hyperpuissance pour assurer à ses citoyens une meilleure qualité de vie, dans la liberté et l’exercice de leurs capacités. Ils constituent des modèles alternatifs de développement qui peuvent nous inspirer.
Le Maroc doit chercher sa troisième voie, entre la liberté sans le bien-être matériel et le bien-être matériel sans liberté.
Fidèle à son tempérament, profondément ancré dans son histoire, de modération et de recherche du juste milieu, le Maroc doit participer à ce double mouvement, conceptuel et pratique, et chercher sa troisième voie, entre la liberté sans le bien-être matériel et le bien-être matériel sans liberté.
Rechercher une troisième voie ne signifie pas, pour autant, l’abandon de la volonté de puissance car c’est elle qui constitue le carburant de la vie, qui donne aux personnes et aux groupes humains des raisons de se surpasser en espérant que demain sera mieux qu’aujourd’hui.
Mais, la quête de puissance qui portera le Maroc vers son destin sera celle d’un « jihad » et d’un « ijtihad » au profit de son peuple et de l’humanité, non celle de dominer d’autres peuples ou de prouver une quelconque supériorité.
Par sa géographie, son histoire, sa civilisation et son capital humain, le Maroc sera un laboratoire où les Marocains élaborent un modèle où la modernité est mise au service de la vie bonne.
Le laboratoire marocain sera construit sur l’idée que la quête de puissance n’est pas nécessairement un jeu à somme nulle, avec des gagnants et des perdants. Le Maroc mettra sa puissance d’exister au service d’un projet humaniste, ancré dans son patrimoine spirituel, culturel et institutionnel où le développement est un jeu à somme positive, où le développement d’un peuple favorise celui des autres et s’en nourrit.
Pour se réaliser comme puissance de vie, le Maroc mobilisera son patrimoine naturel, ses institutions, ses finances publiques, son économie et sa société civile au service de la vie bonne pour le plus grand nombre de ses citoyens et des peuples avec lesquels il entretient des rapports d’échange et d’amitié.
Dans le Maroc puissance de vie, l’eau, l’énergie, l’agriculture, les ressources minières, les richesses halieutiques, l’éducation, la santé, la recherche, l’urbanisme, les infrastructures, le numérique, l’industrie et la finance seront alignés vers un seul but ultime : permettre au plus grand nombre de ses citoyens de réaliser leur être et contribuer aux biens communs de leur pays et de l’humanité.
L’histoire récente montre que le Maroc est capable de réussir des paris qui ont pu ressembler, de prime abord, à des utopies hors de portée : objectif du million d’hectares irrigués, marche verte, transformation de l’OCP en leader industriel mondial, développement d’écosystèmes industriels dans l’automobile, l’aéronautique ou la pharmacie, investissements dans le réseau autoroutier, le TGV, les ports, les aéroports, les télécommunications et la transition énergétique.
Dans d’autres domaines, comme l’éducation, l’emploi, l’habitat, la santé, l’équité sociale et territoriale, l’inclusion des femmes, l’urbanisme, la recherche, la santé, la lutte contre la corruption, ou la conduite de l’action publique, le chemin à parcourir pour faire du Maroc une puissance de vie sera encore long et caillouteux.
L’existence d’un écart entre le rêve et la réalité est la marque de toute utopie. Quand une utopie peut puiser dans des réalisations qui la rendent attractive et plausible, comme c’est le cas pour le Maroc, elle devient réaliste.
Poursuivant son utopie réaliste, le Maroc deviendra une puissance de vie et aura contribué, ainsi, à établir un modèle de développement alternatif à la quête de puissance porteuse de domination, de guerre et de souffrance.