[Tribune] Hamid Bouchikhi : “Pour gouverner bien et vite, les partis politiques doivent se préparer à gouverner”

Les observateurs de la chose publique constatent que les gouvernements successifs mettent du temps, un an voire deux ou plus, à traduire le programme présenté par leur chef devant le Parlement en textes législatifs. Pourquoi ?

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Hamid Bouchikhi
Hamid Bouchikhi, membre de la CSMD et doyen de l’université de SolBridge International Business School en Corée du Sud.

La réponse est simple. Les partis politiques ne se préparent pas sérieusement à gouverner et n’y investissent pas le temps et les ressources nécessaires. Au mieux, les partis se préparent à participer aux campagnes électorales et inventent, pour les besoins de la cause, des programmes sommaires qui ne semblent pas, d’ailleurs, les engager et qui s’oublient très vite.

Le lendemain des élections, les partis constatent, voire sont surpris par les scores. Le Chef de l’Etat charge le leader du parti arrivé en tête de former un gouvernement. Il s’ensuit une période de tractations intenses pour dessiner un gouvernement, répartir les postes et écrire, à toute vitesse, un programme de gouvernement.

Contrairement à l’Allemagne, cas certes extrême, où les négociations entre les partis s’étendent sur plusieurs semaines et mobilisent des centaines d’experts qui y viennent munis des programmes de leur parti, la production d’un programme de gouvernement prend très peu de temps au Maroc ; l’essentiel du temps étant pris par le dessin du gouvernement et la répartition des portefeuilles.

Contrairement au système britannique où le parti dans l’opposition forme un gouvernement parallèle, ou shadow cabinet, qui permet aux porteurs des grands dossiers de se préparer à exercer des responsabilités en cas de victoire électorale, les ministres marocains apprennent leur nomination peu de temps avant l’annonce publique. Ceux qui n’ont pas eu la possibilité de se préparer ont besoin de plusieurs mois pour prendre en main leur département et élaborer un projet.

Le peu d’investissement dans les programmes et l’absence de dispositifs de préparation des futurs ministres expliquent le retard pris par le gouvernement actuel dans la mise en œuvre de réformes structurantes et la production des textes législatifs nécessaires. Devant cet état de chose, l’opposition du moment a beau jeu pointer la lenteur du gouvernement et ne doit pas oublier qu’elle pourrait se trouver dans la même situation au lendemain de la prochaine élection.

Dans les démocraties plus établies, les partis se préparent à gouverner et mettent en place des dispositifs, coûteux en temps et en argent, pour élaborer un programme et le traduire dans des projets de lois et autres dispositifs réglementaires.

A la décharge du gouvernement, il faut rappeler la longueur et la complexité du parcours d’un projet de loi ou même de décret alors que ce dernier ne passe pas par le parlement. Parce que les délais de production de textes sont incompressibles, le gain de temps ne peut se faire qu’en amont.

Dans les démocraties plus établies, les partis se préparent à gouverner et mettent en place des dispositifs, coûteux en temps et en argent, pour élaborer un programme et le traduire dans des projets de lois et autres dispositifs réglementaires. Ainsi, les partis qui sortent victorieux d’une campagne électorale disposent d’un programme solide et d’une équipe prête à le mettre en œuvre (they hit the ground running, selon une expression américaine courante).

La préparation de programmes, leur traduction en plans d’action et la rédaction de projets de textes juridiques nécessite la mise en place d’une organisation et le recrutement de plusieurs experts. Il n’est pas sûr que les partis politiques marocains disposent des ressources nécessaires à la mise en place d’une technostructure permanente.

Pour les aider à gouverner vite et bien, l’Etat devrait probablement revoir à la hausse le financement public des partis politiques. Mais la collectivité nationale ne pourrait pas augmenter l’investissement dans la démocratie sans une réforme profonde de la culture politique, du fonctionnement des partis politiques et sans un contrôle plus strict de l’emploi de l’argent public.

Pour mériter un plus grand soutien de la collectivité nationale, les partis politiques doivent prouver leur utilité au développement de la démocratie, se mettre effectivement au service du bien commun, et mieux faire pour convaincre nos concitoyens de leur mission d’intérêt public.

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Hamid Bouchikhi est professeur de management à l’Essec Business School et ancien membre de la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD).