Mark Rutte est tout sourire au moment de prendre la pose devant notre photographe, au milieu du jardin de la Kasbah des Oudayas, ce 21 juin. Le Premier ministre néerlandais n’est pas venu visiter le tout proche Musée de la parure qui a récemment ouvert ses portes au cœur de la capitale. Il est juste venu apprécier le panorama qu’offre l’ancien camp militaire sur Salé où il a rencontré son homologue Aziz Akhannouch, quelques heures plus tôt dans un hôtel situé à quelques encablures de la Marina.
L’occasion pour les deux hommes de présider la signature de deux mémorandums d’entente entre le Maroc et les Pays-Bas sur le développement d’infrastructures et une collaboration accrue dans le domaine des énergies renouvelables.
Depuis la Kasbah des Oudayas, le minister-president néerlandais a également sans doute apprécié la vue glorieuse d’un Bouregreg qu’il voit pour la première fois. Car, même s’il a passé 12 ans à la primature néerlandaise, c’est la première fois que Mark Rutte visite le Maroc.
Une anomalie, tant la relation entre les deux pays devrait être intense au vu de l’importance de la diaspora marocaine aux Pays-Bas. Le pays des Oranje figure, qui plus est, parmi les principaux partenaires commerciaux du Maroc. Cette visite inédite du Premier ministre néerlandais a donc des airs de confirmation d’un nouveau départ dans la relation entre les deux pays, qui avaient presque perdu le contact il y a de cela quelques années.
Le Hirak de la discorde
En 2019, la relation entre Rabat et La Haye est au plus bas, le Maroc considérant que les Pays-Bas se sont ingérés dans ses affaires intérieures. Tout commence avec l’affaire Saïd Chaou, en 2017. Cet ancien élu marocain, également détenteur de la nationalité néerlandaise, est accusé par le Maroc de “crimes graves liés à la constitution d’une association de malfaiteurs et de crime d’homicide volontaire ainsi que de délits de corruption et de trafic international de stupéfiants”.
Chaou, qui possède de nombreux coffeeshops aux Pays-Bas, est arrêté en septembre 2017 par les autorités néerlandaises suite à un mandat international émis par le Maroc. Mais les Pays-Bas refusent de l’extrader. Rabat soupçonne Saïd Chaou, en plus, de financer le mouvement de contestation du Rif. Conséquence immédiate : le Maroc décide de rappeler son ambassadeur pour consultations.
Quelques mois plus tard, la tension entre Rabat et La Haye à propos du Hirak s’intensifie. Devant le parlement néerlandais, le ministre des Affaires étrangères, Stef Blok, présente un rapport sur le mouvement rifain quelques semaines seulement après la condamnation de ses principaux meneurs. Blok qualifie d’“inquiétantes” les condamnations prononcées par la justice marocaine.
Quelques semaines plus tard, une discussion houleuse a lieu entre Stef Blok et son homologue marocain Nasser Bourita, qui critique vertement la position néerlandaise vis-à-vis du Hirak. Les relations diplomatiques sont maintenues mais les échanges sont quasi inexistants.
“Cette période a été la plus difficile pour la relation Maroc-Pays-Bas”, nous confiait, en 2022, un acteur de cette relation. En pleine crise du Covid-19, les relations entre Rabat et La Haye frisent la rupture. A l’occasion d’une conférence de presse sur la gestion de la pandémie, Nasser Bourita tacle à la gorge la diplomatie néerlandaise qu’il accuse d’avoir privilégié les Néerlandais de “souche” dans le cadre des opérations de rapatriement des citoyens néerlandais bloqués au Maroc.
Lune de miel
Les deux pays sont pourtant conscients de la nécessité d’entretenir leurs relations. Les contacts reprennent. D’abord au niveau des différents directeurs au sein des deux diplomaties, puis au niveau ministériel. Cette réconciliation en cours aboutit à un “plan d’action” qui fait office de référence dans le cadre de la relation entre Rabat et La Haye.
Un document dans lequel les Pays-Bas s’engagent notamment à ne plus intervenir dans les affaires internes du Maroc, et inversement. “Cet accord a permis d’aplanir les choses. Et surtout de préciser que les relations entre les deux pays se basent sur le respect de la souveraineté de chacun”, résume notre source proche du dossier. Quelques mois plus tard, les Pays-Bas annoncent leur soutien au plan d’autonomie marocain pour le Sahara.
Depuis, la coopération entre les deux s’est intensifiée et étendue à de nombreux domaines: sécurité, migration, culture, énergies renouvelables… Du côté de La Haye, on semble avoir tiré les bonnes conclusions. Une relation apaisée avec le Maroc – notamment sur le Sahara – peut mener à un partenariat multidimensionnel.
Lors de sa rencontre avec Aziz Akhannouch, Mark Rutte a rappelé qu’il était conscient de l’importance de ce dossier dans les esprits marocains. C’est la principale marque d’un nouvel élan, visible sur le visage apaisé de Mark Rutte, ce jour-là dans le jardin de la Kasbah des Oudayas. Il projetterait d’autres visites, ayant émis le désir de découvrir Tanger et Fès. Et même se frotter au rythme effréné de Casablanca.
Lire l’interview exclusive de Mark Rutte :
“Les relations entre le Maroc et les Pays-Bas sont plus fortes que jamais”