Yassine Jamali, vétérinaire : “Les chiens ne sont pas des nuisibles à abattre, mais des animaux à traiter”

Docteur vétérinaire et agriculteur dans la région de Kelaat Sraghna, spécialiste de la méthode de contrôle des populations canines TNVR et très impliqué dans la prévention des zoonoses canines et de la rage, Yassine Jamali, qui n’est pas partie prenante de la Convention visant à lutter contre la prolifération des chiens errants, signée en 2019 entre le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Santé, l’ONSSA et l’Ordre national des vétérinaires, évoque avec pragmatisme les solutions au problème des chiens errants.

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"Si le TNVR au Maroc n’est pas de la science-fiction, c’est, pour l’instant, grâce aux associations qui l’appliquent à leurs frais", rappelle Yassine Jamali. Crédit: SFT Tanger

TelQuel : Le TNVR (capturer, stériliser, vacciner et relâcher) est-il efficace pour réguler la population canine ?

Yassine Jamali, vétérinaire.Crédit: Dr

Tout dépend de la vitesse d’application. Jusque-là, on n’a fait des efforts que pour tuer les chiens, car c’est plus facile que d’appliquer le TNVR. Or, au-delà de sa cruauté, l’abattage n’est absolument pas efficace. Il y aura toujours de nouveaux chiens pour repeupler le territoire.

La preuve, c’est que certaines années, on a abattu plus de 200.000 chiens dans le pays, et il y en a toujours plus. En Tunisie, il y avait un million de chiens en 2010, et ils en ont tué 600.000. En 2012, la population canine était revenue à la normale. Tuer 60 % de leur cheptel n’a donc servi absolument à rien. Pour avoir moins de chiens, il n’y a pas d’autre solution que le TNVR, combiné à une meilleure gestion des poubelles et des décharges.

Et pour éradiquer la rage ?

“Le TNVR est très efficace pour réguler la population canine, protéger les citoyens et limiter les nuisances, mais pour éradiquer la rage, ça me paraît insuffisant”

Yassine Jamali

Le TNVR est très efficace pour réguler la population canine, protéger les citoyens et limiter les nuisances, mais pour éradiquer la rage, ça me paraît insuffisant. Il faut une solution sanitaire massive. Je pense aux appâts vaccinaux qui ont très bien fonctionné au Canada en 2018, lorsque 350.000 appâts ont été lâchés par drones à la frontière avec les États-Unis suite à 10 cas de rage observés chez les ratons laveurs. Ça a très bien fonctionné.

Avant cela, la rage a été éradiquée dans toute l’Europe de l’Ouest grâce à la vaccination orale du renard. Les appâts contiennent des antiparasitaires et des vaccins, ils fonctionnent sur les renards, coyotes, loups, ratons laveurs, blaireaux… donc pourquoi pas les chiens ?

En mangeant l’appât, ils sont vaccinés contre la rage pour une durée d’au moins une année et déparasités contre le ténia responsable de l’hydatidose. Une solution à moindre coût qui mérite d’être essayée, je pense.

Donc le programme TNVR ne serait qu’une solution partielle à la gestion des chiens errants ?

Je suis un peu revenu du TNVR comme solution ultime, effectivement. Je crois qu’il faut combiner trois choses pour réguler la population canine et éradiquer la rage : faire du TNVR massivement en milieu urbain, et parallèlement miser sur des appâts vaccinaux et une meilleure gestion des poubelles à l’échelle nationale. Quand il n’y a plus de poubelles, il n’y a plus de nourriture pour les chiens.

Au Maroc, nous avons 3 millions de chiens, et il y a déjà un génocide “naturel”, lié aux maladies et au manque de nourriture : les chiennes errantes mettent bas au moins deux fois par an et leurs chiots, des centaines de milliers, crèvent de faim.

Où en est l’application du TNVR préconisée par le ministère de l’Intérieur depuis 2019 ?

Un vétérinaire et son assistant peuvent, grâce à de nouvelles techniques chirurgicales, stériliser 25 chiennes par jour, précise Yassine Jamali.Crédit: DR

Il y a des annonces, mais la mise en œuvre n’a pas encore commencé. L’aspect logistique doit poser problème, l’argent aussi. Stériliser une chienne coûte 800 dirhams dans le cadre de la convention. Si on prend un million de chiennes errantes, on en est déjà à 800 millions de dirhams.

Plutôt que de rémunérer l’acte, on pourrait peut-être établir un forfait par jour, plutôt qu’un montant par chien stérilisé, ce qui réduirait la facture. Car un vétérinaire et son assistant peuvent, grâce à de nouvelles techniques chirurgicales, stériliser 25 chiennes par jour.

Reste à déterminer quelle serait la juste rémunération à la journée, ce programme n’étant pas assimilable à du travail en clientèle ; il s’agit plutôt d’une activité de type mandat sanitaire, comme pour les campagnes de vaccination des bovins, ovins, caprins…

Si le TNVR au Maroc n’est pas de la science-fiction, c’est, pour l’instant, grâce aux associations qui l’appliquent à leurs frais. Il serait dommage d’écarter les associations de ce programme, car sans elles, on ne parlerait même pas du TNVR au Maroc aujourd’hui.

Pourtant, les associations ne semblent pas avoir été impliquées dans le programme…

Je n’ai pas connaissance du mode opératoire prévu pour la mise en œuvre du programme TNVR. Il est pourtant facile, au vu des documents et rapports d’activité de chaque association, de choisir celles qui ont fait leurs preuves par le passé.

Bien entendu, le contrôle de leurs activités par le maître d’œuvre et bailleur de fonds sera toujours nécessaire pour cadrer les procédures et éviter des dérapages comme celui qui s’est produit dernièrement près de Rabat (le scandale d’El Arjat, premier dispensaire officiel pour l’application du TNVR, géré par une association nouvellement créée, où les chiens étaient laissés à l’abandon, sans nourriture, ndlr).

Quant à Casa Baïa qui a été missionnée pour la capture des chiens dans la région de Casablanca, cette société gère, selon son site internet, “les déchets et les nuisibles”. Le vocabulaire utilisé montre bien qu’il faut un changement de regard sur les chiens, qui ne sont pas des nuisibles à abattre, mais des animaux à traiter.

La présence des chiens dérange des habitants certes, mais c’est le côté sanitaire qui doit préoccuper les autorités en priorité.

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