Quand il a foulé le tarmac de l’aéroport de Rabat, le 2 mai dernier, Shai Cohen n’était encore qu’un simple membre de la délégation accompagnant le ministre israélien de l’Économie Nir Barkat lors de sa première visite officielle au Maroc.
Mais le diplomate ne quittera pas le royaume : sa nomination en tant que chef du bureau de liaison d’Israël au Maroc est annoncée dans la foulée, actant ainsi le remplacement d’Alona Fisher-Kamm, dont la mission a pris fin en avril dernier.
Pour éviter des erreurs de casting, Tel-Aviv a donc minutieusement choisi le nouveau chef de sa représentation diplomatique à Rabat
Cette diplomate expérimentée avait été envoyée en renfort en septembre 2022 alors que la légation israélienne était éclaboussée par des allégations de harcèlement sexuel et de malversations financières contre David Govrin, le chef du bureau de liaison depuis son ouverture en janvier 2021. Pour éviter des erreurs de casting, Tel-Aviv a donc minutieusement choisi le nouveau chef de sa représentation diplomatique à Rabat.
Diplomate et VRP pour l’industrie militaire
Né en 1965, Shai Cohen étudie les relations internationales à l’Université hébraïque de Jérusalem, et intègre dans les années 1990 le personnel du réseau des 70 ambassades israéliennes dans le monde. Adjoint principal à la Direction nationale de la culture et des arts, il est également passé par les bureaux économiques chargés de l’Europe de l’Est, de l’Ouest et de l’Amérique du Nord avant de rejoindre le pôle diplomatique chargé du contrôle des exportations israéliennes.
Il officie ensuite comme conseiller diplomatique à l’ambassade d’Israël à Rome, en Italie, et à Montevideo, en Uruguay, puis est nommé consul général d’Israël à Istanbul, poste qu’il occupe jusqu’en 2017. Il est alors désigné conseiller diplomatique de la Knesset sur les questions de politiques internationales.
Israël a donc choisi, pour diriger son bureau de liaison au Maroc, un diplomate chevronné, qui, à 58 ans, peut se targuer d’une expérience de 30 ans dans les relations étrangères. Mais pas que.
Car Shai Cohen est également un spécialiste des questions de défense et de sécurité. Au moment de sa nomination à Rabat, il occupait depuis 2021 le fauteuil d’envoyé spécial du ministère des Affaires étrangères en charge des exportations et de la coopération en matière de défense. Cette expérience ne peut que lui servir pour étoffer les relations entre Rabat et Tel-Aviv, particulièrement sur le volet de l’armement.
Déjà friand d’équipements militaires israéliens avant la normalisation, le Maroc remplit depuis lors les hangars des Forces armées royales (FAR) avec des armes en provenance de l’État hébreu. Cette importation massive est encadrée par la signature de deux accords de défense qui renforcent la nouvelle alliance militaire entre les deux pays.
Ainsi, en novembre 2021, le Maroc et Israël signent un accord de défense historique. Au-delà d’une collaboration dans l’industrie militaire, les renseignements et la formation, ce premier accord israélien avec un pays arabe encadre aussi la vente d’armes au royaume. En mars 2022, les deux pays ratifient un deuxième accord complémentaire qui définit la coopération opérationnelle entre Tsahal et les FAR, mais aussi la collaboration en matière de renseignements militaires et de formation, particulièrement pour contrer l’Iran qu’on dit très proche de l’Algérie voisine.
Fin connaisseur des arcanes des armuriers israéliens, Shai Cohen pourrait permettre d’accélérer le projet de transfert de technologie entre les deux pays, et notamment l’usine de fabrication de drones israéliens sur le sol marocain.
Vers un échelon supérieur de représentation
Mais à Tel-Aviv, on insiste sur la maîtrise des langues (italien, anglais, espagnol et français) de ce divorcé et père de deux enfants et sa maîtrise des dossiers diplomatiques majeurs de l’Etat hébreu. Surtout, l’une des premières missions de Shai Cohen, qui a confirmé sa prise de fonction le 15 mai sur Twitter, est de redorer le blason du bureau de liaison à Rabat.
Une mission que n’a pas pu remplir pleinement Alona Fisher-Kamm, sa prédécesseure, qui a dû gérer le scandale qui a valu au premier chef du bureau, David Govrin, d’être relevé de ses fonctions en septembre 2022. Selon la presse israélienne, une enquête (dont les résultats ne sont pas encore connus) était en cours sur des accusations de “harcèlement sexuel” et “d’exploitation sexuelle” et la disparition d’un important cadeau du roi Mohammed VI à l’État hébreu.
L’arrivée de Shai Cohen dans la capitale marocaine intervient aussi alors qu’Israël souhaite passer à un échelon supérieur de coopération avec le royaume. D’abord sur le plan économique, en développant les échanges dans l’agriculture, les sciences et la technologie. Le volet économique devrait également se renforcer avec l’appel du pied d’Israël au patronat marocain à investir, ce qui devrait équilibrer la balance commerciale.
En 2022, le volume des échanges commerciaux entre le Maroc et Israël s’est élevé à environ 180 millions de dollars. Les exportations israéliennes vers le Maroc représentant environ 40 millions de dollars, essentiellement des produits chimiques et des machines, contre 140 millions de dollars pour les exportations marocaines, principalement des produits textiles et des produits alimentaires.
Mais l’arrivée de Shai Cohen montre aussi l’intérêt de Tel-Aviv pour le développement des relations diplomatiques avec le royaume. Israël a annoncé avoir investi quelque 42 millions de dirhams dans la construction de sa nouvelle ambassade à Rabat. Prévue sur un terrain de l’avenue Mehdi Ben Barka à Souissi, la nouvelle légation devrait prendre la place de l’ancien bureau de liaison israélien qui avait été fermé en 2000 après la seconde Intifada. Tout un symbole.
Tel-Aviv souhaite faire du nouvel édifice le symbole d’une entente retrouvée avec Rabat depuis la normalisation de leurs relations suite aux Accords d’Abraham en 2020. Et Shai Cohen pourrait entrer dans l’histoire comme le premier ambassadeur d’Israël au Maroc.