Influence en Afrique, un soft power du milieu?

Face à un entrisme et une concurrence de plus en plus marqués sur le continent africain, notamment en Afrique de l’Ouest, le Maroc prône une voie singulière par le déploiement de son soft power.

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L’institut Mohammed VI de formation des imams constitue l’un des outils du soft power marocain sur le continent. Crédit: DR
Cet article a été réalisé indépendamment de la rédaction par TelQuel Impact.

S’il y a une chose que beaucoup semblent ignorer lorsqu’il s’agit du Maroc, c’est son poids en termes d’influence religieuse. En Afrique de l’Ouest, il n’y a qu’à voir la résonance dont dispose la Tariqa Tijaniya. On parle d’une centaine de millions de fidèles. La Commanderie des croyants a une résonance au-delà des frontières. Dans certains pays de la région, certaines prières sont prononcées au nom de Sa Majesté!”.

Au moment d’évoquer le poids du Maroc dans son continent, ce diplomate basé en Afrique de l’Ouest n’affiche aucune hésitation. Au contraire. Il se réjouit de la réputation dont jouit le Maroc dans une région où il officie depuis plusieurs années, affirmant que celle-ci lui «facilite» le travail. Il vante aussi les mérites de la formation marocaine dans le domaine religieux qui bénéficie à l’ensemble du continent. Un versant d’un soft power aux pans multiples qui s’exprime au service du continent.

Tisser le fil religieux

L’élément le plus visible de ce soft power réside dans le domaine religieux. Le Royaume partage avec de nombreux pays du Sahel une même tradition islamique, matérialisée par une affiliation au malékisme. Avec la profonde restructuration de sa sphère spirituelle entamée en 2004, le Maroc brandit une doctrine d’“Islam du milieu” en repoussoir des différents extrémismes religieux, à destination d’une région fortement confrontée à ces problématiques.

C’est dans ce contexte que l’Institut Mohammed VI de formation des imams morchidines et morchidates, installé à Rabat, joue un rôle central. En 2021, le Maroc a accueilli et formé 318 imams étrangers, dont une partie du contingent provient de pays africains. Fin 2020, dans une interview accordée à l’Institute for Security Studies (ISS), Nasser Bourita estimait alors à 2000 le nombre d’imams africains formés.

Autre acteur, la Fondation Mohammed VI pour les oulémas africains, créée en 2015, compte 32 sections sur tout le continent africain. Son but ? Encourager les oulémas musulmans des pays africains “à déployer des efforts concertés pour accomplir leur devoir et mettre en lumière la véritable image de la foi islamique originelle ainsi que ses valeurs d’ouverture, fondées sur la modération, la tolérance et la coexistence”, comme l’évoquait Mohammed VI en 2016.

“Le Maroc a su utiliser ses ressources symboliques pour les convertir en capital diplomatique, mais aussi politique et économique”

Le Maroc a su utiliser ses ressources symboliques pour les convertir en capital diplomatique, mais aussi politique et économique”, glisse une source diplomatique ouest-africaine. Illustration faite en août 2020, alors que l’ex-président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, élu en 2013, est renversé par un putsch après des mois de crise politique.

Le Maroc avait pu reprendre la main dans le dossier malien en menant une médiation entre le leader du Mouvement du 5 juin, l’imam Mahmoud Dicko, et le président Ibrahim Boubacar Keïta dès le lendemain du coup d’État.

Tenir les deux côtés d’un pays

Tant par l’image et la symbolique du statut de Commandeur des croyants de Mohammed VI que par les liens avec les puissantes confréries comme la Tijaniya ou la Kadiriya, le Maroc peut activer différents leviers et ce, malgré les changements de régime qui peuvent avoir cours dans la région.

Un ancrage et une particularité qui font la singularité du Royaume par rapport à d’autres acteurs. “La force du Maroc réside dans son approche stratégique pour combler un vide et se positionner face à d’autres puissances, économiquement plus riches, en se basant sur une politique d’influence”, poursuit notre interlocuteur.

“Le Maroc a compris que s’il laissait un espace vide, il allait être rempli par d’autres entités qui pourraient avoir une vision de la religion différente de la sienne et donc nuire à sa sécurité et aux relations avec ces pays”

Mohamed Badine El Yattioui, professeur de géopolitique

“Le Maroc a compris que s’il laissait un espace vide, il allait être rempli par d’autres entités qui pourraient avoir une vision de la religion différente de la sienne et donc nuire à sa sécurité et aux relations avec ces pays. Dans des sociétés où le poids du religieux est important, le fait de former aussi bien des cadres religieux que des technocrates aide à tenir les deux côtés d’un pays”, explique Mohamed Badine El Yattioui, professeur de géopolitique à l’Université américaine de Dubaï.

L’enseignement supérieur constitue un autre aspect du soft power marocain déployé dans le continent. L’Agence marocaine de coopération internationale (AMCI) avançait, au titre de l’année 2019-2020, que 12 500 étudiants africains avaient profité des cursus marocains, dont 85% de boursiers.

L’objectif est que les personnes formées repartent dans leur pays et emportent avec elles le logiciel marocain”, explique le politologue Ismaïl Regragui, docteur en sciences politiques et en relations internationales, également auteur de La diplomate publique marocaine : une stratégie de marque religieuse ?.

Davantage à faire pour “unir les peuples”

Ainsi, lorsque l’État insulaire des Comores inaugurait son consulat à Laâyoune en décembre 2019, on apprenait de la bouche de son ministre des Affaires étrangères Dhoihir Dhoulkamal que “80% des cadres de son ministère étaient formés au Maroc”.

Une migration légale qui permet donc la création “d’une élite africaine pro-Maroc”, aux yeux de Mohamed Badine El Yattioui, mais qui va également de pair avec la politique migratoire menée par le Maroc initiée en 2013 et la politique de régularisation de sans-papiers. D’autant que le Maroc s’est positionné en champion africain des migrations “sûres, ordonnées et régulières” après avoir abrité la ratification du Pacte de Marrakech, en décembre 2018.

Dans la foulée de ses engagements, Rabat abrite désormais l’Observatoire africain des migrations, inauguré en décembre 2020 et dont l’objectif est de développer la collecte, l’analyse et l’échange d’informations entre pays africains sur les phénomènes migratoires.

Le Royaume se positionne pour abriter un certain nombre d’entités, tel que le siège de l’Union panafricaine de la jeunesse, voire des évènements continentaux à l’image des rencontres sportives, du label “capitale africaine de la culture” dévolu à Rabat pour la première attribution, en passant par des forums régionaux telle que la dernière édition d’Africités.

Toutefois, face à une influence étrangère accrue sur les opinions publiques du continent, le Maroc gagnerait davantage à “développer son aspect médiatique et culturel” à l’égard des pays africains

Toutes ces actions contribuent à un rayonnement africain du Maroc, qui s’érige ainsi en carrefour de rencontres. Toutefois, face à une influence étrangère accrue sur les opinions publiques du continent, le Maroc gagnerait davantage à “développer son aspect médiatique et culturel” à l’égard des pays africains, selon Ismaïl Regragui.

En ce sens, le Royaume peine à porter ses vues et à parler aux sociétés civiles par le biais des médias classiques et numériques, à l’image de France 24, RFI, Russia Today ou des agences de presse étrangères qui ont investi le terrain, telles que Sputnik (Russie), Xinhua (Chine), voire Anadolu (Turquie).

De même, en termes de contenu culturel destiné à l’export. “Le Maroc a en commun la francophonie avec ces pays, mais il reste encore peu de production culturelle à destination de ces pays. C’est quelque part ce qui permet d’unir les peuples”, conclut notre interlocuteur.