Cet article a été réalisé indépendamment de la rédaction par TelQuel Impact.
Samedi 26 mars 2022. L’Académie du Royaume à Rabat ouvre ses portes à un ensemble d’écrivains, penseurs et chercheurs africains, autour d’une table ronde portant sur la création d’une chaire des lettres africaines.
L’occasion pour les deux coordinateurs du projet, l’éditrice Rabiaa Mahrouch et l’écrivain franco-camerounais Eugène Ebodé, de revenir sur les grands axes de ce chantier porté par l’Académie du Royaume.
Parti du constat que les littératures africaines sont plus souvent éditées, célébrées et consacrées à l’étranger plutôt que sur le continent, c’est sous l’impulsion d’Abdeljalil Lahjomri, secrétaire perpétuel de l’Académie, que ce projet voit le jour. Le dernier prix Goncourt remis au Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr pour La plus secrète mémoire des Hommes en est une illustration flagrante.
“Nous travaillons sur cette chaire depuis la fin de l’année 2021, sous la vision et l’orientation du secrétaire perpétuel”, entame Rabiaa Mahrouch, contactée par TelQuel. “C’est lui qui a pensé et voulu ce projet, dans la continuité de son ouverture sur le patrimoine africain”, poursuit la chercheuse et éditrice.
Travail de mémoire
Vaste continent, diverses langues et cultures… Englober tout le patrimoine littéraire africain en une seule chaire universitaire est une tâche ambitieuse. D’abord, au vu du contexte : le marché éditorial africain étant faible et en manque d’infrastructures, le circuit du livre, en fonction des pays, se retrouve souvent peu institutionnalisé.
La principale prérogative de cette chaire est de décloisonner les lettres africaines, qu’elles soient écrites ou orales, de les mettre en valeur et de les exposer”
En résulte une difficulté pour les auteurs à se faire publier, mais aussi un dysfonctionnement au niveau de l’archivage d’une partie du patrimoine littéraire. “La principale prérogative de cette chaire est de décloisonner les lettres africaines, qu’elles soient écrites ou orales, de les mettre en valeur et de les exposer, en prenant en considération toutes ses aires linguistiques, qui varient d’un pays à l’autre”, souligne Rabiaa Mahrouch.
Tandis que la programmation annuelle de la chaire des lettres africaines de l’Académie du Royaume est en cours d’élaboration, trois principaux pôles d’action ont été dégagés. Le premier est universitaire et portera sur la production scientifique relative à ce patrimoine littéraire, ainsi que sur la création d’un réseau de partenariats avec différentes universités du continent africain. Le deuxième dépasse la production littéraire et s’étend de manière plus générale aux différentes disciplines artistiques africaines : chants, danses, joutes oratoires…
Enfin, le troisième, relatif à l’événementiel, sera chargé de l’organisation d’un ensemble de rencontres avec des écrivains africains contemporains. “La chaire mettra un point d’honneur à redécouvrir un ensemble d’écrivains et romanciers africains oubliés, et de femmes de lettres marginalisées. C’est en ce sens également un travail de mémoire, et de rétablissement de certaines vérités que nous poursuivrons”, précise Rabiaa Mahrouch.
Soft power
“La culture est un des piliers du soft power. Elle est un immense outil de puissance tant elle peut rassembler, fédérer, unir des personnes aux quatre coins du monde”
La chaire des lettres africaines semble s’inscrire dans la continuité de la vision de diplomatie culturelle africaine menée par le Maroc. “La culture est un des piliers du soft power. Elle est un immense outil de puissance tant elle peut rassembler, fédérer, unir des personnes aux quatre coins du monde. (…) Nous avons donc intensifié nos actions de diplomatie culturelle, en phase avec la stratégie adoptée par le Royaume”, déclarait Mehdi Qotbi, président de la Fondation nationale des musées (FNM), sur la diplomatie culturelle marocaine, dans un entretien accordé à TelQuel en juin 2021.
En novembre 2020, la FNM signait une convention avec l’Agence française de développement octroyant à la fondation une subvention à hauteur de 300.000 euros, destinés à financer un programme panafricain de formation aux métiers des musées et du patrimoine en Afrique.
Un an plus tard, en novembre 2021, l’Académie du Royaume recevait une délégation d’écrivains et intellectuels venus de la région des Grands Lacs africains, afin d’inaugurer le lancement de la collection Sembura, aux éditions La Croisée des Chemins.
“Le projet de création de la chaire a en quelque sorte été concomitant à la création de la collection Sembura”, précise Rabiaa Mahrouch, également directrice éditoriale de cette collection.
Soutenue et co-financée par l’Académie du Royaume, Sembura visait dans un premier temps à regrouper, éditer et publier un ensemble de productions littéraires et intellectuelles du Rwanda, du Burundi et du Congo, ainsi qu’à les faire bénéficier d’un certain réseau de diffusion et de visibilité.
Par la suite, la collection s’est ouverte à l’ensemble des auteurs africains, quel que soit leur pays d’origine, désireux de publier leurs manuscrits. Un soft power qui porte ses fruits. Cette année, le Maroc est l’invité d’honneur des 72 heures du livre de Conakry, salon international du livre de la Guinée qui s’est tenu du 23 au 25 avril. Un premier pas dans la manifestation concrète de l’ouverture de l’Académie du Royaume aux universités africaines, dans le cadre de la chaire des lettres africaines.
*NDLR: Article publié initialement sur telquel.ma le 1er avril 2022