Législatives françaises : L’union de la gauche face à un front commun

Arrivé largement en tête dans la circonscription du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest, Karim Ben Cheikh, candidat de l’union de la gauche, s’est qualifié devant Elisabeth Moreno, soutien d’Emmanuel Macron, pour le second tour des législatives françaises. Un face-à-face qui s’annonce bien plus serré que le 1er round, tant l’ex-ministre veut rassembler autour d’un « front républicain » nouvelle génération, qui veut aussi aller chercher les nombreux abstentionnistes.  

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On avait coutume d’employer l’expression dans un contexte pour le moins différent. Depuis bien longtemps, faire « front républicain » au deuxième tour d’une élection française se résumait en effet à se rassembler… face à l’extrême-droite. Depuis la réélection d’Emmanuel Macron, dans le camp du président, la menace semble identifiée ailleurs.

La gauche doit faire peur

L’accord conclu entre les partis de gauche, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), pourrait en effet venir chagriner les espoirs d’une majorité macroniste à l’Assemblée Nationale. Et alors que le duel entre l’entente pour la majorité (Ensemble !) et cette union de la gauche s’est confirmé dimanche 5 mai lors du 1er tour anticipé pour les Français de l’étranger (10 circonscriptions sur 11 auront droit à ce schéma de second tour), la 9e –celle du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest- a la singularité d’avoir placé la gauche largement devant.

C’est Karim Ben Cheikh (40%) qui se qualifie avec près de douze points de plus qu’Elisabeth Moreno (28.1%). La ministre du précédent gouvernement sait donc qu’elle n’a guère le choix de rassembler au maximum, afin d’inverser la tendance au second tour. La rhétorique est rodée : tenter de diaboliser « l’extrême-gauche », qui porte un programme « dangereux et insoutenable ». Tant pis si Karim Ben Cheikh a toujours été plus proche du PS que de la France Insoumise : « Même s’il se détache, il appartiendra à un groupe qui est d’extrême-gauche » persiste Elisabeth Moreno.

A la pêche aux soutiens

C’est ce front républicain qu’elle a voulu concrétiser mercredi 8 mai à Casablanca, en s’affichant aux côtés de Rachida Kaoout et Mehdi Reddad. La première s’était retirée dès le premier tour au profit de la Franco-Capverdienne, le deuxième avait quant à lui maintenu sa candidature jusqu’au bout, échouant à la troisième place (6%). Tout deux ont affiché leur soutien à Moreno pour le second tour, au même titre que Naïma M’faddel, investie par Les Républicains, David Azoulay, ou Mohammed Oulkhouir, qui s’était présenté comme indépendant.

Sur place, Jean-Michel Raynaud, président de l’Union des Français de l’Etranger (UFE) Casablanca, association influente composée d’élus consulaires souvent proches de la droite ou du centre, résume la position de chacun : « Nous refusons les extrêmes, il faut donc prendre position, face au danger ». Chaque soutien local compte, tout autant que les nationaux avec qui on multiplie les vidéos d’appui : la première Ministre Elisabeth Borne, le ministre Franck Riester, Christophe Castaner, etc…

Reports de voix

La mobilisation autour de la candidate est donc réelle, et traduit en filigrane l’inquiétude qu’ont les parties prenantes à voir la gauche gagner à nouveau après 2012. Il faut dire que la circonscription est diplomatiquement très stratégique pour la France : un député du bon bord aiderait fortement…Avec le soutien des principaux de candidats du 1er tour, arithmétiquement Elisabeth Moreno pourrait ainsi avoir l’avantage pour passer la barre des 50% et l’emporter au nez et à la barbe de son adversaire.

Mais celui-ci à également des choses à faire revendre. A 40%, quelques centaines de voix l’ont séparées d’une victoire par KO dès le premier round. Toujours est-il que son réservoir de voix est limité pour le second. L’union étant déjà réalisée, le seul soutien officiel qu’il ait reçu provient d’Emilie Marches-Ouzitane, candidate pour les Radicaux de gauche qui n’a brigué seulement 0.7% des voix. Possédant l’avantage d’une base militante implantée, et des relais solides, Karim Ben Cheikh peut tout de même espérer convaincre encore des indécis.

Je ne porte pas une gauche qui fait peur, je porte une gauche qui donne de l’espoir

Karim Ben Cheikh

A Casablanca, mercredi 8 mai, il organisait une réunion publique au Lycée Lyautey aux côtés de l’association Français du Monde (ADFE), homologue de gauche de l’UFE et structure largement impliquée dans la réussite de l’union de la 9e circonscription. « C’est une deuxième élection qui commence, il faut remobiliser. Je ne porte pas une gauche qui fait peur, je porte une gauche qui donne de l’espoir » a-t-il notamment développé devant le public à majorité professoral.

Les voix de l’extrême-droite 

Mais alors où aller chercher les voix ? On ne peut négliger le score de l’extrême-droite arrivée 4ème avec Nathalie Amiot (5.5%), candidate en soutien d’Eric Zemmour, qui agrégé à Ludivine Sordet (RN), place le bloc à 7%. Un score inédit dans la circonscription qui interroge quant à la répartition de ces électeurs au second tour. D’ores et déjà, Nathalie Amiot a suggéré, « entre la peste et le choléra », à choisir entre « l’aquaponey, l’accrobranche, l’arbalète ou un bon vieux golf »…

Au-delà des mots d’amour je préfère les preuves d’amour. Il faut prouver aux gens que ça vaut le coup de voter.

Elisabeth Moreno

Une invitation à s’abstenir qui s’inscrit à rebours complet de la volonté des candidats finalistes. Ces derniers se sont dit alarmés par ce niveau si élevé. Sur 120 000 Français inscrits sur les listes électorales, 17 730 ont voté dimanche 5 mai, soit 85.3% d’abstention. Reconquérir les boudeurs d’urnes semble alors être le meilleur réservoir pour chacun, notamment E. Moreno : « Au-delà des mots d’amour je préfère les preuves d’amour. Il faut prouver aux gens que ça vaut le coup de voter » affirme-t-elle.

Un match définitivement serré qui a commencé dès le 10 mai par le vote Internet jusque mardi 14 juin, avant un vote physique le dimanche 19 juin. Si la majorité soutient l’idée d’un programme « irréalisable et donc dangereux » par la gauche, cette dernière réplique aussi avec véhémence. « Vous avez le choix entre deux visions. Soit vous continuer de plonger les plus vulnérables dans l’indignité, continuer le démantèlement de nos services publics, la privatisation de nos écoles, l’abandon de nos PME, soit choisir le changement, le progrès et la justice sociale ».  

Dépucelage électoral

Karim Ben Cheikh soutient vouloir « rebâtir les services publics, garantir la gratuité de l’enseignement pour les plus pauvres, ou encore un fond de garantie qui protègerait l’initiative des PME des Français de l’étranger » développe-t-il dans une vidéo de campagne. Elisabeth Moreno se défend quant à elle d’avoir obtenu deux avancées majeures en concertation avec le gouvernement depuis 15 jours : « l’abrogation du décret sur la retraite des enseignants, et la publication du décret sur le droit au compte bancaire » alors qu’elle veut encourager la diplomatie économique et répondre aux frais de l’éducation par des partenariats innovants, comme avec des entreprises du CAC 40,  indiquait-t-elle dans une interview avec TelQuel.

Le duel s’annonce en tout cas des plus serrés pour un poste de député qui aura pignon sur rue. Et à la clé également pour l’un des deux candidats, un premier adoubement par le suffrage universel, souvent marqueur d’une confirmation d’une carrière politique à temps plein.