Anti-blanchiment d'argent : le Parquet à l’affut de renseignements financiers

Nouvel accord de coopération entre le ministère public et l’Autorité nationale du renseignement financier (ANRF) ce jeudi 9 juin à Rabat. Un enjeu double, entre promotion du dispositif de la lutte anti-blanchiment et, surtout, la compatibilité avec les standards internationaux.

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Signature d'un accord de coopération entre le Ministère public (Hassan Daki) et l'Autorité nationale du renseignement financier (ANRF), dirigée par Jawhar Nfissi, le 9 juin 2022. Crédit: MAP

Journée de signature au siège de la présidence du ministère public à Rabat. Le procureur général du roi près la Cour de cassation, Hassan Daki, est rentré accompagné du président de l’ANRF, Jawhar Nfissi. Non loin derrière, le Wali de BAM, Abdellatif Jouahri, la présidente de la Cour des comptes Zineb El Adaoui, et le procureur général du roi près la Cour d’appel de Casablanca, Najim Bensami, ont notamment été présents.

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L’accord signé à cette occasion repose sur deux piliers. Entre le ministère public et l’ANRF, il y a d’abord une coordination à consolider en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et les infractions connexes. Il s’agit ensuite de tenir compte des normes internationales, notamment les recommandations du Groupe d’action financière (GAFI). Les bases de cet accord sont d’ailleurs stipulées par la loi 43.05 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux. Sur le contrôle des violations des dispositions du même texte, les deux parties ont convenu de lancer un cycle de formation continue pour magistrats et autres experts.

Les mailles du filet

Les deux institutions sont désormais appelées à échanger leurs informations et documents relatifs aux crimes de blanchiment de capitaux, de financement du terrorisme et des infractions connexes. L’accord prévoit également un encadrement de la saisine des dossiers entre l’ANRF et le parquet. « Une nouvelle voie de coopération qui constitue en fait une continuation du travail sérieux et fructueux qui existe entre les deux institutions », a notamment indiqué Hassan Daki lors de son allocution.

Le chef du ministère public estime que le Maroc est « conscient du suivi méticuleux réalisé par l’équipe d’examen du Groupe d’action financière (GAFI) pour la région MENA ». Le défi est de « déterminer le niveau des progrès réalisés dans l’application des termes du plan d’action fixé par le GAFI », organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

La justice, version GOmail

Sur le plan interne, on apprend que le ministère public « veille à la rapidité et à l’efficacité des recherches préliminaires en aidant à la préparation des dossiers pour réduire les délais de décision sur une affaire publique ». Sur les affaires de portée internationale, l’organe judiciaire rend plutôt compte des procédures de coopération adoptées par le royaume, « au premier rang desquelles figurent les recommandations du GAFI », a souligné Hassan Daki qui vient de signer un sixième accord touchant à la lutte contre toutes les formes de criminalité qui affectent le système financier.

Précédemment, Bank Al-Maghrib, l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), le Conseil de la concurrence, la Cour des comptes, ainsi que le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) ont tous cosigné pour un renforcement des mécanismes de coordination et de communication avec la juridiction.

Le ministère public bénéficiera désormais d’un nouvel outil d’instruction : le service GOmail. Ce système d’information à la disposition de l’ANRF permet d’« échanger des correspondances rapides et sécurisées », a expliqué Daki. Et d’annoncer la nomination de magistrats chargés d’assurer l’échange d’informations et de documents dans un délai rapide. « Ceci permettra l’exploitation de GOmail dans les affaires de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme », a-t-il ajouté.

Souci onusien

La coordination entre les deux institutions n’est pas nouvelle, assure, pour sa part, le président de l’ANRF Jawhar Nfissi. La convention signée ce jeudi est plutôt considérée comme « l’aboutissement d’un dynamisme constant avec les autorités judiciaires depuis le lancement du processus d’évaluation mutuelle du système national en mars 2018 ».

En tant que base de l’accord, la loi 12.18 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux vient remplir un vide juridique. Moins d’un an après son entrée en vigueur en septembre 2021, « cette nouvelle loi applique les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies relatives aux sanctions financières liées au terrorisme et à la prolifération des armes et leur financement », a indiqué le président de l’ex Unité de traitement du renseignement financier (UTRF), remplacée par l’ANRF, début octobre 2021.

Quitter la zone grise

Jawhar Nfissi estime que la plus importante avancée réglementaire réside dans le décret portant extension de la compétence territoriale sur les affaires de blanchiment d’argent aux tribunaux de Casablanca, Fès et Marrakech. Avant promulgation de ce décret, fin août 2022 par Saâd Eddine El Othmani, le Tribunal de première instance de Rabat était le seul habilité à trancher sur des affaires de blanchiment d’argent. Suite à cet élargissement, ces trois tribunaux de première instance bénéficieront désormais des analyses fournies par l’ANRF.

Pour Nfissi, le défi futur est d’« élever les niveaux d’engagement technique du Maroc vis-à-vis des recommandations du GAFI ». Le royaume s’est engagé sur 34 recommandations sur 40 lors de la dernière assemblée générale du Groupe pour la région MENA, tenue à Manama en mai 2022. Un « résultat positif » selon le président, « en vue d’achever la mise en œuvre du programme de travail dans le délai fixé à fin septembre 2022 ». A cette échéance, les experts du GAFI effectueront une visite de terrain. Objectif : « sortir de la liste grise du GAFI », a précisé Jawhar Nfissi.