Pendant quatre semaines, Qitab met à l’honneur le premier roman, en demandant à de grands écrivains marocains de raconter les coulisses de l’écriture et de la publication de leur première œuvre.
Un premier roman pas comme les autres. Sous un ciel où les tirages dépassent à peine les 500 exemplaires et où le best-seller avoisine les 2000 copies vendues, Hot Maroc de Yassin Adnan semble avoir accompli un exploit.
Initialement publié en langue arabe en 2016 aux éditions Le Fennec et Dar Al Ayn (Egypte), le roman en est à sa quatrième édition et s’apprête à recevoir sa troisième traduction en langue étrangère.
Après une nomination sur la shortlist du Prix de la Fiction Arabe (affilié au Booker Prize) l’année de sa parution, les critiques, au Maroc comme à l’étranger, sont unanimes. Certains s’aventurent même à parler de “chef-d’œuvre de la littérature contemporaine” . Retour sur la conception d’un succès inédit.
Fait divers facebookien
Humble et modeste, Yassin Adnan entame la discussion en s’excusant d’un français qu’il juge “perfectible”, mais dont nous retiendrons une maîtrise impeccable.
Bien qu’arabisant, il jongle avec fluidité entre le français, l’arabe et l’anglais, au gré des pays qu’il est amené à visiter dans le cadre de la promotion de Hot Maroc. En ce début de mois de juin, l’écrivain revient tout juste des Emirats, où se tenait la Foire Internationale du Livre d’Abu Dhabi.
De retour à Marrakech, la ville où il a grandi et où il est installé, Yassin Adnan déclare, à l’autre bout du fil : “Avant Hot Maroc, je ne m’étais jamais considéré comme un écrivain. Plutôt comme un poète, qui aime écrire des nouvelles”.
Si ce pavé de près de 500 pages est son premier roman, il n’en est pas pour autant son premier livre, puisque l’écrivain compte à son actif dix publications, entre recueils de nouvelles et de poésie, principalement publiés aux éditions Dar Toubkal.
Ainsi, lorsque Hot Maroc paraît dans les librairies, le nom de Yassin Adnan est loin d’être étranger. D’autant que celui-ci est également journaliste et animateur de télévision, vedette de l’émission culturelle “Macharif”, diffusée depuis 2006 sur Al Aoula. “La notoriété de quelqu’un qui fait de la télévision, qui travaille comme journaliste culturel, peut aider à faire connaître le roman à sa sortie auprès d’un réseau. Pour autant, ce n’est pas ce qui permet d’écrire”, déclare Yassin Adnan.
Nous sommes en mars 2011, et l’ambiance du Printemps arabe et du 20-février est encore palpable. L’espace virtuel et les réseaux sociaux bouillonnent, connaissent un essor nouveau et jouent un rôle inouï dans la mobilisation des militants. Le Maroc ne fait pas exception.
Pendant ce temps, Yassin Adnan est en résidence d’écriture, sur la Côte d’Azur. “J’étais en train de finaliser mon recueil de poésie, intitulé Diftar Al Abir”, retrace-t-il. “Et là, j’apprends que mon compte Facebook a été piraté. Je recevais des coups de fil de partout, de la part de certains amis qui me disaient qu’ils recevaient depuis mon compte des photos scandaleuses envoyées par le hacker”, raconte l’écrivain.
“Ma vie en était bouleversée, je me suis senti pris en otage”. Une expérience qui peut sembler banale de nos jours, mais inédite en 2011 pour Yassin Adnan, qui prend pleinement conscience de l’emprise des réseaux sociaux sur nos relations sociales, ainsi que sur nos quotidiens.
“En fait, je n’ai jamais eu l’intention d’écrire un roman”
Dans un premier temps, il se met en tête de retrouver le hacker : “J’essayais de comprendre pourquoi un inconnu anonyme, une personne que je ne connais pas, s’est amusé à empoisonner ma vie”. Durant cette réflexion, l’écrivain imagine Rahhal Laouina, le futur protagoniste de Hot Maroc. “En fait, je n’ai jamais eu l’intention d’écrire un roman”, assure-t-il. Difficile à croire, après avoir lu la virtuosité narrative que recèle Hot Maroc.
C’est que la rencontre de Yassin Adnan avec Rahhal Laouina se fait dans le cadre de l’écriture d’une nouvelle… “Une nouvelle intitulée Rahhal Laouina, puisque le titre de mes nouvelles est souvent celui du personnage principal”, confie l’écrivain. “J’ai créé ce personnage pour essayer de comprendre toutes les complexités et singularités de l’espace virtuel, avec toute la méchanceté gratuite qu’il contient, mais aussi cette obsession que des inconnus peuvent avoir pour l’intimité des autres”, poursuit-il.
Lorsque la résidence d’écriture touche à sa fin, Yassin Adnan a entre les mains un manuscrit d’une trentaine de pages. L’écrivain en ressort surtout avec le sentiment que ce qui n’était alors que le portrait d’un personnage, était en fait le début d’un roman : “C’est Rahhal qui m’a transporté de la nouvelle au roman”, assume-t-il.
De Marrakech à Montalvo
L’écriture de Hot Maroc durera quatre ans, durant lesquels Yassin Adnan continuera d’osciller entre son métier de journaliste culturel et son projet de premier roman. Adepte des résidences d’écriture où il dit trouver “rigueur et discipline”, il n’écrira pas une seule ligne à Marrakech.
Une confidence étonnante, lorsque l’on sait la description vivante de la ville ocre qui peuple Hot Maroc. Écrasante, elle est un personnage à part entière du roman. “A chacune de mes vacances, je cherchais des résidences d’écriture. Travailler sur un roman, c’est s’y consacrer complètement, et je ne pouvais pas le faire tant que j’étais le cœur de ce que j’écrivais. Pour moi, la distance que je m’impose avec la ville sur laquelle j’écris est nécessaire. Elle me permet de mieux la voir, et donc, de mieux l’écrire”, explique Yassin Adnan.
C’est donc à Montalvo, pas loin de San Francisco, en Californie, qu’il reprend l’écriture de Hot Maroc : “Là, j’ai compris que je n’écrivais plus sur une affaire personnelle (le piratage dont il a été victime, ndlr) mais sur un phénomène sociétal : un homme lâche, veule, envieux, qui va commencer à empoisonner la vie des autres à travers les réseaux sociaux. Je voulais révéler la cruauté du monde socio-virtuel à travers la perversité de Rahhal Laouina”.
L’écrivain en ressort avec une intrigue complexe et captivante : Rahhal Laouina, diplômé en littérature arabe à l’université Cadi Ayyad, cultive un amour de ce qu’on appellerait aujourd’hui les fake news. Peu importe que l’information soit vraie, déformée ou fausse, il aime la faire circuler au gré de ses intérêts, désirs et fantasmes. Sur le site Hot Maroc qui défraie la chronique, fragilise les politiques et enrage les journalistes, il s’amuse à créer de faux profils, commentant l’actualité sous le prisme de chacun d’entre eux.
A la manière de Yassin Adnan, Rahhal crée lui aussi ses propres personnages. Ceux-là orchestrent des polémiques, diffament le Maroc entier au gré des “likes” qu’ils reçoivent. Personne n’est épargné, tandis que Rahhal — alias Abou Qatada, alias Houyam, alias l’Enfant du peuple — jubile derrière son clavier.
A l’approche des élections législatives, tandis qu’un certain parti de la Pieuvre — composé de technocrates — est créé, le théâtre virtuel de Rahhal prend une tout autre ampleur: “Hot Maroc est construit à la manière d’une trilogie, avec trois parties bien distinctes. D’une part, je voulais écrire sur les sociopathes qui enveniment les réseaux sociaux, mais pas que. Je suis un Marocain qui assiste aux évolutions de son pays, mais aussi un Marrakchi qui observe les changements de sa ville au fil des décennies”.
Très loin de la nouvelle initiale consacrée à son personnage, Yassin Adnan enchaîne dans ce premier roman les sous-intrigues et crée un univers romanesque multiple, où trois niveaux de lecture se dégagent. Rigoureusement équilibrées, la satire sociale et la caricature n’encombrent jamais la complexité de l’analyse des différentes composantes d’un Maroc en pleine évolution. En l’espace de 500 pages, l’univers virtuel de Rahhal s’entrechoque avec les rebondissements incessants du pays et de sa réalité.
Traduire n’est pas trahir
“Quatre ans d’écriture, c’est peut-être long, mais je préfère lire un bon roman plutôt que d’en écrire un mauvais”
“Il était important pour moi d’écrire un roman que j’aurais aimé lire”, confie Yassin Adnan. “Quatre ans d’écriture, c’est peut-être long, mais je préfère lire un bon roman plutôt que d’en écrire un mauvais”, sourit-il. Après la Côte d’Azur et Montalvo, c’est à Bruxelles que Yassin Adnan boucle le manuscrit.
Cette fois-ci, il ne se trouve pas dans une résidence d’écriture, mais chez son frère jumeau, également romancier, Taha Adnan. Nous sommes en 2015, et l’écrivain est loin de se douter du succès qui attend son premier roman : “Le succès est un cher souhait à chaque écrivain. Quand on travaille sur un livre, la réussite qu’on cherche, c’est de bien écrire. Le reste, on n’y pense pas vraiment. Mon plus grand souci était de réussir à bien esquisser le portrait de Rahhal, réussir à dévoiler son phénomène psycho-social dont il est l’effigie”, confie-t-il.
«Hot Maroc»
202 DH
Ou
Profession oblige, Yassin Adnan est déjà un grand connaisseur du milieu de l’édition dans le monde arabe lorsqu’il cherche à faire publier Hot Maroc. Celui qui publie depuis des années ses recueils de poésie chez Dar Toubkal, maison d’édition marocaine fondée en 1985 et dirigée par le poète Mohamed Bennis, sait que ce n’est pas là qu’il doit confier le manuscrit de son premier roman.
“Chaque maison d’édition a ses spécificités”, justifie-t-il. “Les plus grands poètes ont été publiés chez Dar Toubkal, tandis que de grands romanciers marocains sont passés par Le Fennec : Choukri, Berrada, Chaoui…”.
La démarche éditoriale de Yassin Adnan est double. D’une part, Le Fennec détient l’exclusivité des droits de diffusion et de publication sur le territoire national. D’autre part, Dar Al Ayn, prestigieuse maison d’édition cairote, détient les droits de diffusion à l’international.
Là encore, les termes du contrat ont été longuement réfléchis par l’auteur : “Je savais que si je publiais exclusivement chez Dar Al Ayn, le livre ne parviendrait jamais à un lecteur à El Jadida ou à Essaouira. Dans le sens inverse, je sais qu’on ne trouve pas les livres publiés par le Fennec dans les salons littéraires d’Abu Dhabi ou de Sharjah”.
Dès sa parution, le succès de Hot Maroc est sans appel. Quelques mois après sa sortie en librairie, un nouveau tirage est déjà en route. La critique acclame ce premier roman, et sa nomination à l’Arabic Booker Prize le fait briller à l’international.
Quant aux Marocains, ils loueront principalement la vision juste et subtile de leur pays que renferme ce roman, loin aussi des clichés typiquement marrakchis. L’un des coups de maître de Yassin Adnan est ainsi d’avoir su substituer la sorcellerie, la prostitution et la pédophilie, à la disparition des palmiers, la pollution qui envahit la ville, l’apparition des cybercafés et les guerres syndicales.
Pas moins de trois ans après la parution du roman, la maison d’édition française Actes Sud commande une traduction. Celle-ci est réalisée par France Meyer (traductrice de sept romans du Nobel Naguib Mahfouz), avec l’aide de l’auteur. En 2021, c’est au tour d’une traduction anglaise de voir le jour, à travers la maison d’édition new-yorkaise Syracuse University Press.
“Je pense que le français est l’une des langues de notre pays. Par conséquent, la traduction est un devoir, afin de pouvoir nous lire les uns les autres”
Tandis qu’une version italienne est également en cours de négociation, Yassin Adnan est plus que jamais convaincu du rôle crucial de la traduction dans la trajectoire d’un roman : “Ce n’est pas pour ma renommée que je souhaite être traduit. Je pense que le français est l’une des langues de notre pays. Par conséquent, la traduction est un devoir, afin de pouvoir nous lire les uns les autres”, affirme-t-il, exemple à l’appui.
“C’est grâce à la traduction du Fennec de Le Maboul que j’ai pu découvrir Fouad Laroui en tant qu’écrivain. Lui-même a pu découvrir Hot Maroc grâce à sa traduction française”, poursuit-il. Ce même Fouad Laroui, qui dit de Hot Maroc : “C’est tout simplement un chef-d’œuvre qui se classe parmi les trois meilleurs romans marocains, toutes langues confondues”.
Six ans après la parution de Hot Maroc, Yassin Adnan n’en a pas fini avec Rahhal Laouina : entamé pendant le confinement, il poursuit, depuis Marrakech cette fois-ci, l’écriture du deuxième tome de Hot Maroc.
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