De Fès à Séville, sur les traces de Youssef En-Nesyri

Le FC Séville a déboursé 20 millions d’euros pour recruter l’attaquant marocain Youssef En-Nesyri. C’est le plus gros transfert d’un joueur formé au Maroc. Itinéraire d’un attaquant forgé à Choôba, un quartier difficile de Fès.

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Youssef En-Nesyri marque de la tête, lors du match nul (2-2) entre l’Espagne et le Maroc, pendant la Coupe du Monde 2018 en Russie. Crédit: AFP

 

Article initialement publié le 19 mars 2020

L’avion de Youssef En-Nesyri atterrit à l’aéroport de Séville-San Pablo, le 16 janvier en milieu d’après-midi. Le sourire masqué et les yeux brillants, l’international marocain de 22 ans a du mal à cacher sa joie. D’un pas serein, il marche vers Ramón Rodríguez Verdejo, alias Monchi, pour une accolade.

Ensemble, ils se rendent ensuite au siège du FC Séville pour parapher un contrat de 5 ans et demi. L’ancien footballeur espagnol et directeur sportif du FC Séville depuis 2019 a œuvré au recrutement du jeune attaquant, comme il l’a fait pour plusieurs grandes stars de son club. Car Monchi a l’œil.

Son réseau, estimé à plus de 700 scouts et recruteurs, a repéré des joueurs talentueux du monde entier, comme Sergio Ramos, Daniel Alves, Seydou Keita, qu’il a engagés avant de les laisser s’envoler vers de plus grands clubs. C’est maintenant au tour de Youssef En-Nesyri de rejoindre l’équipe, contre un chèque estimé à 20 millions d’euros.

Article  publié dans le numéro 889 de TelQuel paru le 24 janvier 2020.

Fès-Salé express

Youssef En-Nesyri n’était pourtant pas prédestiné à réussir au plus haut niveau du football. Mais sa motivation hors du commun à percer et à améliorer le niveau de vie de sa famille allait très vite sauter aux yeux de l’un de ses entraîneurs dans les jeunes catégories du Moghreb de Fès (MAS). Une fabrique à talents, rongée par une gestion hasardeuse qui lui a fait perdre ses couleurs. A 12 ans seulement, le joueur prend la direction de l’Académie Mohammed VI de football (AMF).

“Youssef est un joueur très généreux. Il finira par vous surprendre” 


L’homme qui l’a découvert, Tarik Khazri, l’avait recommandé au directeur technique de l’époque (2008-2014), Nasser Larguet. “Il avait 10 ans lorsque je l’ai repéré dans son équipe du quartier Choôba pour le recruter pour le MAS. Deux ans plus tard, alors que j’avais quitté le club fassi pour intégrer le staff de recruteurs de l’AMF, j’ai appelé Larguet pour lui parler d’un jeune talentueux, avec une marge de progression hors normes.

Il l’avait vu une fois, il a vite su de quel joueur je parlais”, nous confie Tarik Khazri, qui estime que le grand travail de “peaufinage” de ce talent brut a été effectué par Nasser Larguet et son staff. “Khazri m’a signalé Youssef, qui avait une belle frappe du gauche et un très bon jeu de tête avec le timing qu’il fallait, un dernier point assez rare dans le football marocain”, nous raconte Nasser Larguet, qui a quitté la direction technique nationale l’été dernier.

“Il a passé sa première année avec moi, on a essayé de travailler sur ses points forts : la vitesse, la frappe et le jeu de tête, en étant certains qu’il pouvait développer ses points faibles au fil des années”, précise Nasser Larguet, qui se souvient d’une performance “XXL” d’En-Nesyri chez les moins de 15 ans, en finale de championnat du Maroc face au FUS.

Soutien familial

Qualifié de joueur “taiseux” et “caractériel” par ses mentors et entraîneurs, Youssef En-Nesyri a toujours gardé son objectif en ligne de mire. “Il a toujours su où il voulait aller. Il voulait non seulement réussir sa carrière pour sa satisfaction personnelle, mais savait que sa famille comptait sur lui pour améliorer ses conditions de vie”, ajoute Nasser Larguet, qui décrit une famille respectueuse et connaisseuse du football.

“Ce n’est qu’une étape dans sa carrière car 
le petit a faim 
de succès” 


Avec deux grands frères footballeurs qui sont passés par le MAS et le Wydad de Fès, Youssef En-Nesyri était conscient de la chance qu’il avait d’évoluer au sein de l’AMF. Pourtant, il a failli jeter l’éponge. “Un jour, alors qu’il avait une semaine de vacances, il est rentré à Fès pour me dire qu’il ne voulait plus faire partie de l’Académie, qu’il s’y était mal intégré, raconte à TelQuel son frère aîné, Mehdi. Je ne lui ai pas forcé la main, j’ai laissé couler jusqu’au dernier jour de vacances pour lui parler en tant qu’adulte. Je lui ai alors fait savoir que s’il restait à Fès, il ne serait plus chouchouté, qu’il allait reprendre ses cours, et vivrait comme les jeunes de son âge. Des nouveaux habits pour l’Aïd, pour la rentrée scolaire, et basta. Le deuxième choix, c’était de se forcer à rester au sein de l’AMF car il y était bien encadré et ça augmentait ses chances de réussite. Ce n’était pas simple de trouver les mots pour un petit de son âge, mais j’ai fini par ‘cracher le morceau’. Je lui ai clairement dit que sa famille comptait sur lui pour améliorer son niveau de vie. Aujourd’hui, c’est grâce à lui que nous vivons bien”, sourit le frère aîné.

Moment de célébration après un but lors de la Coupe d’Afrique des Nations 2019.Crédit: AFP

Ce discours du frère aîné guidera Youssef pour le reste de sa carrière. “Il se sentait responsable de sa famille alors qu’il n’avait que 13-14 ans”, relate Nasser Larguet, qui se souvient d’un garçon timide, souvent à l’écart de ses coéquipiers, mais qui se transformait totalement une fois sur le terrain, en faisant preuve d’une grande force de caractère.

Pour l’homme qui l’a découvert, Tarik Khazri, ce côté silencieux fait partie du caractère du petit qui n’a pas vécu une enfance facile dans l’un des quartiers les plus difficiles de la capitale spirituelle du royaume. “Dans le train pour rejoindre Salé la première fois, Youssef n’a pas dit le moindre mot tout au long du trajet. Même pas une question, rien”, se souvient Tarik Khazri, aujourd’hui fier d’avoir participé à l’éclosion d’un joueur qui a des “principes d’homme”.

Alors qu’il devait quitter l’Académie, ce sont les recruteurs du Malaga CF qui ont bien voulu parier sur le natif de Fès. Il arrivera en Andalousie durant l’été 2015 pour jouer dans la catégorie de jeunes du club espagnol tenu par l’homme d’affaires qatari, Abdullah Al Ahmed Al Thani.

Ce dernier misait sur une politique de rajeunissement de l’équipe qui comptait déjà dans ses rangs l’autre international marocain, Nordine Amrabat. Youssef En-Nesyri débarque ainsi à Malaga à l’âge de 18 ans, en tant que porte-drapeau de l’Académie Mohammed VI de football, durant l’ère Larguet.

Un Fassi à Malaga

Son intégration en Espagne ne s’est pas faite sans remous. Il a d’abord fallu surmonter le problème de la langue pour s’intégrer dans l’effectif des jeunes de Malaga. Profitant de la politique de rajeunissement de l’équipe première, il est promu en équipe A en janvier 2017, pour ne plus la quitter.

Youssef En-Nesyri s’inspire des professionnels qui l’entourent pour continuer de s’améliorer. Pour y parvenir, il peut compter sur un homme en particulier, qui deviendra ensuite son agent : Anas Ouzifi. “C’était compliqué pour Youssef. Le problème de la langue, alors qu’il est de nature solitaire, n’a pas facilité son adaptation. On était fiers de le voir évoluer en Liga, mais on était inquiets aussi, surtout qu’il était très jeune. Mais Anas l’a pris sous son aile, il ne prenait aucune décision sans nous appeler au téléphone pour avoir notre feu vert. Il était sa seule famille à Malaga”, raconte Mehdi, sans cacher sa fierté de voir son frère poursuivre son ascension fulgurante.

Youssef En-Nesyri, aux côtés de Monchi, directeur sportif du FC Séville, le 16 janvier, jour de la signature de son contrat pour 5 ans et demi.Crédit: DR

Très rapide, sa vitesse de pointe et sa polyvalence plaisent à son entraîneur de l’époque, Michel. L’ancienne vedette du Real Madrid qui dirige le staff technique de Malaga commence à lui accorder du temps de jeu. Suffisant pour convaincre le sélectionneur national, Hervé Renard, qui le convoque afin de faire partie des 23 joueurs retenus pour la Coupe d’Afrique des Nations 2017 au Gabon.

Profitant de l’absence de joueurs-cadres comme Hakim Ziyech et Sofiane Boufal, il grappille quelques minutes de jeu dans cette compétition où les Lions de l’Atlas faisaient leur grand retour, quatre ans après leur dernière participation en Afrique du Sud, et en fait très bon usage.

Pour ses premières minutes avec les Lions de l’Atlas en Coupe d’Afrique, En-Nesyri fait valoir sa palette d’attaquant. Face au Togo après une défaite au premier match du tournoi face à la RD Congo, alors que les Lions défendent leur avance (2-1), il permet à tous les Marocains de respirer un grand coup en infligeant le coup de grâce à l’adversaire. D’une frappe du gauche, qu’il a déclenchée hors de la surface, il trompe le gardien togolais pour sceller le score (3-1).

C’est ainsi que Youssef En-Nesyri se révèle au grand jour, après plusieurs critiques lors des matchs amicaux qui ont précédé le tournoi. “Faible techniquement” était la critique qui revenait le plus dans les terrasses de cafés ou même de la bouche de certains “spécialistes” habitués des plateaux radio. L’un des rares à avoir cru en lui, c’est Hervé Renard. Pour l’ex-sélectionneur national, c’était l’attaquant idéal pour son système basé sur le pressing étouffant de l’adversaire. “Youssef est un joueur très généreux, qui n’hésite jamais à mettre le pied là où il faut. Il finira par vous surprendre”, répétait incessamment le sélectionneur de l’époque lors des conférences de presse, au point que le sujet devienne “fâcheux”.

La question du numéro 9 titulaire des Lions de l’Atlas, et les questions de nos confrères en salle de conférence sur le “mérite” d’En-Nesyri irritaient Renard, qui a toujours défendu ses choix, par principe, convaincu que le joueur finirait par obtenir la reconnaissance qu’il mérite.

Cette reconnaissance, il ira la chercher en Liga, de l’autre côté de la Méditerranée. Fort de son statut d’international, il tapera dans l’œil du club de la banlieue madrilène, Leganés, qui l’a recruté pour six millions d’euros lors du mercato estival de 2018, après avoir participé à la Coupe du Monde 2018 avec l’équipe nationale.

Lors de la compétition, il s’était distingué par son but face à l’Espagne (2-2) lors du dernier match de la phase de poules. Il saute plus haut que Sergio Ramos pour propulser le ballon dans la lucarne de David De Gea et marquer l’un des buts les plus mémorables de l’histoire du football marocain.

À la reconquête de l’Andalousie

En sortant d’Andalousie il y a un peu plus de deux saisons, Youssef En-Nesyri ne pensait sans doute pas la retrouver par la plus grande de ses portes, le FC Séville. Le club phare de la région le recrute au bout d’une saison et demie passée sous le maillot de Leganés, où l’international marocain a marqué 15 buts et délivré quatre passes décisives en 54 matchs.

Rarement blessé, il était devenu titulaire indiscutable dans les plans de son entraîneur, Javier Aguirre, “surpris” par le départ de son attaquant phare qui s’est fait en quelques jours. “Le voir signer au FC Séville est une grande satisfaction”, confie son frère aîné, qui confirme les propos de l’entraîneur d’En-Nesyri à Leganés. “Tout s’est fait tellement vite. C’était une question de quelques jours à peine”, précise-t-il.

En revanche, cette signature dans un grand club espagnol n’était pas une surprise pour ses formateurs. Nasser Larguet estime que “ce n’est qu’une étape dans sa carrière car le petit a faim de succès et ne se repose jamais sur ses acquis”. Même son de cloche du côté de Tarik Khazri, qui est convaincu que sa force de caractère fera de lui la “superstar de demain”.

Le public marocain n’a rien vu de ce que peut apporter Youssef. Quand il était jeune, il était très technique contrairement à ce que l’on pense, il a très vite grandi en taille et s’est focalisé sur les points forts. Actuellement, il ne fait que s’améliorer et ne s’arrêtera pas avant d’atteindre le sommet de l’Europe avec un club du top 10 du continent”, assure-t-il.

Pour réussir dans un club comme le FC Séville, Youssef En-Nesyri sait qu’il doit redoubler d’effort dans un effectif où il sera en concurrence avec des joueurs comme Luuk De Jong et Munir El Haddadi. Son frère Mehdi en est conscient. “Pour les critiques les plus dures, je lui ai appris à les transformer en motivation. Même moi je l’insulte sur le coup quand il manque un but avec l’équipe nationale, c’est normal pour tout amoureux du football sous l’effet de la colère. Mais ça ne doit en aucun cas l’atteindre. Au contraire, ça doit le pousser à s’améliorer”, insiste l’aîné de la famille En-Nesyri, qui avoue avoir eu beaucoup de mal à cacher ses émotions, lorsqu’il a vu son petit frère fouler le sol de l’aéroport de Séville, accueilli par un technicien comme Monchi, et attendu par une foule de journalistes. “J’ai repensé à ce jour où il voulait abandonner, et j’ai prié pour lui ”, confie-t-il.