Des archives déclassifiées, remises au goût du jour le week-end dernier dans un article de The Observer — l’édition dominicale du journal britannique The Guardian —, montreraient que Mehdi Ben Barka, enlevé et assassiné en 1965, aurait été un espion “opportuniste” à la solde des services secrets tchécoslovaques. Cet article reprend une étude du chercheur de l’université Charles de Prague, Jan Koura, publiée en novembre 2020 dans la revue Intelligence and National Security, comme le relève LeDesk.
Sur la base de documents récemment déclassifiés, le professeur tchèque affirme que Mehdi Ben Barka, l’un des chefs de file du mouvement tiers-mondiste, a entretenu d’étroites relations avec les renseignements tchécoslovaques (la StB), et a été rémunéré pour ses services. S’il reproduit de manière détaillée un article d’un journaliste tchèque publié par l’hebdomadaire L’Express en 2007, le nouvel article de The Observer n’a pas manqué de faire réagir les partis de gauche au Maroc, l’USFP en tête.
“Atteinte à la mémoire de Mehdi Ben Barka”
La réaction de la famille Ben Barka, elle aussi, ne s’est pas fait attendre. Dans un communiqué signé par Bachir Ben Barka, dont TelQuel détient copie, le fils de l’ancien leader de gauche voit en ces révélations “une atteinte à la mémoire de Mehdi Ben Barka, l’un des leaders importants du Tiers-monde, symbole de la résistance au colonialisme et du combat contre le néo-colonialisme, le sionisme et l’impérialisme”. Une atteinte parmi tant d’autres qui “se répandent de manière insidieuse ces dernières années”.
“Plutôt que s’en prendre à ses idées et à son parcours militant, ses ennemis, ses adversaires et ses détracteurs essaient de le faire passer pour un ‘quelconque’ espion à la solde de tel ou tel service de renseignement”
Car ce n’est pas la première fois que la mémoire et la figure de Mehdi Ben Barka sont attaquées, estime son fils et porte-parole de la famille Bachir Ben Barka. “Plutôt que s’en prendre à ses idées et à son parcours militant, ses ennemis, ses adversaires et ses détracteurs essaient de le faire passer pour un ‘quelconque’ espion à la solde de tel ou tel service de renseignement, aujourd’hui le StB tchécoslovaque, hier le Mossad israélien, pourquoi pas demain la CIA ou même le Cab1 marocain ?”, regrette-t-il dans ce communiqué intitulé “Comme les mauvaises herbes, la calomnie repousse continuellement”.
Si elle se dit “profondément choquée et indignée par ces ‘pseudo-révélations’ fabriquées volontairement à charge, sans aucun recul ni analyse des situations, du contexte historique et politique…”, la famille de Mehdi Ben Barka soutient que l’objectif est de “porter atteinte à la mémoire de Mehdi Ben Barka, de dénaturer le sens de son action politique et de sa pensée, en faveur de la lutte des peuples contre le colonialisme, l’impérialisme et le sionisme, pour leur émancipation politique et sociale et pour la démocratie”.
“Un passé incontestable”
Sur le fond, Bachir Ben Barka déplore que le chercheur ait perdu de vue “qu’il (documents déclassifiés, ndlr) s’agit de ‘matériel brut’ produit par un service de renseignement, peut-être expurgé ou incomplet, en tout cas sujet à caution”. Et de s’interroger : “En l’absence donc de preuves matérielles, faudrait-il croire sur parole les auteurs de ces articles lorsqu’ils avancent des affirmations aussi ridicules concernant le leader du mouvement afro-asiatique, le militant progressiste au passé incontestable ?”
“En l’absence donc de preuves matérielles, faudrait-il croire sur parole les auteurs de ces articles ?”
Pour le fils du leader de gauche, Jan Koura, repris par The Observer, a “complètement négligé l’environnement géopolitique de la période concernée”. Bachir Ben Barka présente ainsi Prague comme le siège des organisations internationales progressistes, un passage obligé des responsables politiques des organisations internationales comme l’Organisation de solidarité des peuples afro-asiatiques (OSPAA), dont il était membre du secrétariat, pour rejoindre certaines capitales africaines, asiatiques et Cuba.
“D’un point de vue purement pratique, leurs billets de voyage et de séjour étaient pris en charge soit directement par les trésoreries de ces organismes, soit sous-traitées par les comités locaux de solidarité (par exemple le comité tchécoslovaque) qui servaient de relais à l’aide financière internationale du camp socialiste (…) Des aides étaient également fournies à travers la Tchécoslovaquie, afin de soutenir l’action politique des forces progressistes (matériel, formation de militants, bourses d’études, etc.)”, justifie Bachir Ben Barka.
“Problème de terminologie”
Dans son communiqué, la famille Ben Barka soulève aussi “un problème de terminologie” : “Du point de vue du StB — le seul présenté dans l’article de Jan Koura et repris par The Observer — Mehdi Ben Barka est présenté soit comme une source, soit comme un agent. La nuance est importante. On peut être une source involontaire sans toutefois devenir un agent. Tout dépend du point de vue à partir duquel on se place. Aucun des documents consultés par Koura ne lève le doute.” Et de préciser : “Dans le seul document relatif à son prétendu ‘recrutement’, en date de 1963, le prénom de Mehdi Ben Barka devient ‘Mohamed’”.
Aux yeux de Bachir Ben Barka, les analyses de son père sur la situation marocaine, africaine et du tiers-monde en général étaient importantes. “Il n’y avait aucune raison qu’il n’en fasse pas profiter un diplomate ou un responsable politique d’un ‘pays ami’. Il était dans son rôle de dirigeant politique et ne s’en privait pas. Il avait des réunions de travail régulières avec des chefs d’État comme Nasser de l’Égypte, Ben Bella de l’Algérie ou N’Krumah du Ghana et d’autres…”
Toujours selon la même source, Mehdi Ben Barka “n’avait nullement besoin de l’intermédiaire d’un deuxième secrétaire d’ambassade tchécoslovaque à Paris ou de passer par Prague pour échanger avec les responsables soviétiques. Ces contacts existaient déjà lorsqu’il était président de l’Assemblée nationale consultative marocaine, au lendemain de l’indépendance du Maroc”.