Cas d’écoles : quand les étudiantes portent plainte pour harcèlement sexuel

Retour sur deux affaires judiciaires à l’université, parmi les rares qui ont défrayé la chronique.

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déplore le père d’une des victimes. Crédit: Philippe Lopez / AFP

Deux scandales de harcèlement et de chantage sexuels ont secoué, à deux ans d’intervalle, la Faculté des sciences de l’éducation de Rabat et l’Université Abdelmalek Essaâdi de Tétouan. Des affaires qui n’ont entraîné aucune remise en question des établissements. Mécanismes de silenciation des victimes, impunité et pièges judiciaires… éclairage sur un système dysfonctionnel qui échoue à protéger les étudiantes.

Loi du silence

“On ne sait toujours pas où ça en est, pourtant on a déposé plainte”, déplore le père d’une des victimes. En février 2018, Lamia*, étudiante à la Faculté des sciences de l’éducation de Rabat est convoquée dans le bureau d’un de ses professeurs. Il tente de l’embrasser de force. Face à la stupeur de la jeune femme, la réponse est cinglante : “Tu as peur que je t’embrasse, pourtant c’est toi qui devrais en avoir envie.”

“Il m’a dit qu’il était en train de me donner une chance, qu’il fallait que je sache en faire bon usage”

Lamia, étudiante

Saisissant le malaise de Lamia, il lui propose alors de la revoir à Rabat ou à Mohammedia, où elle habite. “Il m’a dit qu’il était en train de me donner une chance, qu’il fallait que je sache en faire bon usage, relatait-elle à TelQuel un an plus tard. Ce jour-là, ma sœur m’attendait à la sortie de la faculté, il l’a interpellée en répétant qu’il me donnait une chance et qu’il fallait que je la saisisse.

Traumatisée au moment des faits, détenant des enregistrements audio de leurs conversations et sachant que ce professeur harcelait d’autres étudiantes, Lamia décide de porter plainte et d’alerter l’administration de l’université. “Le professeur en question nous a soumis un rapport où il réfute les accusations contre lui. On a donc décidé de constituer une commission d’enquête et d’envoyer le résultat de l’enquête à la présidence et au ministère, habilités à prendre les décisions opportunes”, déclarait le doyen de la faculté en 2019.

Trois ans plus tard, force est de constater que l’homme n’a pas été inquiété. Sollicitée par TelQuel, la Faculté des sciences de l’éducation n’a pas souhaité commenter l’affaire ni préciser si le professeur était toujours en poste, arguant que “l’équipe a changé”.

Rares sont les affaires rendues publiques ou remontées au département de l’Éducation supérieure.

Un silence que l’on retrouve à Tétouan, où la Faculté des sciences a été secouée en 2017 par un scandale de chantage sexuel. Les faits remontent à 2015, mais n’ont été révélés que deux ans plus tard, lorsqu’une étudiante publie des captures d’écran de conversations avec son professeur de mathématiques qu’elle accuse de chantage et de trafic d’influence.

Il l’aurait forcée à avoir des rapports sexuels contre l’obtention d’une bonne note. Largement relayé sur les réseaux sociaux, son témoignage pousse trois autres étudiantes à révéler qu’elles avaient subi les mêmes agressions de la part de ce professeur.

“En général, ça ne sort pas de l’université, et ces professeurs deviennent des tyrans, car ils se sentent protégés et par l’établissement et par le syndicat des enseignants”

Un enseignant

Arrêté un mois plus tard pour attentat à la pudeur sur des personnes sous son autorité avec contrainte, trafic d’influence et harcèlement sexuel, l’inculpé nie les faits, prétextant un consentement de la part des jeunes femmes. Le 20 juin 2017, le tribunal de Tétouan le condamne à un an de prison ferme.

Une affaire qui aurait pu interroger l’université sur un système qui a permis à un professeur de profiter de sa situation. Contactée, l’administration de l’Université Abdelmalek Essaâdi de Tétouan assène la même réponse que la Faculté des sciences de l’éducation de Rabat : “L’équipe a changé, nous n’avons pas d’informations.” Une omerta qui pourrait permettre à d’autres prédateurs de sévir.

Aucune remise en question

“En général, ça ne sort pas de l’université, et ces professeurs deviennent des tyrans, car ils se sentent protégés et par l’établissement et par le syndicat des enseignants”, confirme un professeur ayant exercé dans plusieurs universités et qui souhaite rester anonyme. Rares sont les affaires rendues publiques ou remontées au département de l’Éducation supérieure, qui s’en décharge, d’ailleurs. Une employée de l’administration affirme que “cela relève de la compétence des universités” avec une gestion “en interne”.

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Mais comment prendre en charge ces cas sans cellule spécifique dédiée au harcèlement ? Plusieurs sources au sein des établissements confirment qu’aucun système de protection n’existe pour les étudiantes qui en sont victimes. Des recours légaux existent pourtant, comme l’assure l’avocate au barreau de Casablanca Khadija El Amrani : “Il est nécessaire de réunir des preuves du harcèlement ou de l’agression, ça peut être des échanges par message, des audio, voire des témoignages d’autres personnes. Sans ces preuves, la justice ne peut pas faire son travail et l’étudiante risque d’être poursuivie pour dénonciation calomnieuse.”

“Les femmes sont toujours vues comme les tentatrices, c’est toujours de leur faute, donc forcément elles ont peur d’être accusées à leur tour, et que ces affaires les poursuivent” 

Khadija El Amrani, avocate

Les étudiantes peuvent effectivement aisément se retrouver sur le banc des accusés. En cas de partage des fichiers avec des proches ou sur les réseaux sociaux sans l’accord du professeur-harceleur, par exemple, ces actes tombent sous le coup de la loi 09-08 relative à la protection des données à caractère personnel.

Pour autant, les lois les protégeant, bien que peu appliquées, sont claires. Naïma Benwakrim, experte genre du projet de Transparency Maroc sur la sextorsion, explique que deux incriminations figurant dans le Code pénal peuvent permettre la sanction de la corruption sexuelle : celle du harcèlement sexuel et celle de la corruption.

De plus, l’experte explique qu’une lecture attentive de l’article 248 du Code pénal relatif à la corruption “permet d’affirmer que la corruption sexuelle tombe sous le coup de ses dispositions, le terme “avantage” y figurant permettant d’englober n’importe quelle prestation, y compris des prestations sexuelles”.

Pas de quoi rassurer et pousser les étudiantes, toujours peu nombreuses à saisir la justice. Pour Khadija El Amrani, il s’agirait d’un problème de mentalité, de “hchouma” : “Les femmes sont toujours vues comme les tentatrices, c’est toujours de leur faute, donc forcément elles ont peur d’être accusées à leur tour, et que ces affaires les poursuivent.” Un état d’esprit qui encourage les universités à fermer les yeux.