Dans une instruction au ton ferme et sévère, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a ordonné aux entreprises publiques et privées algériennes de “résilier immédiatement” les contrats noués ou en cours avec certains pays qualifiés d’“ennemis de la nation”.
Diffusée dimanche 9 mai au soir à l’adresse de l’exécutif algérien, l’injonction du chef de l’État évoque des relations économiques “engagées sans concertation” et ayant “tendance à se généraliser” sans “considération des intérêts économiques et stratégiques du pays”.
Cette mise en garde aux membres du gouvernement et aux directeurs des entreprises fait suite à différents rapports parvenus à la présidence de la République, d’après le courrier. Une question “de sécurité nationale” met en exergue Abdelmadjid Tebboune, ces accords contractuels se traduisant, selon lui, “par la mise à disposition de données et d’informations sensibles à des entités étrangères, qui peuvent porter atteinte aux intérêts vitaux de notre pays et à sa sécurité”.
Dans son communiqué, le président algérien a donné un délai de dix jours aux directions des établissements concernées pour mettre un terme aux différents contrats, sous peine de sanctions judiciaires.
“Contrats souvent injustifiés”
L’injonction présidentielle fait mention de trois entités : la Compagnie algérienne d’assurance et de réassurance (CAAR), la Société nationale d’assurance (SAA) et l’opérateur de téléphonie mobile algérien Djezzy. Les deux premiers établissements publics sont frontalement sommés de mettre fin à leur contrat avec des “entreprises d’origine marocaine”. L’opérateur de téléphonie, lui, aurait confié ses opérations publicitaires “à des sociétés proches de lobbies étrangers anti-algériens”, d’après l’ordonnance présidentielle, sans toutefois en préciser l’origine.
“Les prestations confiées aux étrangers peuvent être assurées localement”
Des contrats qui semblent “souvent injustifiés” au regard du président algérien. Il déplore ainsi qu’elles donnent lieu à des sorties de devises alors que “les prestations confiées aux étrangers peuvent être assurées localement”.
L’instruction a été donnée au ministre des Finances, Aymen Benabderrahmane, d’interdire tout transfert à l’étranger de dividendes liés à ces contrats. Et au président algérien d’exiger des sociétés algériennes de faire preuve “de responsabilité et de circonspection dans leurs relations avec les partenaires étrangers, en veillant en toutes circonstances à la préservation des intérêts supérieurs de l’État”.
Une fois de plus, le Maroc semble faire l’objet des accusations d’ingérence émises par des représentants de l’État algérien. Il y a quelques mois, c’était au ministère de la Défense d’accuser indirectement le royaume d’être un “porte-voix de la discorde”. Pour l’heure, ni la diplomatie marocaine ni les institutions économiques du royaume n’ont réagi au communiqué émanant de la présidence algérienne.
Une start-up marocaine dans le viseur ?
Si l’on en croit le site d’information et d’enquête Algérie Part Plus, la raison du courroux d’Abdelmadjid Tebboune à l’encontre des deux assureurs algériens serait liée à l’utilisation d’un logiciel fabriqué au Maroc : ORASS. “En vérité, la SAA et la CAAR utilisent un progiciel appelé ORASS qui a été développé par une entreprise marocaine”, développe le site d’information, ce lundi 10 mai. Et de détailler : “Le logiciel ORASS est doté de puissantes capacités dans le domaine de l’assurance”, permettant “une gestion décentralisée des opérations techniques d’assurance et d’une façon continue”.
“ORASS gère uniquement des fonctionnalités internes et techniques des compagnies d’assurance. Comment peut-il réellement représenter un quelconque danger contre la sécurité nationale en Algérie ?”
Cet outil informatique a été développé par la start-up Orsys Communication dont le siège est basé à Rabat. Elle se définit comme une société de service et d’ingénierie informatique spécialisée dans les systèmes d’information pour les compagnies et les sociétés de courtage en assurance. Elle compterait une cinquantaine de clients en Afrique. Contactée par TelQuel, celle-ci n’a pu nous mettre en relation avec un interlocuteur à même de répondre à nos questions, nous invitant à rappeler “après l’Aïd”.
D’après les travaux des chercheurs Assia Belhouchet et Mohamed Mouloud Belaid, de l’Université Badji Mokhtar d’Annaba, sur l’intégration des nouvelles technologies de gestion dans l’activité des compagnies d’assurance en Algérie, la CAAR utiliserait le logiciel ORASS depuis 2006, avant que la SAA ne lui emboîte le pas. Et de pousser Algérie Part Plus à s’interroger sur les atteintes à la sécurité nationale : “ORASS gère uniquement des fonctionnalités internes et techniques des compagnies d’assurance. Comment peut-il réellement représenter un quelconque danger contre la sécurité nationale en Algérie ?”
Selon “plusieurs experts spécialisés dans le secteur des assurances” mentionnés par le média, il faudrait “plusieurs semaines, voire des mois de formation, d’essais et de tests techniques et commerciaux pour utiliser un autre progiciel à la place d’ORASS”, rendant difficile une résiliation des accords sous dix jours. Et de conclure : “Il (le président algérien, ndlr) compromet ainsi dangereusement le fonctionnement des deux plus importantes compagnies étatiques d’assurance du pays.”