Manuel Valls : “Il y a en Espagne, et notamment dans la gauche, une vision dépassée du Sahara”

L’ancien Premier ministre français Manuel Valls a accordé un entretien au cabinet de lobbying MGH Partners. Il y évoque la reconfiguration géopolitique post-Covid, l’importance d’une forte alliance Europe-Afrique, la question du Sahara et les accords d’Abraham.

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L'ancien Premier ministre français Manuel Valls. Crédit: AFP

Habituellement très discret sur les questions internationales, l’ancien ministre de l’Intérieur et Premier ministre français Manuel Valls a livré au cabinet MGH Partners un long entretien, dans lequel il revient en détail sur sa vision des relations internationales à l’ère de la pandémie.

Pour l’actuel conseiller municipal de la ville de Barcelone, en Espagne, la France et l’Europe de manière globale doivent redéfinir leurs alliances stratégiques et placer l’Afrique au centre de leurs intérêts, à l’heure où les États-Unis sont obsédés par la Chine.

Il évoque également la question de la reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur le Sahara, et fustige au passage l’Europe pour sa passivité sur la question. Pour Manuel Valls, le Maroc est un allié incontournable des pays de la rive nord de la Méditerranée. Ces derniers “ressortent perdants à chaque brouille diplomatique” avec le royaume.

Accentuation des crises préexistantes

Manuel Valls estime qu’il est encore trop tôt pour parler d’un monde post-Covid, car “il faudra attendre plusieurs mois pour connaître toutes les conséquences géopolitiques et en tirer tous les enseignements”. Selon lui, la crise sanitaire n’a fait qu’accentuer les crises qui existent déjà, qu’elles soient politiques, économiques ou militaires. Il avance en revanche que les blocs se sont démarqués, avec “un déplacement du pouvoir économique et scientifique vers l’Asie, avec des pays comme Taïwan ou la Corée du Sud qui semblent bien gérer la crise sanitaire”.

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Par ailleurs, ajoute l’ancien Premier ministre sous François Hollande, les États-Unis ont une nouvelle fois confirmé leur position de leader mondial en prenant une grande longueur d’avance dans la campagne de vaccination, tandis que “l’Europe reste un bloc politique qui s’interroge sur son destin, et que deux autres continents d’avenir attendent aussi leur moment de puissance : l’Amérique du Sud et l’Afrique”.

Un dialogue franc avec l’Afrique

À la question de savoir si le contexte post-crise peut favoriser l’émergence de nouvelles alliances, Manuel Valls répond que l’Europe doit faire du continent africain son allié stratégique. “L’Afrique-Europe est l’alliance de demain. L’intérêt stratégique de l’Europe repose sur la capacité de l’Afrique à surmonter ses multiples défis, notamment démographiques, car le continent va doubler sa population d’ici 2050, le Sahel doublera sa population en 20 ans, et un pays comme le Nigéria comptera 500 millions d’habitants en 2050”, détaille-t-il. Il en veut pour preuve les défis communs des deux continents, comme les flux migratoires, le risque terroriste ou la question du réchauffement climatique.

Pour Manuel Valls, “le Maroc joue un rôle indispensable pour la stabilisation de l’espace méditerranéen et de l’Afrique subsaharienne

Il n’exclut pas non plus le rôle que pourrait jouer la Chine dans cette redéfinition des alliances géopolitiques, et déplore l’échec de la tenue d’un sommet commun inédit Afrique-France-Chine à Dakar. Il ajoute par ailleurs que les récentes instabilités qu’ont connues plusieurs pays de la région du Sahel récemment comme la Côte d’Ivoire, le Tchad ou le Burkina Faso obligent les deux continents à élever leur niveau de coopération.

Il se félicite dans ce sens des mécanismes introduits entre la France, l’Espagne, le Portugal et le Maroc “pour rendre plus fluide encore la coopération entre responsables de lutte antiterroriste de quatre pays voisins”. Pour Manuel Valls, “le Maroc joue un rôle indispensable pour la stabilisation de l’espace méditerranéen et de l’Afrique subsaharienne, étant lui-même devenu aujourd’hui une terre d’immigration grâce au développement de son tissu économique”.

Passivité de l’Europe sur le Sahara

La dernière partie de l’entrevue portait sur la reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur le Sahara et les positions de l’Europe sur la question. Dans ce sens, Manuel Valls, qui possède la nationalité espagnole, ne veut pas parler de tensions entre le Maroc et l’Espagne, vu la solidité des relations qui lient les deux royaumes.

Et de poursuivre que l’Espagne et la France ont “tout intérêt à avoir une relation apaisée avec le Maroc, car les pays européens qui veulent l’inverse perdent à chaque fois ! Que ce soit sur la migration ou la lutte contre les narcotrafiquants, l’Espagne comme la France subissent directement les conséquences d’une brouille diplomatique”.

Manuel Valls estime que “Trump a eu raison de créer l’étincelle en actant la souveraineté du Maroc sur le Sahara”

Sur le Maroc justement, Valls estime que “Trump a eu raison de créer l’étincelle en actant la souveraineté du Maroc sur le Sahara”. Il fustige au passage la France et l’Europe qui n’ont pas été, selon ses termes, à la hauteur et accusent un vrai retard. Quant à l’Espagne, il estime que le courant de gauche a une “vision dépassée” de la question. “Au sein du gouvernement espagnol, il y a un allié minoritaire, le parti Podemos qui se cantonne à une ancienne rhétorique de ce que devrait être le Sahara, en refusant de voir la dynamique marocaine sur le terrain”, estime-t-il.

Concernant les accords passés entre le Maroc, les États-Unis et Israël, “la France et l’Espagne n’ont pas salué comme il le fallait cet accord tripartite (…), comme les autres, à l’instar d’Abu Dhabi”, souligne l’ancien Premier ministre. “Peut-être que c’était une gêne par rapport à Donald Trump et Netanyahu, c’est compréhensible, mais seuls nos intérêts stratégiques doivent nous guider face aux nouvelles menaces qui émergent et qui poussent à établir de nouvelles alliances”, avance-t-il.