Après une accalmie, l’épidémie de Covid-19 flambe à nouveau en Inde

L’Inde est en proie à une deuxième vague de Covid-19 massive, le nombre de nouvelles infections quotidiennes dépassant désormais ceux des États-Unis et du Brésil réunis.

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New Delhi, le 26 avril 2021. Un crématorium improvisé pour incinérer les victimes du Covid-19. Crédit: Money Sharma / AFP

Le pic actuel est survenu après une brève accalmie : le nombre de nouveaux cas quotidiens était passé de 97.000 en septembre 2020 à environ 10.000 en janvier 2021. Cependant, à partir de la fin du mois de février, les nouveaux cas quotidiens ont recommencé à augmenter fortement, dépassant les 100.000 cas par jour. Deux mois plus tard, la barre des 200.000 cas est franchie (voire largement dépassée : plus de 350.000 nouveaux cas ont été enregistrés en 24 heures ce dimanche 25 avril).

Les couvre-feux et les fermetures du week-end ont été rétablis dans certains États comme le Maharashtra, y compris dans la capitale économique du pays, Mumbai. Les services de santé et les crématoriums sont débordés, les kits de dépistage manquent, et les délais d’attente pour l’obtention des résultats s’allongent.

Comment la pandémie s’est-elle propagée ?

Les habitants des quartiers pauvres et ceux dont les logements sont dépourvus de toilettes ont été les plus touchés, ce qui laisse supposer que le manque d’hygiène et la promiscuité ont contribué à la propagation.

Lors des débats sur les raisons de cette recrudescence des cas, un mot a dominé les discussions : laaparavaahee (en hindi), que l’on peut traduire par “négligence”. Cette négligence incomberait aux individus qui ne portent pas de masques et ne respectent pas la distanciation sociale. Mais ce n’est qu’une partie de l’histoire.

La négligence peut aussi être vue en tant que l’absence quasi totale de réglementations ou, quand celles-ci existaient, que ce soit sur les lieux de travail ou dans les espaces publics, par leur manque d’application. Les congrégations religieuses, sociales et politiques ont contribué directement à la propagation du virus par le biais de l’organisation d’événements superpropagateurs. Mais cela n’explique toujours pas complètement l’énorme augmentation des cas à laquelle nous assistons aujourd’hui.

En Inde, la deuxième vague coïncide également avec la propagation du variant dit “britannique”. Un récent rapport a révélé que 81 % des 401 derniers échantillons envoyés en séquençage par l’État du Punjab comportaient la variante britannique du coronavirus SARS-CoV-2.

Par ailleurs, un variant porteur d’une nouvelle double mutation circule également en Inde, ce qui pourrait également contribuer à l’augmentation des cas.

Des études ont en outre montré que certains variants pourraient être plus à même d’échapper à notre système immunitaire, ce qui signifie que le risque existe que des personnes immunisées ou précédemment infectées puissent être infectées ou réinfectées.

Le faible taux de létalité initial revu à la hausse

Au cours de la première phase de la pandémie, l’Inde a été louée pour le faible taux de létalité lié à la Covid-19. Celui-ci était d’environ 1,5 %. Cependant, dans son éditorial du 26 septembre consacré à la situation indienne, la revue scientifique The Lancet mettait en garde contre les “dangers d’un optimisme trompeur”.

En situation de pandémie, les autorités de santé publique attribuent généralement certains décès, dont les causes peuvent être complexes, à la maladie en cours. En avril 2020, l’Organisation mondiale de la santé avait pris la peine de clarifier la manière dont les décès liés au Covid-19 doivent être comptabilisés : “À des fins de surveillance, est considéré comme un ‘décès dû au Covid-19’ un décès résultant d’une maladie cliniquement compatible, chez un cas probable ou confirmé de Covid-19, en l’absence de toute autre cause évidente de décès sans lien avec la maladie à coronavirus (par exemple, un traumatisme).”

Il est difficile de savoir dans quelle mesure les autorités sanitaires des différents États de l’Inde ont tenu compte de ces recommandations pour comptabiliser les décès.

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Après avoir été critiqués pour leur manque d’exactitude, de nombreux États indiens ont mis en place des comités d’experts pour réexaminer et vérifier les chiffres des décès dus à l’épidémie, et des corrections du taux de mortalité ont été apportées. L’ampleur du sous-dénombrement fait actuellement l’objet de recherches.

Les données de mortalité recueillies dans les districts indiquent que le taux de létalité a dépassé les 3,4 % dans plusieurs d’entre eux, comme le Maharashtra, le Punjab ou le Gujarat, et ce tant pour la première vague que pour la vague actuelle. Les taux de létalité dans certains des districts les plus touchés ont même été supérieurs à 5 %, ce qui est similaire à la situation des États-Unis.

Quels sont les défis à relever cette fois-ci ?

Dix États (sur 28) concentrent la majorité des cas et des décès (81 %). C’est notamment le cas du Punjab et du Maharashtra. En outre, cinq États (Maharashtra, Chhattisgarh, Karnataka, Uttar Pradesh et Kerala) regroupent plus de 70 % des cas. L’infection semble cependant s’être à présent déplacée des grandes villes vers les petites villes et les banlieues, où les infrastructures sanitaires sont moins développées.

Début mars, le gouvernement indien avait déclaré que la pandémie touchait à son terme. Un optimisme manifestement prématuré

L’année dernière la stratégie gouvernementale de lutte contre la pandémie prévoyait la participation de fonctionnaires de tous les ministères (y compris les ministères autres que celui de la santé) aux activités de lutte anti-Covid-19, mais ces fonctionnaires ont depuis été renvoyés dans leurs ministères respectifs. Cela aura probablement un effet sur le dépistage, la traçabilité et le traitement des cas. Qui plus est, les travailleurs de la santé doivent à présent s’occuper de la campagne de vaccination, en plus de s’occuper des malades.

Et maintenant ?

Début mars, le gouvernement indien avait déclaré que la pandémie touchait à son terme. Un optimisme manifestement prématuré.

Malgré le déploiement de la campagne de vaccination et l’administration de plus de 100 millions de doses de vaccins, 1 % de la population du pays à peine est actuellement protégé par deux doses de vaccin. L’India Task Force s’inquiète en outre du fait que l’approvisionnement mensuel en vaccins, actuellement de 70 à 80 millions de doses, soit “inférieur de moitié” à l’objectif de 150 millions de doses par mois.

Les fermetures strictes et généralisées qui ont été mises en place ailleurs dans le monde ne peuvent être appliquées à toutes les régions de l’Inde, en raison de leur effet sur les travailleurs pauvres. En attendant d’atteindre une couverture vaccinale plus large, les mesures de confinement locales devront donc être renforcées. Il s’agit notamment de contrôler strictement les périmètres où sont censées s’appliquer ces mesures, afin de s’assurer qu’il n’y a pas de mouvement de population à l’intérieur ou à l’extérieur des zones où sévissent des épidémies locales. Il faut aussi s’assurer du respect des directives de confinement, en surveillant les domiciles des particuliers, et mettre en place des stratégies de recherche des contacts et de dépistage généralisées.

Il va sans dire qu’il faut abandonner l’idée d’organiser de grands rassemblements, tels que les meetings politiques ou les festivals religieux, même si certains ont eu lieu.

En attendant de pouvoir vacciner davantage de monde, la maîtrise de l’épidémie passera par un leadership fort et des stratégies décentralisées, axées sur les restrictions locales.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Voici l’article original, signé Rajib Dasgupta, Chairperson, Centre of Social Medicine and Community Health, Jawaharlal Nehru University