Le ministère de la Justice ne s’est pas embarrassé de petites économies ces dernières années. Un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF), rendu public par le pure-player arabophone Rue20, met en lumière les achats d’équipements dispendieux du département de la Justice sous ses trois derniers locataires : de l’actuel ministre Mohamed Benabdelkader à ses prédécesseurs Mohamed Aujjar (avril 2017 – octobre 2019) et Mustapha Ramid (janvier 2012 – avril 2017).
L’organe de contrôle pointe ainsi des dépenses aussi coûteuses qu’aberrantes. Des achats qui concernent du simple mobilier de bureau, voire des éléments de décoration pour le ministère situé place de la Mamounia à Rabat. D’après l’enquête menée par l’IGF, ces biens ont été acquis à des prix largement surévalués par rapport à leur coût sur le marché.
Loin du juste prix ?
Selon les éléments de l’enquête de l’IGF relayés par Rue20, il est indiqué l’achat d’une table de réunion en “bois rouvre et cuir demi-fleur de haute qualité”. Bonus du produit, “toute la structure inférieure est dotée de portes en bois rouvre pour accès à la canalisation”, indique le document au sujet du bien orné de diverses prises et de “surpiqûre sur le cuir” afin de “délimiter les zones de travail des différentes assises”. Le montant de l’acquisition par le ministère de la Justice ? 758.280 dirhams, toutes taxes comprises, quand le prix du produit sur le marché est estimé à 720.000 dirhams par les enquêteurs.
L’envie de redonner vie aux locaux du ministère a également motivé l’achat d’un olivier décoratif estimé à lui seul à 36.000 dirhams
Pour les seuls locaux du ministère, cinq poubelles ont également été acquises pour un montant de 6012 dirhams chacune, là où leur prix sur le marché a été évalué par l’IGF à 3360 dirhams. Cinq autres poubelles, d’un modèle différent, ont été achetées à 3576 dirhams l’unité, contre 2520 sur le marché selon les inspecteurs. De quoi chiffrer à 47.940 dirhams les dix boîtes à déchets.
L’envie de redonner vie aux locaux du ministère a également motivé l’achat d’un olivier décoratif estimé à lui seul à 36.000 dirhams. Dans le rapport, les enquêteurs de l’IGF indiquent avoir demandé aux services du ministère de la Justice “un référentiel des prix” présent dans le cahier des charges, ou même une liste “d’entreprises qui ont proposé ces prix”, mais se sont heurtés au silence des intéressés.
“Absence de critères clairs”
Le ministère n’est pas le seul lieu ayant fait l’objet d’un lifting décoratif et architectural. D’après l’organe de contrôle dépendant du ministère de l’Économie et des Finances, l’Institut supérieur de la magistrature, dépendant du département de la Justice, a également été modernisé. Selon Rue20, des dizaines d’écrans plats et réfrigérateurs ont été achetés pour deux fois le prix d’une technologie équivalente sur le marché.
Ainsi, 20 téléviseurs de marque Samsung et d’une diagonale d’écran de 137 centimètres ont été acquis pour 22.200 dirhams pièce, soit un total de 444.000 dirhams pour l’ensemble des écrans. Les réfrigérateurs de marque LG, eux, ont coûté 15.000 dirhams l’unité là où dans le commerce au moment de leur achat, ils se vendaient à 7800 dirhams.
L’IGF dénonce alors, dans la version du rapport publié, “l’absence de critères clairs” pouvant justifier ces achats. Après enquête, l’Inspection générale des finances peut soumettre ses observations au ministère en question, à la Cour des comptes, mais aussi aux organes judiciaires, s’il est question de dysfonctionnements graves nécessitant un procès.
Dans un communiqué du ministère de la Justice, relayé le 4 février par l’agence officielle MAP, le département de Benabdelkader a rappelé que l’enquête de l’IGF “ne relève aucun manquement au respect du principe de concurrence”, lors de l’acquisition de fournitures pour les besoins du projet. La mise au point évoque que le ministère a “bien répondu aux observations émises par le rapport provisoire de l’IGF”, lesquelles ont été “inclues dans le rapport définitif”. Contacté par TelQuel, le ministère des Finances n’a, pour l’heure, pas été en mesure de nous affirmer s’il s’agissait bien d’un rapport provisoire ou définitif.
Pour le département de la Justice, “plusieurs sociétés ont répondu à l’appel d’offres et aucune plainte n’a été déposée à ce sujet”, selon un écrit de la direction de l’Équipement et de la gestion du patrimoine du ministère. Pour l’achat de la table de réunion, le ministère de la Justice explique que “son prix d’achat a été le moins coûteux par rapport aux autres offres reçues par le ministère”.
Ramid évoque une diffamation
En tant qu’ex-ministre également mentionné dans l’article se référant au rapport, Mustapha Ramid est lui aussi sorti du bois. Dans un communiqué publié sur pjd.ma, site officiel de la formation politique éponyme, l’actuel ministre chargé des Droits de l’Homme et des Relations avec le Parlement évoque des révélations “diffamatoires” envers sa personne, “quelles que soient l’ampleur et la validité” des révélations.
Ce dernier se dit nullement concerné par un rapport concernant des faits qui remontent à l’année 2018, quand lui a cessé d’occuper le poste le 6 avril 2017, ajoutant qu’il se réserve le droit de saisir la Justice contre le pure-player arabophone.