Lahcen Zinoun : “Grâce à Nour-Eddine Saïl, nous sommes passés de 2 à 25 longs-métrages par an tournés au Maroc”

Le chorégraphe et réalisateur Lahcen Zinoun rend hommage à l’homme de culture d’exception qu’était Nour-Eddine Saïl, décédé dans la nuit du 15 décembre des suites d’une contamination au Covid-19.

Par

Nour-Eddine Saïl par Khalil Nemmaoui, en novembre 2013. Crédit: Khalil Nemmaoui

L’homme libre, c’est-à-dire celui qui vit selon le seul commandement de la raison, n’est pas conduit par la crainte de la mort, mais désire le bien directement, c’est-à-dire qu’il désire agir, vivre, conserver son être selon le principe de chercher l’utile qui nous est propre. Et par conséquent, il ne pense à rien moins qu’à la mort ; mais sa sagesse est une méditation de la vie”, écrivait Spinoza.

Lahcen Zinoun.Crédit: DR

Pensée émue à ma chère Nadia Larguet, sache que Michèle Jaïs et moi prenons part à ta douleur. Son départ nous laisse cependant bien tristes car sa joie de vivre et sa personnalité unique nous apportaient bonheur et lumière. Puisse ces mots apaiser ton chagrin et t’apporter du réconfort, à toi et toute sa famille.

Je parle de mon ami Nour-Eddine au présent car pour moi il restera présent. Nour-Eddine Saïl, nommé à la tête du Centre cinématographique marocain en 2003 par le roi Mohammed VI, est le moteur de cette impulsion hors du commun. Critique de cinéma, il est aussi gestionnaire (il a été directeur de la chaîne de télévision 2M), homme de terrain et surtout homme de passion. Il a donné un véritable coup d’accélérateur au cinéma marocain, mais n’a pas eu le temps de régler le problème des salles de cinéma au Maroc, dont la fréquentation est en chute libre.

Selon lui, cette situation renseigne sur “l’absence d’un véritable intérêt chez les décideurs dans le pays quant à la valeur de cet art et son importance vitale”. Philosophe, dont les maîtres à penser sont Nietzsche et Spinoza, Nour-Eddine Saïl a l’art de concentrer ses pensées pour atteindre l’élévation. Passionné par le septième art, il est une mémoire vivante du cinéma en général, marocain en particulier, le plaçant d’une manière inédite dans l’espace public.

“Je parle de mon ami Nour-Eddine au présent car pour moi il restera présent”

Lahcen Zinoun

Il est d’ailleurs le fondateur du premier magazine marocain sur le cinéma et de la Fédération nationale des cinéclubs du Maroc. Il a vécu comme acteur et comme observateur de tant de Maroc successifs. Tout en restant le même, il est à la fois constant et fidèle en amitié. Nos deux grands plaisirs sont, d’abord, de nous retrouver au Festival du film africain de Khouribga dont il est président, et surtout de partager nos délicieuses rencontres de minuit par des discussions qui se terminent souvent par des éclats de rire, des moments sublimes et inoubliables.

J’aime ce monsieur pour sa droiture et son sérieux professionnel. Malgré les déceptions qu’il croise de temps à autre sur son chemin, j’apprécie en lui sa persévérance à croire encore et toujours à l’investissement dans l’humain. Un chiffre donne la mesure de la vitalité qu’il a su insuffler au secteur : d’environ deux films tournés par an au XXe siècle, nous sommes passés à vingt-cinq longs métrages et une centaine de courts métrages. Nour-Eddine Saïl a aussi veillé, avec obstination, à protéger la liberté de création et d’expression.

Mon dernier film Femme écrite, sorti en 2012, par exemple, a été interdit aux moins de 16 ans certes, mais il a été projeté tel que je l’ai voulu et sans qu’aucune scène ne soit coupée. Nour-Eddine a permis d’instaurer un degré de respect pour le travail artistique nouveau. Cher ami Nour-Eddine, aucun mot ne serait suffisant pour exprimer le chagrin causé par ton départ, et rien ne saurait l’apaiser.”