Résister par la lecture ? Pour l’Union professionnelle des éditeurs du Maroc (UPEM), c’est possible. C’est derrière cette idée que se niche l’origine de l’initiative de l’opération “Lecture, acte de résistance”, lancée le lundi 9 novembre à la librairie Kalila Wa Dimna de Rabat, en présence de différents acteurs du marché du livre, à savoir Abdelkader Retnani, président de l’UPEM et fondateur des éditions La Croisée des Chemins, Abdelilah Afifi, secrétaire général du ministère de la Culture, Amine Bencherki, directeur général de Sochepress, et Khalil Hachimi Idrissi, directeur de la MAP.
Cette initiative, créée par l’UNEM, est une réponse à la crise économique que traverse le marché du livre, déjà en difficulté avant même l’avènement de la pandémie de Covid-19. Le concept est simple : une sélection de près de 200 ouvrages, exposés dans 38 librairies du royaume, en partenariat avec 17 maisons d’édition, du 6 novembre au 20 décembre 2020.
Tout au long de l’opération, une réduction est accordée aux lecteurs désireux de se procurer les ouvrages en question. Quant à la sélection, elle est exclusivement marocaine.
Un lancement confiné
À la libraire Kalila Wa Dimna le 9 novembre à 16 h 30, l’ambiance est assez calme pour un événement littéraire qui réunit petits et grands éditeurs, ainsi qu’une trentaine de librairies réparties sur l’ensemble du royaume. Deux ou trois clients arpentent les rayons de la librairie, et ni les éditeurs ni les auteurs concernés ne se trouvent sur place.
“C’est une sorte de fête du livre marocain que nous organisons pendant 45 jours”
“Ils tenaient réellement à être là, mais il ne faut pas oublier que nous sommes en pleine pandémie, et que nous ne nous pouvons nous permettre de créer un rassemblement”, explique Abdelkader Retnani, président de l’UPEM, présent lors de l’événement aux côtés des trois autres responsables cités ci-dessus, et de Souad Balafrej, gérante de la librairie Kalila Wa Dimna. “Faire trop de vagues au niveau de la promotion et des photos aurait été risqué”, ajoute l’éditeur. L’opération “Lecture acte de résistance” est par ailleurs soutenue par le ministère de la Culture, comme en témoigne la présence de Abdelilah Afifi, mais à hauteur strictement symbolique.
Bien que l’inauguration de cette opération de résistance littéraire se soit déroulée dans la plus grande discrétion, cela ne semble aucunement remettre en question la détermination et la conviction des différents acteurs impliqués. “C’est une sorte de fête du livre marocain que nous organisons pendant 45 jours”, résume Abdelkader Retnani. De son côté, Souad Balafrej ajoute qu’il s’agit “de faire travailler libraires et éditeurs main dans la main, pour une cause qui leur est commune : sauver le marché du livre marocain”.
Et si la date initiale de lancement de l’opération coïncidait avec le 6 novembre et que celle-ci durera 45 jours, ce n’est pas un hasard. Ce parallélisme symbolique avec le 45e anniversaire de la Marche verte est une idée d’Abdelkader Retnani, à l’initiative de l’opération “Lecture, acte de résistance” : “C’est notre façon de symboliser la résilience du marché du livre qui, malgré tout, survit encore. Il faut voir les choses en face : libraires et éditeurs sont en train de perdre espoir face aux conséquences de cette pandémie, d’où cette opération de solidarité”, explique le président de l’UPEM et fondateur des éditions La Croisée des Chemins. “Nous allons résister, de même que le Maroc a résisté et continue de résister pour ses intérêts territoriaux”, poursuit-il.
Libraires et éditeurs, même combat
“Si nous avons accepté de prendre part à cette initiative, c’est tout d’abord parce que l’on ne parle pas assez des livres”, déclare Layla Chaouni, fondatrice des éditions Le Fennec, qui fait partie des maisons d’éditions partenaires de l’opération. Et les différents acteurs de cette campagne sont unanimes : lorsqu’ils ont été sollicités par l’UPEM afin de prendre part à cette opération nationale, il n’y a eu aucun instant d’hésitation.
“Il faut voir les choses en face : libraires et éditeurs sont en train de perdre espoir face aux conséquences de cette pandémie, d’où cette opération de solidarité”
Pour Patrick Lowie, des éditions Onze, nouvellement installées à Casablanca, il faut avant tout jouer collectif : “Des actions comme celles-ci nous permettent de créer un impact sur le livre marocain. Une maison d’édition à elle seule ne peut pas y arriver.” Pour Souad Balafrej de la librairie Kalila Wa Dimna, il s’agit “d’une opération qui a l’avantage de mettre en lumière l’importance de la lecture et d’insister sur le rôle du livre, à la fois auprès des jeunes et des adultes”.
Et d’ajouter : “Nous avons de très beaux livres marocains qui sont publiés chaque année, et qui ne sont pas suffisamment connus. Cette initiative a donc pour but de les mettre en valeur auprès d’un lectorat qui ne les connaît pas forcément, et qui face aux différentes vitrines que nous proposons, aura peut-être envie d’en acheter un ou deux.”
Du côté des éditions Onze, l’argument est le même : “Ce genre d’action nous permet d’avoir une réelle couverture médiatique, afin de montrer que nous aussi, en tant que libraires et éditeurs marocains, nous proposons une littérature de qualité.”
Une page difficile à tourner
Si les libraires et éditeurs se montrent aussi solidaires, c’est que leur situation, même après le déconfinement, demeure critique. “Les conséquences du confinement sont lourdes et continueront de l’être”, annonce Souad Balafrej. “Après trois mois de fermeture, nous continuons à enregistrer de faibles ventes. Nous faisons de notre mieux, en proposant des services de livraison, mais ce n’est pas assez”, continue-t-elle.
“Nous souhaitons réellement que les futures mesures prises par les autorités soient conciliantes à notre égard : une librairie marocaine est loin d’être un endroit de regroupement social”
Pour Layla Chaouni, fondatrice des éditions Le Fennec, le constat est le même : “Si l’on regarde le côté positif, le confinement nous aura au moins permis de développer notre site web ainsi que notre système de vente par Internet. Quoi qu’il en soit, nos chiffres de vente s’en sont ressentis, et si l’on ne comptait que sur les ventes pour survivre, cela ferait longtemps qu’on n’existerait plus.”
“Il a fallu oublier les primes et les ventes de droits, réduire nos publications. Les pertes sont énormes, mais moins graves que celles d’une librairie contrainte de mettre la clé sous la porte”, relativise l’éditrice. Selon les chiffres communiqués à TelQuel par Abdelkader Retnani, le marché du livre connaîtrait une baisse de 60 % par rapport à l’année 2019. “En juillet, nous pensions que nous étions morts, ajoute-t-il en pesant ses mots. Nous souhaitons réellement que les futures mesures prises par les autorités soient conciliantes à notre égard : une librairie marocaine est loin d’être un endroit de regroupement social. Les risques de contamination y sont faibles, comparés à un supermarché.”
Ainsi, face à la progression constante de l’épidémie sur l’ensemble du territoire, le marché du livre souffle, mais reste sur ses gardes : “Il y a actuellement un grand débat en France au sujet de la fermeture des librairies. Ici, nous longeons les murs et faisons très attention : si nous devions subir une deuxième fermeture, cela pourrait être fatal à certains de nos confrères”, conclut Abdelkader Retnani.