Pandémie et huis clos, l’équation avait forcément de quoi chambouler la vie des ménages. Des foyers qui ont dû faire face à l’inactivité pour les uns, au télétravail pour les autres, ont vu leur quotidien chamboulé. D’autant plus lorsque cette adaptation à un nouveau rythme professionnel se mêle aux tâches ménagères qui s’accumulent et la garde d’enfants scolarisés à domicile.
Résultat : 25 % des Marocains auraient vécu des situations de conflit avec les personnes avec qui ils se sont confinés. C’est le constat dressé par la dernière enquête du Haut-commissariat au plan (HCP) sur les “Rapports sociaux dans le contexte de la pandémie Covid-19”.
Publiée le 27 juillet, cette enquête a été réalisée sur un échantillon représentatif de 2169 ménages “en vue d’appréhender l’évolution des comportements socioéconomiques et préventifs face à cette pandémie”, explique le HCP. Dans le détail, 34 % d’entre eux ont eu des conflits avec le conjoint (33 % parmi les femmes et 35 % parmi les hommes), 60 % avec un membre du ménage autre que le conjoint (56 % parmi les femmes et 54 % parmi les hommes) et 6 % avec le conjoint et un autre membre du ménage (11 % parmi les femmes et 0,2 % parmi les hommes).
Autrement, parents et enfants ont été contraints d’inventer et s’adapter à de nouvelles règles de vie pour faire face à ce confinement forcé. Une situation aux répercussions forcément nombreuses sur les différentes couches de la population marocaine “en termes d’accès aux produits de base, à l’éducation, à la santé, à l’emploi et au revenu”, étaye le rapport.
Gestion des finances et partage des tâches ménagères
Parmi les principales causes de conflit dans les ménages, la gestion des ressources financières a cristallisé un certain nombre de tensions. “Les soucis financiers sont la source de tension et de dispute conjugale pour plus d’un Marocain sur cinq (22 %), dont 72 % des cas plus qu’à l’accoutumée”, note le HCP. Un point qui a principalement touché les jeunes couples de moins de 24 ans (28 %), mais aussi 26 % des foyers dont au moins l’un des membres s’est retrouvé au chômage technique. Une situation qui a également davantage impacté les ménages en milieu rural (25,4 %).
Les femmes ont consacré jusqu’à six fois plus de temps que les hommes aux travaux ménagers
Le partage des tâches ménagères dans la vie du foyer a également suscité des crispations, avec 5,3 % des personnes à l’échelle nationale qui ont déclaré “plus se disputer qu’auparavant”, dont 6,2 en milieu urbain. D’après l’enquête, il apparaît que les femmes ont consacré jusqu’à six fois plus de temps que les hommes aux travaux ménagers, soit 4 h 27 contre 45 minutes pour les hommes.
La gestion des activités de loisirs (regarder la télévision, activités familiales…) est également des sujets de dispute pour 6,8 % des Marocains (7,3 % en milieu urbain contre 5,7 % en milieu rural, et 8,7 % parmi les femmes contre 4,8 % parmi les hommes), dont 64 % des cas plus qu’auparavant. Plus largement, le HCP constate que “les femmes et les jeunes sont les plus touchés par le sentiment de promiscuité ou de manque d’intimité et les difficultés à exercer les activités quotidiennes durant le confinement.”
La scolarisation des enfants au cœur des tensions
Avec la fermeture des établissements scolaires, le 16 mars, tous les parents ont dû se mettre à l’heure de l’école à la maison. Au cours de l’année scolaire 2019-2020, 9,2 millions de Marocains ont été en situation de scolarisation, dont 65 % de citadins.
L’école à huis clos était une première, avec une adaptation qui n’était pas aisée donc source de tension au sein des couples. Plus de 12 % des parents d’enfants en âge de scolarisation, dont 67 % des cas plus qu’à l’accoutumée, rapportent avoir eu des disputes conjugales à cause de l’accompagnement scolaire des enfants. Un constat qui concerne 14 % des citadins et 9 % des ruraux.
9,5 % des élèves scolarisés ont complètement abandonné les cours à distance
Du côté des élèves, l’annulation et le report des examens ont également entraîné une baisse de l’assiduité au niveau du suivi des cours à distance. Selon le HCP, la part des personnes scolarisées qui suivent les cours à distance, tous niveaux confondus, a reculé, après report ou annulation des examens, de 77,9 % à 61 %. Cette baisse est plus prononcée au collège, de 81,2 % à 57,6 %, suivi par le primaire de 73,2 % à 53,5 %, le secondaire de 85,8 % à 72,3 %, exceptée la 2e année du baccalauréat où cette proportion est restée la même (95,4 %), et, enfin, la formation professionnelle de 70,4 % à 60,6 %.
18,1 % de scolarisés sont passés d’un suivi régulier à un suivi irrégulier, et 9,5 % ont complètement abandonné les cours à distance. Six personnes scolarisées sur 10 ont réduit le temps consacré aux études durant le confinement, constate l’instance chapeautée par Ahmed Lahlimi.
L’éducation des enfants a constitué une part non négligeable des tensions au sein des couples, mais pas que. “Près d’un Marocain sur cinq (18,6 %), 20,3 % parmi les femmes et 17,2 % parmi les hommes, se disputent avec le conjoint au sujet de l’éducation des enfants hors leur accompagnement scolaire (comportement avec les enfants, temps accordé aux enfants, temps passé par les enfants devant les écrans…), poursuit le HCP. 59 % d’entre eux rapportent que ce conflit s’est a eu lieu plus fréquemment qu’auparavant.”
Un accès réduit aux soins de santé
“La crainte de contamination au Covid-19 et le manque de moyens limitent l’accès aux services de santé en période de confinement.” Tel est le constat de l’instance dirigée par Lahlimi sur l’accès aux soins de santé des Marocains durant la période de propagation du coronavirus. Un accès disparate qui a particulièrement impacté 34,2 % des personnes souffrant de maladies chroniques, 35,6 % des maladies passagères et 26,2 % des services de santé maternelle.
Parmi les 11,1 % de personnes souffrant de maladies chroniques ayant nécessité un examen médical durant le confinement, 45,2 % n’ont pas eu accès à ces services. Une part plus accrue chez les ruraux (53,2 %) que chez les citadins (41,4 %), mais aussi chez les populations les plus précaires à 48 %, en comparaison avec les couches plus aisées (37 %).
De même pour les 10,1 % de personnes souffrant de troubles passagers, nécessitant consultation auprès d’un spécialiste. 37 % d’entre elles n’ont pas pu en bénéficier, dont 46 % en milieu rural contre 33 % en milieu urbain.