Oxfam : la gestion du fonds Covid-19, une illustration du besoin de transparence dans la gestion de la chose publique

Depuis le début de la crise, Oxfam au Maroc publie une série de tribunes intitulées “distanciation sociale n’est pas différenciation sociale”. Cette fois, c’est la gestion du fonds Covid-19 qui interpelle l’ONG sur le besoin de transparence dans la gestion de la chose publique.

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Distribution des aides financières aux Ramédistes, en juillet 2020. Crédit: MAP

Les mesures préventives prises urgemment et avec courage par les autorités compétentes ont donné l’image d’un État marocain à la hauteur des attentes de ses citoyen·nes. Toutefois, cette image a été rapidement ternie par des critiques et doutes liés à la gestion du fonds d’affectation spécial mis en place pour l’amortissement des effets de cette crise sanitaire inédite.

En effet, la gestion de ce fonds a mis en exergue la question de la bonne gouvernance, de la reddition des comptes et de l’implication citoyenne dans la gestion publique.

L’accès à l’information, un droit entravé

L’information relative aux opérations traitées dans le cadre de ce fonds est très réduite, ce qui remet en question la volonté du Maroc d’observer les lignes directrices d’un budget ouvert (open budget index) permettant la contribution active des citoyen·nes à la mise en place des politiques publiques.

À titre d’exemple, les promesses de don faites par plusieurs personnes, morales et physiques, ont fait l’objet d’une grande couverture médiatique, au point que durant un certain temps, le débat public portant sur les détails de ces déclarations d’intentions était devenu plus important que celui suscité par la pandémie elle-même.

Qu’est-ce qu’un CAS ? Les CAS sont l’une des 5 catégories des comptes spéciaux du trésor (CST) permis par l’article 27 de la loi organique des lois de finances (LOF). En principe, les CST sont une dérogation aux grands principes budgétaires de la loi de finances, notamment au principe fondamental de l’universalité selon lequel toutes les recettes et les dépenses sont imputées au budget général sans aucune contraction entre les deux (LOF : art-8). Dans la pratique, cette règle de base garantit la transparence dans la gestion des ressources et des dépenses de l’État.

Néanmoins, la trésorerie générale du royaume (TGR) n’a partagé dans ses derniers bulletins mensuels que des informations générales relatives à la situation du CAS en question. Quid desdites promesses, ont-elles été tenues ? Les citoyen·nes visé·es par cette campagne médiatique ne sont toujours pas au courant. Le décret portant création du fonds spécial pour la gestion de la pandémie de Covid-19 a précisé son statut de compte d’affectation spécial (CAS).

La gouvernance des deniers publics dans un CAS, mission impossible

Conformément aux principes de bonne gouvernance, le législateur a le droit de contrôle sur les différentes dépenses du budget général. Toutefois, les CST échappent presque à tout contrôle et les responsables des crédits dépensés, notamment dans le cadre des CAS, ne sont pas tenus de rendre compte.

Dans la pratique législative, la transparence dans la gestion des CST peut permettre aux représentants de la nation de proposer, par exemple, le recours aux excédents budgétaires des exercices précédents des CAS pour financer de nouvelles charges sociales.

En fait, pendant la période d’approbation du projet de loi de finances 2020, des parlementaires ont suggéré l’augmentation du budget affecté aux ministères de la Santé et de l’Éducation en vue d’améliorer la qualité des services sociaux, dont bénéficient notamment les classes les plus défavorisées.

Malheureusement, pour décourager toute tentative de formulation et d’adoption de ces propositions, le ministre de l’Économie et des Finances a fait allusion à l’article constitutionnel 77 permettant à l’Exécutif d’opposer tout amendement législatif de nature à aggraver les charges publiques.

Une réalité tronquée et un manque de visibilité : les plus pauvres ont-ils été atteints ?

S’il est indéniable que les aides publiques mensuelles ont permis à 5,1 millions de ménages de résister pendant le confinement, il est important de commencer à tirer les leçons de la gestion du fonds Covid-19 et de voir dans quelle mesure cela résonne avec des problématiques déjà existantes en termes de gouvernance.

En réalité, beaucoup de citoyen·nes ont trouvé des difficultés pour bénéficier de ces aides. Selon une enquête réalisée par le Haut-Commissariat au Plan sur l’impact de la pandémie, 59 % des ménages ayant un membre qui a perdu son emploi et qui sont enregistrés pour bénéficier du fond Covid19, n’ont rien reçu jusqu’au 23 avril, date de la clôture de cette enquête.

Pendant le mois de mai, des Marocain·es ont organisé des manifestations dans plusieurs villes pour contester leur exclusion de ces aides, malgré la précarité de leur situation économique. En fait, cela pose des questions sur l’efficacité du ciblage dans la gestion de ce fonds.

Pour pallier ces dysfonctionnements, la société civile a joué un rôle crucial lors de cette crise. En effet, des ONG, dont Oxfam, se sont engagées à travers le royaume dès le début, en coordination avec les autorités locales, pour venir en aide aux plus vulnérables : personnes démunies, migrant·es, sans-abri, zones enclavées et rurales, femmes victimes de violence notamment.

Des mesures à prendre en priorité

Consciente du fait que la bonne gouvernance des deniers publics est essentielle pour lutter contre la pauvreté et pour réduire les différentes formes d’inégalités, Oxfam s’est engagée dans le cadre de plusieurs projets, en partenariat avec des acteurs de la société civile et les autorités locales, dans la lutte contre la corruption et l’amélioration de la culture de transparence et de redevabilité.

C’est dans cet esprit et avec une volonté de contribuer au débat qu’Oxfam au Maroc formule les recommandations suivantes :

  1. Des mécanismes de suivi et coordination des programmes et politiques publiques plus inclusifs, rassemblant de manière formelle la société civile et le secteur privé dès que ces programmes et politiques les concernent ;
  2. Plus de transparence dans la gestion des politiques publiques avec un accès libre à l’information et la publication de toutes les données relatives à la gestion du CAS Covid-19, notamment celles portant sur les recettes et les dépenses de ce fonds, ainsi que sur les choix et les décisions prises ;
  3. La présentation de tout projet d’opération programmée dans le cadre de ce fonds aux commissions parlementaires concernées conformément à l’article 30 de la LOF ;
  4. Le contrôle de la gestion de ce fonds par la Cour des comptes, conformément à l’article 147 de la Constitution et à l’article 2 de la loi 62-99 formant Code des juridictions financières ;
  5. Profiter de la révision du modèle de développement et opter pour de nouvelles politiques publiques qui apportent les corrections nécessaires aux différentes formes d’inégalités sociales, de genre et de disparités territoriales, en accélérant notamment la mise en place du registre social unifié ;
  6. Garantir la durabilité de ces politiques à travers une réforme profonde de la politique fiscale et prendre des mesures fiscales d’urgence plus justes et redistributives, en commençant par une taxe de solidarité sur les grandes fortunes qui permette d’assurer une protection sociale universelle couvrant les travailleurs du secteur informel ;
  7. Mettre toutes les garanties de l’État pour protéger l’emploi et stimuler l’activité économique, y compris pour les PME et TPE, et formaliser le tissu économique par le biais de mesures souples et attractives.