J’ai d’abord connu Ssi Abderrahmane Youssoufi à travers sa plume. Il était à l’époque rédacteur en chef du journal Attahrir, je dévorais ses éditoriaux qui donnaient un nouveau ton au journalisme au Maroc. Notre première rencontre a eu lieu au Caire. On participait tous les deux, avec d’autres militants marocains et d’ailleurs, aux travaux de mise en place de l’Organisation arabe des droits humains dans les années 70. Abderrahman Youssoufi représentait l’Union des avocats arabes (en tant que membre du bureau exécutif de l’organisation) et pour ma part, je représentais le bureau de Marrakech du syndicat des avocats du Maroc. Je me souviens qu’à l’époque, les hôtels de la ville égyptienne étaient bondés, et les organisateurs ont proposé de loger chaque deux participants dans une seule chambre. Ssi Abderrahaman m’a choisi pourtant il y avait des ittihadis dans notre groupe, et en plus j’étais un Istiqlalien ! Cela m’a fait énormément plaisir surtout qu’au cours de notre séjour égyptien, nous avons appris à nous connaître.
Dans les années 90, nos rapports sont devenus plus étroits avec la formation de la Koutla. J’ai alors connu un homme qui parlait quand il le fallait et qui se taisait quand le silence avait une plus grande portée que la parole. Car certains disaient qu’il ne parlait pas mais ce n’est pas vrai. Au sein de la Koultla, ses interventions étaient pertinentes, sa manière d’aiguiller le débat aussi. Evidemment, il a porté des prises de décisions courageuses. Au sein de cette coalition, il a réussi à insuffler une dynamique forte. C’était aussi un homme qui ne faisait pas de concession sur ses principes.
Au sein de son gouvernement, j’ai été ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative. J’ai alors appris à connaître l’homme d’Etat qu’il était. Au sein de la coalition gouvernementale, il savait gérer, coordonner et trouver de justes compromis et il le faisait avec élégance et retenue. C’est un homme d’Etat dans le vrai sens de la fonction. Il m’a personnellement soutenu quand j’ai porté des projets de loi comme celui sur le Conseil Supérieur de la Fonction Publique. Après sa démission du gouvernement et ce qu’il appelle lui-même « la sortie de l’approche démocratique », nous sommes restés en contact constant. On tenait à garder les liens qui nous unissaient.
La dernière fois que je l’ai vu, c’était durant Aïd Al Adha de l’année dernière. Il a passé la journée avec la famille à Rabat. Malgré ses soucis de santé, il était lucide et avait gardé sa joie de vivre. Cette journée passait ensemble m’a fait énormément plaisir et m’a ampli de joie !
Le Maroc perd aujourd’hui un grand leader qui a toujours mis l’intérêt du pays au dessus de tout ! C’était un militant dans les moments difficiles et un militant dans les moments normaux.