Chronique d’un confinement. Jour 42

Confinée dans son appartement parisien, notre chroniqueuse Fatym Layachi nous fait le récit quotidien d’une vie entre quatre murs.

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Jour 42. Comme elles paraissent loin, futiles et légères, nos petites indignations.

Lundi 27 avril

Jour 42

Ça fait plus de 40 jours que le confinement a débuté. Selon certaines cultures, 40 jours, c’est le temps qu’il faudrait à l’âme pour rejoindre le royaume de la lumière. Mais plus généralement, c’est un moment important dans les rites de passage. C’est souvent le temps nécessaire à l’acceptation d’une nouvelle situation.

Dans mon cas, je réalise que l’acceptation du confinement est pleinement actée. Peut-être même un peu trop. Je réalise que ça fait plus d’un mois que je me réveille confinement, que je me couche confinement, que je mange confinement, que je parle confinement.

Depuis des semaines, l’actu, les titres, les discussions, les alertes sur mon écran d’iPhone, les bandeaux qui défilent sur les chaînes d’info, les tweets ont tous le même sujet. Ça ne parle que de ça. De pandémie, de quarantaine, de traitements, de nombres de lits en réa, de nombres de guérisons. Ça calcule l’âge moyen des malades décédés et ça évoque les éventuelles stratégies de déconfinement. Il y a aussi les masques, les polémiques et les injonctions contradictoires… Quand on évoque l’après, les conséquences, les inquiétudes ou les angoisses, c’est toujours de coronavirus qu’il s’agit.

À croire que la planète s’est arrêtée de tourner.

Et pourtant elle tourne !

Et pourtant il continue de se produire des drames, des conflits armés et des tragédies humaines. Les théâtres d’opérations et d’horreur n’ont absolument pas baissé le rideau. Sur la planète, on continue de mourir d’autre chose que du Covid-19.

La Syrie a fêté le sinistre 9e anniversaire de cette guerre qui déchire son territoire, sa population et son patrimoine, le 15 mars dernier, en plein confinement donc. Au début du mois d’avril, un gigantesque feu de forêt s’est déclaré dans la zone d’exclusion entourant la centrale nucléaire de Tchernobyl. Les autorités ukrainiennes assurent avoir maîtrisé l’incendie, mais les risques de retombées radioactives sont toujours bien présents.

Partout dans le monde, les dealers, les trafiquants sont devenus moins visibles, mais n’ont pas pour autant cessé de semer la panique dans les quartiers. De son côté, le président Erdogan se sert de la pandémie et de la psychose qu’elle engendre pour servir ses ambitions expansionnistes et raviver de vieux mythes populistes aux relents nauséabonds. Les négociateurs de l’UE et du Royaume-Uni ont eux achevé la semaine dernière le deuxième cycle de négociations au sujet du Brexit.

Et alors que nous passons des heures à tergiverser sur nos déconfinements, alors qu’on stresse parce que peut-être nous ne pourrons pas partir en vacances, les monstres de Daesh continuent de terroriser des femmes et des enfants. Les Kurdes continuent d’être héroïques. Face à la barbarie, mais aussi face à la pandémie. Les Kurdes de Syrie ont inauguré un premier hôpital destiné aux malades du coronavirus. Abdullah al-Hamid, une des rares et précieuses voix saoudiennes à militer pour la défense des droits humains, est décédé en détention ou il purgeait une peine de 11 ans pour avoir appelé à une monarchie constitutionnelle. D’improbables sources ont affirmé que le surréaliste dictateur nord-coréen Kim Jong-un aurait été opéré du cœur, une intervention lourde à laquelle il n’aurait pas survécu ou qui l’aurait laissé dans un état végétatif. Ça paraît fou et assez irréel.

Un peu comme cette période qu’on traverse.

Du coup, je repense à toutes mes convictions d’avant. À ce qui me révoltait. Mais surtout à la manière que j’avais de l’exprimer. Comme elles paraissent loin, futiles et légères, nos petites indignations. Qu’espérions-nous changer depuis le moelleux de nos canapés ? Je suis de plus en plus convaincue que le monde ne changera pas uniquement à coup de clics. Et je ne dis pas qu’il faut arrêter de s’indigner sur les réseaux. Je sais bien que ne rien faire, c’est abandonner. Que se taire, c’est consentir. Alors j’espère qu’à la sortie de tout ça, j’essaierai d’être une citoyenne plus consciente. Plus engagée, aussi. Engagée concrètement dans la vraie vie et pas juste à coup de like ou de tweet.