Chronique d’un confinement. Jour 29

Confinée dans son appartement parisien, notre chroniqueuse Fatym Layachi nous fait le récit quotidien d’une vie entre quatre murs.

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Jour 29. Avant, je pensais vivre dans une ville-monde. Maintenant, j’évolue dans un rayon d’un kilomètre.

Mardi 14 avril

Jour 29

Hier, Macron s’est exprimé. À 20 h 02, après les applaudissements aux soignants. J’ai attendu ce moment comme les résultats du bac, l’envie de picoler en plus. Je ne sais pas pourquoi, mais les discours et les annonces me donnent envie de picoler. Ce n’est pourtant pas comme s’il y avait un réel suspens. On se doutait bien que le confinement allait être prolongé. Les journaux spéculaient sur un serrage de vis. D’autres prédisaient une fermeture des écoles pour le reste de l’année. Mes amis pronostiquaient un déconfinement par âge ou par région.

Ce n’est pas exactement ce qui a été dit.

Ça a été un discours qui annonçait les grandes lignes de l’après. Mais aussi qui évoquait les doutes traversés et les difficultés qu’il reste à accomplir pour la gagner, cette guerre.

Personnellement, j’ai été agréablement surprise d’entendre les mots “failles” ou “insuffisances” dans la bouche d’un président. L’humilité est décidément une qualité que j’apprécie de plus en plus. Surtout chez les grands de ce monde. Surtout en ce moment. En ce moment où nous sommes tous bien petits.

Mais sinon, il n’y a pas eu de grosses surprises. Le confinement strict va durer au moins jusqu’au 11 mai. Ce n’est pas très étonnant. Ça paraît logique. Et les frontières vont rester fermées jusqu’à nouvel ordre. Ça aussi, ça paraît logique, mais ça m’angoisse beaucoup plus. Je ne sais pas quand je reverrai ma mère. Je ne sais pas quand je pourrai prendre un avion.

Ce confinement a comme vertu de faire réfléchir sur l’Ailleurs. Sur notre capacité à rêver d’ailleurs aussi.

Confinés, nous n’allons pas bien loin. Nous ne pouvons pas circuler à plus d’un kilomètre. Nous sommes finis à un kilomètre. Et dire qu’avant, j’ai toujours cru que je pouvais aller partout. J’ai toujours eu la chance de pouvoir voyager. D’être souvent assise dans un siège d’avion qui survole la Méditerranée.

Avant, je pensais vivre dans une ville-monde. Maintenant, j’évolue dans un rayon d’un kilomètre. Et finalement, on réalise qu’on appartient à ce kilomètre. Et dans ce kilomètre, nous sommes assignés avec des gens.

Les visages deviennent familiers au bout de quelques semaines. Je reconnais cet ancien ministre aux ourlets tordus qui m’agacent, cette fille de président, ce pharmacien italien aux beaux yeux, cet illuminé qui chante en roumain en buvant des bières à toute heure, cette dame trop maquillée, ce comédien qui fait son footing avec un maillot de foot rouge, ce monsieur beaucoup trop bronzé qui promène son chien. Il y a aussi Louisa, la caissière au magnifique sourire, et le livreur avec qui on parle du Maroc. Et il y a aussi Zoé, Michel, Lise, Scarlett, Chama, Cécile et Andrea. Nous évoluons dans cette même petite parcelle de la ville. Avoir sa ligne d’horizon si proche nous rend peut-être plus humains.

Je rêve de voyages. Je rêve de sillonner la méditerranée. Je rêve de faire un câlin à ma mère.