La com’ de crise du gouvernement passée au crible

Face à la pandémie, le gouvernement a mis en place une opération de communication d’ampleur, malgré certaines lacunes. Décryptage.

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Le chef du gouvernement Saad-Eddine El Othmani et Khalid Ait Taleb, ministre de la Santé, lors de la conférence de presse dédiée à l'évolution du coronavirus au Maroc, le 2 mars à Rabat. Crédit: Rachid Tniouni/TelQuel

Les journées à venir s’annoncent “décisives”. C’est en substance le message délivré par le ministre de la Santé, Khalid Ait Taleb, lors d’une conférence de presse mercredi 18 mars en fin de journée. Une allocution improvisée, annoncée à la presse un court délai auparavant et n’ayant vu que l’agence officielle (MAP) s’y rendre, reprise par les médias audiovisuels.

Reste qu’à la fin des quelques minutes qu’a duré le point de presse, Khalid Ait Taleb s’est prêté à une action cocasse, quasiment passée inaperçue. Le ministre se tourne vers deux de ses collaborateurs, présents depuis le début, l’air de dire : “C’était clair ?” Les deux conseillers acquiescent. Signe d’une communication qui se veut contrôlée. Une preuve également que pour couper l’herbe sous le pied à la catastrophe, la lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus passera, aux yeux des autorités, également par les mots. Sont-ils pour autant les bons ?

Transparence et confiance

Sur tous les fronts depuis l’apparition de cet enjeu sanitaire de premier ordre, le ministre de la Santé a multiplié les communications. Ce 18 mars encore, il a appelé l’opinion publique à “redoubler d’efforts et de vigilance” afin de “vaincre ensemble ce combat”.

Points presse, plateaux télévisés, déclarations aux médias, lui et le directeur de l’épidémiologie et de lutte contre les maladies, Mohamed Lyoubi, ne rechignent pas à se montrer visibles et audibles. Un ordre de marche suivi par une large partie de l’Exécutif tout au long des dernières semaines. Fait assez rare pour le souligner.

“Les chiffres déclarés par le ministère de la Santé sont tous exacts, les citoyens doivent avoir confiance en leur gouvernement”

Saad Eddine El Othmani

“Le souverain a demandé une transparence totale avec les citoyens”, déclarait ce samedi 14 mars Saad Eddine El Othmani. Dans un genre de grand oral face à la presse, le chef du gouvernement s’est livré à un question-réponse sur l’évolution de l’épidémie. Un exercice qui n’a pas évité les couacs, tant il fut régulièrement coupé par des interventions intempestives, tournés ensuite en dérision sur les réseaux sociaux.

Pour autant, El Othmani, psychiatre de formation, s’est évertué tantôt à rassurer — “la situation dans le royaume est maîtrisée” —, tantôt à insuffler confiance : “Les chiffres déclarés par le ministère de la Santé sont tous exacts, les citoyens doivent avoir confiance en leur gouvernement.”

“En ces temps de crise sanitaire, il est recommandé d’accorder une priorité accrue à la communication et à l’implication active des citoyens, juge Rajaa Kantaoui, experte en gestion des crises institutionnelles et en communication des industries sensibles. La planche de salut passera inéluctablement par la sensibilisation au risque encouru et à la promotion de l’information juste et réelle, en dépit de la prolifération de fake-news.” Une visibilité dont est “presque tributaire”, pour cette spécialiste, la réussite de la gestion de la crise suscitée par le Covid-19.

“D’un point de vue conceptuel, le gouvernement fait le job”

Mouna Yacoubi, directrice d’Arietis

Un besoin de communication qui n’est pas important mais “essentiel”, selon Mouna Yaqoubi. Fondatrice et directrice d’Arietis, une agence spécialisée dans l’image et la communication de crise, elle décline trois mots d’ordre précis face à ce problème de santé publique et de sécurité sanitaire.

Une prévention maximale” d’abord, afin d’éviter de basculer dans un scénario à l’européenne ; plusieurs pays ayant franchi le stade 3, voire déclaré l’état d’urgence. Un premier point suivi également d’un besoin de pédagogie “sur les dispositions prises”, mais aussi sur la sensibilisation “de nos concitoyens aux enjeux de la situation et des risques encourus”. “D’un point de vue conceptuel, le gouvernement fait le job”, constate-t-elle.

Des effets en question

Proactif dans ses mesures, en théorie, l’Exécutif a aussi bon dans sa communication de crise. À l’instar de Saad Eddine El Othmani et Khalid Ait Taleb, Moulay Hafid Elalamy (ministre de l’Industrie), Mohamed Benchaâboun, Saaid Amzazi (ministre de l’Éducation) et d’autres se sont succédé sur les différents plateaux télévisés.

Sur Medi1TV, 2M voire Aarabia, ils ont été plébiscités pour répondre aux questions, mais aussi pour rassurer respectivement sur les ressources en approvisionnement, les fonds pour les banques ou l’enseignement à distance et la fermeture des écoles. Des interventions majoritairement en français ou en arabe.

“Je ne pense pas que parler français à une population majoritairement arabophone soit pertinent”

Mouna Yacoubi

De quoi écarter une partie de la population ? “Je ne pense pas que parler français à une population majoritairement arabophone soit pertinent”, note Mouna Yacoubi. La richesse des langues du pays pose ici question. D’autant qu’au-delà des centres urbains, le darija et le tamazight constituent des langues davantage usitées.

Le français, lui, peut également faire sens pour un certain aspect selon Soraya Kettani, analyste en communication politique et publique. “L’usage du français ne veut pas dire exclure l’arabe, explique celle qui est également présidente de Fomagov (Fondation marocaine pour la bonne gouvernance). Si l’on apporte la parole en français également, cela pourrait aussi réintéresser d’autres catégories sociales et intellectuelles à la chose publique et politique. La désaffection est en termes de crédibilité politique, mais également en termes de style, de langage, de posture où il y a une bonne partie de la population qui se trouve en arrêt par rapport à la projection qui est faite de l’image, car il n’y a pas de répondant.

“Ce n’est pas comme si l’on parlait d’un événement mineur, or il n’y a pas encore eu de figure totémique pour porter ce message”

Soraya Kettani, analyste en communication

Des postures qui peinent à s’afficher “directives” pour nos trois interloctutrices. Voire qui ne sont pas à la hauteur de l’événement. Ces attitudes, avec un certain laxisme dans le langage corporel et un ton trop rassurant au vu de la situation, peuvent inciter à une prise à la légère des circonstances. “Le ton d’adresse n’y est pas, note Soraya Kettani. Ce n’est pas comme si l’on parlait d’un événement mineur, or il n’y a pas encore eu de figure totémique pour porter ce message.

Il faut pouvoir dire que moi, en tant qu’État, je prends des responsabilités et vous, citoyens, devez également assumer la vôtre, et c’est pourquoi je vous alerte sur la gravité de la situation”, contextualise Mouna Yacoubi. Pour Rajaa Kantaoui, “il est vrai que les médecins urgentistes et les scientifiques sont vitaux durant un chaos sanitaire potentiel, mais nous devons aussi reconnaître les limites des repères techniques et médicaux devant la fatalité de la panique émotionnelle de l’être humain. Le gouvernement marocain devrait continuer à positionner le citoyen en premier lieu du chaînon en matière de gestion de crise.”

Les fake-news s’immiscent

La communication doit servir un dessein et elle atteint ses buts dans ce cas-là”, explique Soraya Kettani, chercheuse en la matière, et qui note que l’on est encore trop dans une phase “d’information plutôt que de communication”. Elle relève l’exemple de la porte-parole française Sibeth Ndiaye, régulièrement tancée pour sa langue de bois, mais qui “parvient à lisser le discours de façon intelligible”. Et donc redoutable. Au Maroc, le ministre qui y est délégué, Hassan Abyaba, semble, lui, aux abonnés absents.

Ce vendredi 20 mars, au lendemain de l’état d’urgence décrété, peu de communication sur la manière dont il va réellement se dérouler. Les déplacements seront conditionnés par la délivrance d’une attestation, mais qui y aura droit ? Pour quelle durée et jusqu’à quelle distance ? Des questions qui en amènent d’autres et qui n’ont, pour l’instant, fait l’objet d’aucune communication.

On est encore trop dans une phase “d’information plutôt que de communication”

Soraya Kettani

Et à la chercheuse de poursuivre : “La communication, c’est lorsque l’on est en phase avec une réactivité du citoyen qui va valider le résultat que nous sommes attendus d’avoir.” Un manque qui s’observe dans la gestion et l’anticipation du coup d’après. Le tumulte et la ruée vers les aéroports du royaume, vendredi 13 mars après l’annonce de la fermeture des liaisons aériennes avec certains pays étrangers, n’en sont pas moins révélateurs. Avec le risque d’exposer, derrière cette annonce, des centaines de personnes dans un potentiel foyer de contamination considéré à risque. Une maîtrise des événements qui a, dans ce cas-là, péché. Conséquences ? Gestion du temps dépassée, personnel débordé et nombreux mouvements d’humeur.

Une confusion entre pragmatisme et communication qui devrait être revue. Mais pour l’heure, l’objectif du gouvernement reste de contrer la propagation de fausses informations sur l’épidémie C’est que la désinformation circulait au Maroc bien avant l’apparition officielle du premier cas enregistré. “Totalement inadmissible” pour El Othmani qui a affirmé, samedi 14 mars, que “les propagateurs de fake-news seraient sévèrement punis”. . Ce jeudi 19 mars, le ministre de la Justice Mohamed Benabdelkader devrait présenter la mouture d’un projet de loi pour encadrer la diffusion de fausses informations. Un texte à l’ordre du jour avant le boycott de l’été 2018, mais resté depuis dans les tiroirs.

Confrontée au même problème, la Chine, épicentre et principal foyer de propagation du virus, a profité de l’épidémie pour opérer à un net tour de vis de la censure. Mais le pays n’échappe pas pour autant aux accusations d’avoir caché la propagation du virus, comme le raconte, entre autres, le quotidien suisse Le Temps.

Quoi qu’il en soit, les temps sont troubles et l’heure au resserrement. Particulièrement dans les propos. “Dans ce genre de crise sanitaire qui touche une grande partie de la population, il existe toujours un temps d’incertitude inévitable, revient Rajaa Kantaoui. Il ne faut pas perdre de vue le facteur temps qui demeure animé par la pression d’une population inquiète et incertaine d’un côté, et les enjeux des médias tanguant entre l’obligation de l’information continue et l’invasion des fake-news de l’autre côté.”