Coronavirus, quel impact sur notre économie ?

Les conséquences de l’épidémie mondiale de Covid-19 ne sont pas uniquement sanitaires. Le coronavirus a aussi grippé l’économie à travers le monde comme au Maroc. Analyse.

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ROBERT FRANCOIS / AFP

En Chine, foyer et origine du virus, les conteneurs sont immobilisés depuis plusieurs semaines dans les ports du pays, privant les industriels et commerçants du monde entier d’approvisionnement en marchandises. Les commerçants et les industriels marocains ne font pas exception. En 2018, le royaume a importé pour plus de 47 milliards de dirhams de marchandises chinoises, faisant de l’Empire du Milieu son troisième partenaire commercial derrière l’Espagne et la France.

Tourisme, industrie, événements de taille, les premiers impacts commencent à se faire sentir. Le 2 mars au soir, un communiqué du ministère de l’Agriculture annonçait l’annulation d’un des plus grands forums économique marocains, le Salon international de l’agriculture au Maroc (SIAM) qui devait se tenir à Meknès du 14 au 19 avril.

Avec plus de 800.000 visiteurs, 1300 exposants, 60 pays présents et 42 signatures de convention l’an dernier, le SIAM est l’événement économique majeur du secteur agricole national. Un secteur qui représentait en 2018 plus de 10% du PIB national. Une annulation qui touchera fortement certains exploitants.

“La situation est désastreuse pour certains secteurs d’activité, notamment les industriels qui vendent des tracteurs et du matériel agricole. Généralement, 70% de leur chiffre d’affaires se fait lors du SIAM”

Une source proche des organisateurs nous explique que “la situation est désastreuse pour certains secteurs d’activité, notamment les industriels qui vendent des tracteurs et du matériel agricole. Généralement, 70% de leur chiffre d’affaires se fait lors du SIAM.” Le Salon de l’agriculture est également la vitrine phare pour de nombreux petits producteurs régionaux qui ont l’occasion d’y exposer leurs produits.

Comme nous l’explique Saïd Ouattar, ancien directeur de l’Institut agronomique et vétérinaire de Rabat, “les coopératives rurales vendent en général très bien sur cette période. Elles bénéficient d’une prise en charge de l’Etat et jouissent d’une grande visibilité”.

Tourisme, premiers symptômes ?

C’est dans un premier temps le secteur du tourisme qui pâtit de l’épidémie. Les déboires débutent le 30 janvier quand Royal Air Maroc, qui venait d’inaugurer sa nouvelle ligne commerciale Casablanca-Pékin deux semaines auparavant, annonçait sa suspension du 31 janvier au 29 février avant de la prolonger jusqu’à nouvel ordre. Or, les 150 millions de touristes chinois qui voyagent dans le monde chaque année sont une “poule aux œufs d’or”, comme nous le confiait, en septembre 2019, le directeur opérationnel de l’Office national marocain du tourisme (ONMT), Hatim El Gharbi.

“L’objectif, à terme, étant d’accueillir quelque 500.000 touristes chinois par an”

Adel El Fakir, directeur de l’ONMT, en septembre 2019

Il ajoutait “Nous sommes passés de 16 000 touristes chinois au Maroc en 2015 à près de 130.000 aujourd’hui.” D’ailleurs, le 6 septembre dernier, Adel El Fakir, directeur de l’ONMT, signait un partenariat de trois ans avec le géant des tour-opérateurs chinois, C-Trip, qui revendique 100 millions de membres actifs. “L’objectif, à terme, étant d’accueillir quelque 500.000 touristes chinois par an”, espérait alors le patron de l’ONMT.

“On peut observer un réel ralentissement des réservations et chaque jour apporte son lot d’informations […] Il y a une psychose qui s’installe au début de la haute saison”

Rachid Dahmaz, président du Conseil régional du tourisme

Si les répercussions ne peuvent à ce stade être estimées avec précision, le ressenti reste mauvais à cause d’une psychose générale. “Il y a pour le moment beaucoup plus de panique que de chiffres. Les gens sont dans l’expectative et annulent leur voyage vers certaines destinations. On peut observer un réel ralentissement des réservations et chaque jour apporte son lot d’informations. La plus grande foire du tourisme mondial qui a lieu à Berlin est probablement en passe d’être annulée (elle l’a été officiellement après ce témoignage, ndlr)… L’Italie a annulé des avions au départ de marchés émetteurs”, déplore Rachid Dahmaz, président du Conseil régional du tourisme (CRT). Il s’inquiète: “Il y a une psychose qui s’installe au début de la haute saison.”

Contacté par TelQuel, un professionnel du secteur nous confie que “le ministère du Tourisme a envoyé une circulaire demandant à différents acteurs du secteur (hôteliers et agents de voyage, ndlr) de leur faire un reporting sur les annulations liées au tourisme chinois au Maroc”.

“Il y a d’ailleurs un communiqué du ministère de la Culture et du Tourisme chinois demandant aux agences de cesser les voyages touristiques entre le Maroc et la Chine”

Hayat Jebrane, présidente de l’agence Goal Voyage

Pour certains opérateurs, la situation est déjà alarmante. Hayat Jebrane, présidente de l’agence Goal Voyage, témoigne: “Tous nos touristes chinois ont annulé leur voyage. Toutes les arrivées sont annulées pour les trois prochains mois. Il y a d’ailleurs un communiqué du ministère de la Culture et du Tourisme chinois demandant aux agences de cesser les voyages touristiques entre le Maroc et la Chine.” Depuis que le virus a commencé à se propager en Europe, les acteurs du secteur craignent aussi un recul du nombre de touristes en provenance des marchés porteurs européens.

Le Maroc tablait sur un nouveau marché en attirant une partie des 150 millions de touristes chinois. L’épidémie a rendu, pour l’heure, stérile la “poule aux œufs d’or”, comme la définit un cadre de l’ONMT.Crédit: FADEL SENNA / AFP

L’industrie s’enrhume

“Pour le secteur du textile, l’impact du coronavirus peut avoir des conséquences désastreuses. L’industrie est déjà confrontée à des ruptures d’approvisionnement importantes”

Karim Tazi, directeur de Marwa

Quand l’usine du monde s’enrhume, ses clients et leurs industries éternuent. Et pour cause! L’Empire du Milieu est le “foyer” de 20% de l’industrie mondiale. Certains industriels sentent déjà les perturbations. Karim Tazi, directeur de l’enseigne de prêt-à-porter Marwa, nous confie: “Pour le secteur du textile, l’impact du coronavirus peut avoir des conséquences désastreuses. L’industrie est déjà confrontée à des ruptures d’approvisionnement importantes.”

Mais la crainte pour le directeur de l’enseigne, c’est bien la psychose nationale. “Notre inquiétude c’est que demain, si une peur s’installe au Maroc, elle pourrait rendre la consommation incertaine. Nous ne savons pas mesurer ce risque aujourd’hui, mais nous avons mis en place une cellule de crise pour suivre les impacts industriels et financiers du coronavirus”, explique Karim Tazi.

“Les gens ont du mal à visualiser que le plus grand atelier du monde soit en arrêt depuis un mois et demi”

Mehdi Laraki, président du Conseil d’affaires Maroc-Chine à la CGEM

Interrogé sur l’impact du coronavirus sur les échanges commerciaux entre le Maroc et la Chine, Mehdi Laraki, entrepreneur et président du Conseil d’affaires Maroc-Chine à la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), explique que la crise provoque un décalage de plusieurs mois au niveau des importations. “Les gens ont du mal à visualiser que le plus grand atelier du monde soit en arrêt depuis un mois et demi. Les exportateurs, quant à eux, ont des soucis logistiques car, aujourd’hui, au niveau du fret et du transport maritime et aérien, tout est bloqué”, reconnaît-il, se disant tout de même “confiant et optimiste” quant à l’issue de cette crise.

L’Inde comme alternative

Pour l’instant, les secteurs les plus touchés sont les matières premières et les éléments de production provenant de Chine, utilisés, entre autres, dans l’industrie ou l’agriculture. “Certaines sociétés importatrices de matières premières chinoises au Maroc ont trouvé un plan B en se tournant vers l’Inde, mais c’est temporaire. Elles souhaitent reprendre les échanges avec leurs fournisseurs chinois après la crise”, indique Mehdi Laraki.

“Aujourd’hui, rien ne sort de Chine”

Reda Sekkat

Aujourd’hui, rien ne sort de Chine”, témoigne de son côté Reda Sekkat, président de la Fédération nationale de l’électricité, de l’électronique et des énergies renouvelables. “Les trois secteurs sont touchés de plein fouet par cette crise. En effet, la quasi-totalité des produits électriques importés proviennent directement de Chine ou bien en passant par d’autres pays qui leur incrémentent une certaine valeur ajoutée ou pas. De même, la Chine est le premier fournisseur au monde des cellules et panneaux photovoltaïques. Elle est aussi un grand approvisionneur d’intrants pour l’industrie électronique marocaine”, détaille-t-il.

Le Maroc pourrait ainsi se retrouver rapidement en manque d’éléments de production essentiels pour son développement économique, qu’il s’agisse de pièces détachées ou de nouveaux équipements pour les usines et les infrastructures. “C’est à ce niveau-là qu’on a des craintes. Il est donc nécessaire de prendre des mesures de précaution”, estime Nasser Bouchiba, président de l’Association de coopération Afrique-Chine pour le développement.

“Le principal fournisseur de thé vert au Maroc est la Chine. Il y aura sûrement un impact sur les prix”

Nasser Bouchiba

D’autres secteurs sont touchés, comme la construction, ou encore… le thé. “Le principal fournisseur de thé vert au Maroc est la Chine. Il y aura sûrement un impact sur les prix”, prévient Bouchiba. Le Maroc importe 99% de son thé depuis l’Empire du Milieu, soit environ 70.000 tonnes par an. La possible pénurie et l’augmentation du prix d’un produit consommé dans tous les foyers marocains sont inquiétantes, à moins de deux mois d’un pic de consommation: le mois de ramadan qui débute le 25 avril prochain.

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