Prédominance de l’arabe et hausse des prix... Regards sur l’édition au Maroc

La Fondation du roi Abdul-Aziz Al Saoud a rendu public le 4 février son nouveau rapport sur l’état de l’édition et du livre au Maroc. Voici les principales conclusions sur ce champ encore peu étudié.

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Le Salon du livre (SIEL) de Casablanca a attiré en 2019 plus de 500.000 visiteurs. Crédit: Yassine Toumi/TelQuel

A quelques heures de l’ouverture du Salon international de l’édition et du livre (SIEL), la Fondation du roi Abdul-Aziz Al Saoud pour les études islamiques et les sciences humaines a dévoilé son rapport annuel sur l’état de l’édition et du livre au Maroc, dans les domaines de la littérature et des sciences humaines et sociales.

Selon cette étude publiée chaque année à l’occasion du SIEL, l’activité éditoriale marocaine entre février 2018 et février 2019 présente un résultat global de l’ordre de 4.219 documents, soit une légère augmentation de 1,75 % par rapport au bilan précédent. Ce décompte intègre aussi bien les imprimés (livres et revues) que les publications numériques.

Le numérique en demi-teinte

L’essentiel de la production éditoriale marocaine dans les domaines couverts par ce rapport est réalisé et diffusé en format papier (79,69 %).

“Le Maroc est complètement hors sujet par rapport aux débats internationaux sur la question du livre numérique”

Kenza Sefrioui, éditrice

L’édition numérique est estimée à 857 titres, contre 823 recensés une année auparavant. Un secteur qui “reste cependant modeste et cantonné en grande partie aux publications officielles produites par des établissements publics, même si les contributions de certaines fondations et associations culturelles participent à l’arabisation de cette production et l’étendent au-delà des domaines économique et financier”, soulignent les auteurs du rapport.

C’est effectivement une tendance qui s’affirme, mais ça reste de l’édition institutionnelle. Il n’y a rien au niveau de l’édition commerciale littéraire. Le Maroc est complètement hors sujet par rapport aux débats internationaux sur la question du livre numérique, que ce soit en termes de plateformes de diffusion ou de modes d’accès”, relève Kenza Sefrioui, journaliste culturelle, critique littéraire et éditrice.

Langue arabe dominante

La répartition linguistique des ouvrages montre une prévalence de la langue arabe dans le champ numérique avec 439 titres, suivie du français avec 255 titres, de l’anglais avec 50 titres et de l’allemand avec un seul titre.

Une tendance que l’on retrouve dans le secteur de l’édition et du livre en général. “La distribution de toutes les publications marocaines (livres et revues) de l’année, selon les langues, n’a changé que légèrement par rapport à la situation de l’année précédente. La répartition par langues confirme la domination de la langue arabe dans le secteur de l’édition en lien avec les champs disciplinaires retenus par ce rapport.

L’arabe représente 78 % de l’ensemble de la production littéraire et intellectuelle au Maroc

L’arabe représente, en effet, 78 % de l’ensemble de la production littéraire et intellectuelle au Maroc. “C’est une tendance qui se consolide, même si c’est un peu moins que l’année dernière. L’arabisation du champ éditorial se poursuit, c’est une conséquence normale de l’arabisation des études”, estime Kenza Sefrioui.

Les publications marocaines en langue française ont, elles, connu une légère progression par rapport à l’année précédente, en passant de 485 à 675 titres. “Mais c’est loin de renverser la tendance lourde qui est marquée par le recul du français, eu égard à la place qui fut la sienne dans le champ éditorial marocain durant les trois décennies qui ont suivi l’indépendance (1960–1980)”, indique-t-on. Les publications francophones ne couvrent ainsi que 18,35 % du volume de l’activité des éditeurs marocains.

Pour ce qui est des autres langues, elles n’occupent qu’une “infime part” du volume de la production éditoriale au Maroc, avec 1,85 % pour l’anglais et 0,4 % pour l’espagnol, le portugais et l’allemand.

Chère littérature

Toujours selon le rapport, le prix moyen d’un livre marocain publié en 2018-2019 est de 72,74 dirhams. Un tarif en augmentation de 3,38 % par rapport à la moyenne du prix du livre au cours de l’année précédente.

Le livre marocain reste toutefois le moins cher du Maghreb. En Algérie, le prix moyen d’un livre est de 85,93 dirhams, alors qu’en Tunisie il est de 90,81 dirhams. Et comparé au prix du livre en Europe, le livre marocain ne coûte que 25,8% du prix public moyen du livre français.

Revues en voie de disparition

La fondation saoudienne s’est également intéressée à l’état des revues culturelles et académiques. Elle a recensé au cours de l’année 2018-2019 quelque 198 titres de revues actives (180 en format papier et 18 en format numérique) qui ont publié 542 numéros, soit une moyenne de 2,7 livraisons par revue. Il s’agit d’un échantillon de revues spécialisées dans un ou plusieurs champs des sciences humaines et sociales, éditées essentiellement en langue arabe (80,60 %), où la part des publications juridiques atteint 35,5 % de l’ensemble.

“L’un des symptômes les plus visibles de l’absence d’une communauté scientifique active et structurée”

Ce secteur pâtit cependant d’une “crise chronique” qui tient à des “problèmes structurels de diffusion, à l’irrégularité du rythme de parution et à un taux élevé de mortalité précoce”. Plusieurs facteurs sont en cause, selon le rapport, dont la faible structuration de la recherche scientifique en sciences humaines et sociales, et les difficultés financières des éditeurs de revues, qu’il s’agisse d’individus ou de groupes. Cette crise serait ainsi “l’un des symptômes les plus visibles de l’absence d’une communauté scientifique active et structurée”.

À noter qu’en l’absence d’études officielles sur le sujet, ce rapport reste inédit au Maroc. “On peut être très contents d’avoir cette base de travail pour affiner la perception qu’on a du champ éditorial. En Tunisie, par exemple, il n’y a pas d’études similaires. Je salue le travail de la fondation”, souligne encore Kenza Sefrioui.