Toutes les potentialités du monde rural doivent être exploitées, avec, en priorité, les terres agricoles soulaliyates, dont nous avons préconisé la mobilisation pour la réalisation de projets d’investissements agricoles”, a demandé Mohammed VI dans son discours prononcé le 20 août, près d’un mois après l’adoption par le Parlement des projets de loi relatifs aux terres collectives.
Régies jusque-là par un dahir de 1919 “organisant la tutelle administrative des collectivités… indigènes”, les terres soulaliyates seront ouvertes à la melkisation (appropriation, NDLR) et mobilisées pour l’investissement. Parmi les objectifs de l’opération : faire émerger une classe moyenne rurale. La population concernée a-t-elle été consultée ? Comment préserver ses intérêts et la protéger contre la spéculation ? L’architecte de la nouvelle loi, Abdelmajid El Henkari, gouverneur et directeur des affaires rurales au Ministère de l’Intérieur, répond nos questions.
TelQuel : Un million d’hectares de terres collectives seront mobilisés pour l’investissement. Il s’agit d’une superficie énorme, car depuis l’indépendance, l’Etat n’a mobilisé que 1,7 million sur les 9 millions d’hectares de terres cultivées. La population concernée a-t-elle été consultée ?
Abdelmajid Hankari : L’appel lancé par Sa Majesté pour la mobilisation de ce million d’hectares fait suite à la réalisation d’un travail en profondeur avec les collectivités et les naïbs (représentants) des terres collectives. Ce n’est qu’une partie d’un grand chantier débuté en 2014. Cette mobilisation ne concerne que les investissements pour les ayants droit ou pour les particuliers.
En parallèle, une opération importante de melkisation des terres collectives agricoles en bour (zone de culture sèche, NDLR) a été menée au profit des ayants droit. Cela concerne près d’un million d’hectares. Un troisième chantier relatif à la melkisation 337.000 hectares de terres collectives situées à l‘intérieur des périmètres irrigués a été lancé. 67.000 hectares de ces terres entrent dans le cadre du programme Millennium Compact (partenariat maroco-américain, NDLR).
Qu’en est-il de l’investissement privé ?
On continue à mobiliser les grandes superficies pour les investissements privés, car nous considérons que ces derniers tirent le petit investisseur vers le haut. Une expérience a été réalisée à Errachidia où 24.000 hectares ont été mobilisés pour les palmiers dattiers. Après ce test, nous avons reçu des milliers de dossiers émanant de petits agriculteurs et surtout d’ayants droit.
Ne craignez-vous pas que la nouvelle loi aiguise l’appétit du secteur privé et encourage la spéculation ?
La spéculation est un grand problème, mais on ne peut pas dire qu’on en viendra à bout, car c’est impossible. Cela dit, les nouveaux textes adoptés au parlement prévoient des sanctions très sévères contre la spéculation, contrairement au dahir de 1919. Ceci permettra de limiter les dégâts. Mais à ma grande surprise, beaucoup de parties prenantes de la loi se sont plaintes des sanctions contre une éventuelle spéculation…
Un autre risque peut faire surface, celui que de grandes structures “prennent d’assaut” ces terres au détriment des ayants droit…
Certains critères seront pris en compte dans le traitement des dossiers, comme la taille des exploitations. Il n’y aura pas de privilège, mais chacun, petits et grands exploitants, pourra trouver son bonheur. La disponibilité est telle, que chacun peut trouver sa place.