En 202 avant J.-C., non loin de Siliana, en Tunisie, Publius Cornelius Scipion écrase Hannibal à la bataille de Zama. La Deuxième guerre punique est terminée. Carthage ne s’en relèvera plus. Pour l’honorer, Rome accorde à Scipion le titre d’Africanus, l’Africain. Cette histoire est connue. Ce que l’on sait moins, c’est que Publius Cornelius a un petit frère, Lucius Cornelius. Et le petit Lucius est jaloux. Lui aussi veut laisser sa marque dans les annales de la Cité éternelle, lui aussi veut son triomphe. Qu’à cela ne tienne ! Rome lui trouve une guerre à lui, qu’il s’illustre à son tour. Fin 190 avant J.-C., non loin de l’actuelle Manisa en Turquie occidentale, les Romains, dirigés par le petit Scipion, battent Antiochos III, roi de Syrie, dont la dynastie, les Séleucides, est définitivement affaiblie. De retour à Rome, le petit Lucius Cornelius se voit décerner le titre d’Asiaticus, l’Asiatique, vainqueur des Grecs d’Asie.
Les élites américaines ont protégé leurs partenaires moyen-orientaux
Cette deuxième anecdote en cache une troisième. Car la famille des Scipion, glorieuse de renommée et d’actions, a aussi des parents par alliance. L’un d’eux, dans la génération suivante, est leur gendre, Paul-Emile, d’une autre grande lignée romaine. Lui aussi est jaloux, de ses beaux-parents. Lui aussi veut s’illustrer. Lui aussi s’agite. Et Rome, généreuse de son sang et plus encore de celui des autres, lui en trouve une, de guerre. En 168 avant J.-C., à Pydna, dans le nord de la Grèce, Paul-Emile écrase l’armée macédonienne du roi Persée. En quelques heures, le royaume antigonide, héritier d’Alexandre Le Grand, n’est plus. Et Paul-Emile, de retour à Rome, se voit gratifier du titre de Macedonicus, le Macédonien.
Ainsi va la politique dans la république impérialiste. Mus par des motifs psychologiques autant que par intérêt, les grandes familles poussent leurs rejetons à s’illustrer dans des annexions aux dépens des petits royaumes d’Orient. Cette histoire a été écrite, et plusieurs fois. Celle de l’impérialisme américain au Proche-Orient également. Mais on gagnerait à l’approcher aussi sous l’angle psycho-familial. Les lignées patriciennes de Rome, qui firent l’empire par compétition, ont leur équivalent dans la nouvelle Angleterre. On ne peut éviter le parallèle entre les Bush et les Scipion, par exemple. Et encore plus lorsqu’on zoome sur les organigrammes du secrétariat d’Etat américain. Alliances, amitiés, études communes, les élites américaines ont protégé leurs partenaires moyen-orientaux, quand ils ne les font pas chanter.
L’intérêt, avec Trump, c’est qu’il vient d’ailleurs. Homo novus, comme diraient les Romains, il ne cache pas son jeu lorsqu’il fait sa tournée dans les capitales du Golfe, comme un mafieux venu encaisser les “protections”. Quand Rome voulait éponger un déficit, elle envoyait l’un des siens faire la tournée d’Orient, en Bithynie, Cappadoce, Commagène et autre royaume du Pont, tous richissimes, tous faibles. Les Etats-Unis ont créé ce type de rapport ambigu avec la Péninsule arabique et l’ensemble du Moyen-Orient. La politique de Bush père envers l’Irak, puis celle de Bush fils, auraient été parfaitement lisibles pour Polybe ou Tite-Live, les historiens et témoins de l’impérialisme romain. Ils y auraient vu ce que les modernes voient moins : la compétition des égos, la concurrence entre familles patriciennes, les guerres extérieures comme projections des luttes de classes dans la Cité. Après Bush Mesopotamicus, certains murmurent sans doute à l’oreille de Trump qu’il devrait être à son tour Iranicus.