La nation marocaine avec ses émanations que sont l’État et la société n’a guère tourné le dos aux évènements d’Al-Hoceima, mais a fait montre d’une attitude plutôt positive”. Ces propos, prononcés par le délégué interministériel aux droits de l’Homme, Ahmed Chaouqui Benyoub, le 4 juillet au forum de la MAP, donnaient déjà un premier aperçu de la tonalité du premier rapport de son mandat. Présenté comme le “premier du genre élaboré par une instance gouvernementale” sur la question, le document de soixante pages revient sur “les évènements d’Al Hoceima” plus de deux ans après les premières arrestations des activistes du Hirak du Rif.
Lors de la présentation du travail réalisé sous sa supervision, Ahmed Chaoqui Benyoub a tenu à saluer la “main tendue de l’Exécutif” sans pour autant faire mention des accusations de séparatisme émises à l’encontre des militants du Hirak par les partis de la majorité. “Les 17 visites ministérielles effectuées sur place ont illustré, en dépit de la réaction peu favorable des activistes, la logique de la main tendue de l’Exécutif et sa détermination à assumer pleinement ses rôles”, écrit le délégué interministériel aux droits de l’Homme dans son rapport.
Le travail de celui qui occupait alors la fonction de wali de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima, Mohamed Yacoubi, est également salué dans ce rapport. Ce dernier a “effectué des visites sur le terrain […] Mais cela n’avait rien donné en raison de la difficulté à engager un dialogue avec un porte-parole des habitants d’Al Hoceima”.
“Aucune violation des droits de l’Homme”
Toujours dans le rapport – élaboré par “deux jeunes de la génération du mouvement 20 février et deux cadres de la justice transitionnelle”, comme il l’a expliqué durant son passage dans l’émission Confidences de presse le 7 juillet – le délégué interministériel aux droits de l’Homme loue “les efforts déployés par les forces de l’ordre” qui ont “su préserver l’ordre public malgré les actes violents commis par les manifestants”. Il réfute ainsi “toutes les accusations émises à l’encontre des forces de l’ordre concernant la violation des droits de l’Homme dans la région pendant la période de tension”.
“Je ne suis pas membre du gouvernement, mais je suis du côté du gouvernement, des forces de l’ordre et du parquet dans le cadre de la coordination institutionnelle”, a encore expliqué Ahmed Chaouqui Benyoub sur le plateau de 2M.
Il soutient notamment “qu’aucune balle n’a été utilisée lors des manifestations dans la région, quel que soit le degré de tension qu’il a pu y avoir puisque les forces de l’ordre ne disposent pas de balles”. Le seul cas de violence observé, dit-il, est celui du “moment de l’arrestation de Nasser Zefzafi, le leader du Hirak du Rif, lorsqu’il a interrompu la prière du vendredi 26 mai, ce qui représente une violation flagrante du caractère sacré de la mosquée et la perturbation de la pratique du culte”.
Vers un nouveau rapport du CNDH ?
Le rapport, qui énumère les revendications des militants du Hirak et les réponses des départements gouvernementaux, revient sur le procès de Casablanca indiquant que celui-ci offrait “les garanties d’une justice équitable”. Interpellé par les journalistes de l’émission Confidences de presse, Ahmed Chaouqui Benyoub affirme “n’avoir présenté que la réponse de la Cour concernant les garanties d’une justice équitable”. Également interpellé sur les accusations de tortures émises par les militants du Hirak, le responsable a renvoyé la balle à l’Instance nationale de prévention contre la torture.
Dans ses recommandations, le délégué interministériel aux droits de l’Homme invite le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) à publier un rapport sur la situation des droits de l’Homme dans la province d’Al Hoceima et la région. Le délégué interministériel n’y mentionne guère le rapport d’expertise commandé en 2017 par l’ancien président du CNDH, Driss El Yazami, à une équipe médicale qui avait ausculté les détenus du Hirak pour faire la lumière sur des allégations de torture avancées par des détenus. Des éléments avaient fuité dans la presse durant l’été 2017, faisant réagir la DGSN qui avait mis en garde contre “un document non officiel”, comportant des “accusations et (des) allégations graves”.
Rapport controversé
Aussitôt publié, aussitôt critiqué. D’abord par les détenus et ex-détenus du Hirak eux-mêmes, notamment Nasser Zefzafi. Dans une conversation téléphonique rapportée par son père, Ahmed Zefzafi, le leader du mouvement contestataire aurait déclaré que le rapport “aggrave davantage les blessures de la mémoire collective en glorifiant l’action de l’institution sécuritaire. Celle-ci a commis des crimes et des dépassements contre les filles et les fils du Rif. Des éléments se sont délectés à me torturer et à me violer en scandant ‘vive le roi’”.
Dans un message diffusé sur la page Facebook de l’Association Thafra, qui rassemble les familles des détenus, l’un des militants du Hirak, Youssef Haki, fustige quant à lui “ces rapports suspects” qui “n’effaceront pas de (sa) mémoire les mercenaires qui (l)’ont enlevé”.
Le rapport a également suscité la réaction de l’Association marocaine des droits humains (AMDH). Cité par Hespress, le président de l’AMDH Aziz Ghali estime que le document “a été rédigé selon une vision du ministère de l’Intérieur et non sous l’angle des droits de l’Homme”. Le responsable associatif dénonce également un rapport qui n’apporte “rien de nouveau notamment en ce qui concerne la fuite de vidéos montrant des activistes du Hirak” affirmant qu’il s’attendait “à ce que le rapport fournisse une réponse à la cause du décès d’Imad El Attabi”.