Une seule et unique question, émanant de l’assistance, à propos de la fiscalité qui pèse sur les petits agriculteurs. C’est à cela que se sont résumés, lors des Assises de la fiscalité, les débats concernant l’agriculture, un secteur qui représente 19 % du PIB national. Dans les divers panels qui se sont tenus les deux jours des assises, pas un spécialiste ou un acteur de l’agriculture invité, alors que des industriels du textile, des commerçants, des propriétaires de cliniques se sont succédés à la tribune.
Côté gouvernement, ses collègues des Finances, Mohamed Benchaaboun, et de l’Industrie, Moulay Hafid Elalamy, des Affaires générales Lahcen Daoudi étaient présents, mais le ministre de l’Agriculture Aziz Akhannouch n’a quant à lui pas été aperçu. Comment expliquer qu’un secteur aussi stratégique pour l’économie du pays puisse être tout bonnement absent des Assises de la fiscalité ? Comment, alors que plusieurs participants – dont des institutionnels – appelaient à ce que ces Assises sonnent le glas de la rente fiscale, un secteur qui engloutit des milliards de subvention publique tout en bénéficiant toujours d’exonération d’impôt peut-il ne pas se sentir concerné ?
Traitement spécial
Le ministre des Finances Mohamed Benchaaboun a défendu le fait que l’Agriculture n’ait pas été abordée par le fait que « dans ces Assises de la fiscalité, on ne traite pas de considérations sectorielles. »
Pourtant, il a bien reçu de son collègue du Commerce les propositions des commerçants pour la fiscalité qui les concerne.
Présentation ce matin des recommandations du Forum Marocain du Commerce aux Assises Nationales sur la Fiscalité et remise des propositions des commerçants à M. le Ministre de l'Economie et des Finances. pic.twitter.com/Md42WB5U6A
— Moulay Hafid Elalamy (@MyHafidElalamy) May 4, 2019
Mohamed Benchaaboun poursuit : « La règle c’est que l’Etat doit respecter ses engagements. L’agriculture a été complètement défiscalisée, puis à partir de 2013 la fiscalisation a commencé de façon graduelle. D’un seuil de 30 millions de dirhams, ça a baissé progressivement jusqu’à arriver à dix millions de dirhams, et l’année prochaine il devrait passer à cinq millions de dirhams. Ce processus a été adopté dans le cadre d’un consensus, et il ne faut pas le remettre en cause, ».
Mais bien obligé de concéder que l’agriculture bénéficie d’un traitement spécial, il affirme : « Le seuil est supérieur à tous les autres secteurs d’activités, et lorsqu’on parle d’équité fiscale, il faut que cette question soit prise en charge. Maintenant, il y a des spécificités dans ce secteur dont il faut aussi tenir compte. »
Assises contre Assises
Mais ces 3e Assises de la fiscalité intervenaient aussi quelques semaines après la clôture du Salon international de l’agriculture de Meknès (SIAM). Habituellement, des Assises de l’agriculture se tiennent avant le salon, « pour exposer le bilan annuel de ses réalisations et les orientations stratégiques du secteur agricole ». Comme révélé par TelQuel, ces Assises de l’Agriculture ont tout simplement été annulées cette année, à la dernière minute.
Chargé le 19 octobre dernier par le roi Mohammed VI « d’élaborer et de soumettre à la Haute Attention Royale une réflexion stratégique globale et ambitieuse pour le développement du secteur », Aziz Akhannouch n’était pas en mesure en présenter lors de ces Assises son « Plan Maroc Vert II ». Le thème du SIAM 2019 – L’agriculture, levier d’emploi et avenir du monde rural – et le pays invité d’honneur – la Suisse- , avaient pourtant été choisis pour créer l’évènement autour de la présentation de cette nouvelle stratégie.
Chargé d’élaborer ce nouveau plan, le cabinet Boston Consulting Group avait rendu une copie avancée du Plan Maroc Vert II au ministère de l’Agriculture, quelques semaines avant le début du salon. Soumise à la « à la Haute Attention Royale », cette première mouture a-t-elle été retoquée par le Palais ? Le roi Mohammed VI n’a en tout cas pas inauguré le SIAM 2019, comme Aziz Akhannouch l’espérait.
Et après 2020 ?
Dans un contexte de préparation de réforme fiscale, ces incertitudes sur le secteur agricole ne facilite pas le travail des Finances. Par décision royale, le secteur agricole était en effet exonéré d’impôts depuis 1984. Or, dans un rapport publié en août 2012, les experts du CESE écrivaient que « la fiscalisation du secteur agricole est une nécessité, notamment en ce qui concerne les exploitations d’une certaine taille. La fiscalisation doit jouer un rôle structurant en faveur du développement du secteur agricole dans sa spécificité. Elle doit être un vecteur de formalisation de ce secteur et une stimulation de sa productivité et de sa compétitivité. Pour cette raison une étude approfondie pour la mise en place de la fiscalité agricole est à lancer rapidement. »
Le rapport recommandait « l’imposition des revenus des agriculteurs en matière d’IS ou d’IR », « la mise en place d’un plan comptable agricole permettant aux exploitations agricoles une meilleure maitrise financière de leur activité » et « un impôt basé sur la possession de la terre, en excluant les zones défavorables ou arides. »
La recommandation avait en partie été reprise par le souverain puisque, dans son discours de juillet 2013, Mohammed VI annonçait que l’exonération ne concernerait désormais plus que les petits et moyens agriculteurs. Et les grands agriculteurs devenaient ainsi soumis à une fiscalisation progressive jusqu’en 2020. Et après ?
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