Pas d’issue en vue à la crise des enseignants contractuels. Les conseils d’administration des Académies régionales d’éducation et de formation (AREF), réunies simultanément le mercredi 13 mars en sessions extraordinaires, n’ont pas pu répondre à la première revendication des grévistes : « une intégration directe au statut des fonctionnaires du ministère ». Les responsables régionaux avaient tout de même fait un premier pas dans sens des grévistes en décidant unanimement d’abandonner le système de recrutement par contrat, et de faire bénéficier cette catégorie d’enseignants de droits similaires à ceux des fonctionnaires soumis au statut de fonctionnaires du ministère.
Malgré ces concessions, la coordination nationale des enseignants contractuels a décidé de maintenir sa position et de poursuivre la grève. La raison ? « Les mesures introduites par les AREF sont insignifiantes, voire même trompeuses », déplore Khadija El Bakaye, membre du Conseil national de la coordination nationale des enseignants contractuels.
Non-retour sur le recrutement régional
Le 9 mars, une réunion a été tenue entre le ministre de l’Éducation nationale, Saaïd Amzazi, et les représentants des cinq principaux syndicats d’enseignants. Suite à cette rencontre, un accord a été conclu apportant 14 amendements au statut des enseignants contractuels, dont les plus importants concernent la révision du système de la retraite de cette catégorie d’enseignants, et la suppression du terme « contrat » dans les documents officiels, principal hic.
Le 13 mars, le flambeau est passé aux directeurs des AREF qui ont adopté, à leur tour, l’ensemble desdits amendements. « Les enseignants demandaient à ce qu’ils soient alignés sur le même statut des fonctionnaires du ministère de l’Éducation nationale. C’est ce que nous avons fait », nous explique Abdelmoumen Talib, directeur de l’AREF de Casablanca-Settat. Dans les détails, « les enseignants recrutés depuis 2016 disposent désormais des droits similaires à ceux des fonctionnaires du ministère », essentiellement en ce qui concerne le régime de retraite.
Ces enseignants « ne seront plus gérés par le Régime collectif d’allocations de retraites (RCAR), mais par la Caisse marocaine des retraites (CMR), chargé du régime des pensions civiles ». En plus, ils sont autorisés « d’ exercer des activités en dehors des horaires de travail à condition que celles-ci ne soient pas rémunérées, à l’instar des autres fonctionnaires » poursuit notre interlocuteur.
Enseignants-cadres des AREF
En dépit de l’abandon du système de recrutement par contrat et la révision de toutes les dispositions qui s’y rattachent, le recrutement régional, récrié par les contractuels, est maintenu. Pour Abdelmoumen Talib, ce mode de recrutement est imposé aux différentes AREF, parce qu’il « s’inscrit parfaitement dans l’esprit de la régionalisation instaurée par la Constitution 2011 », mais surtout, car le statut de ces établissements publics, créés conformément à la loi 07.00, « oblige les Académies de mettre en place un statut de personnel leur permettant de recruter leurs propres ressources humaines », argue notre interlocuteur.
En plus d’être un impératif, ce mode de gestion des ressources humaines permet, selon Abdelmoumen Talib, d’accompagner la réforme lancée au niveau de toutes les AREF dans le cadre de la stratégie 2015-2030, « on ne peut pas mettre en place un projet de réforme au niveau régional avec une centralisation des décisions et des budgets », a-t-il expliqué. Conformément à ce nouveau mode de recrutement, les enseignants contractuels, désormais nommés « enseignants-cadres des Académies régionales » en vertu du nouveau statut, bénéficieront de plusieurs avantages par rapport à ce qui se faisait au niveau central : « le grand avantage qu’on va offrir à ces enseignants, c’est la facilité et la flexibilité de la gestion de la carrière qui se fera au niveau régional », souligne le directeur de l’AREF.
« Un trompe-l’œil »
Les représentants de la coordination nationale des enseignants contractuels voient du mauvais œil ces amendements qui, selon eux, « portent sur la forme et non sur le fond du dossier ». Pour Khadija El Bakaye, membre du Conseil national de la coordination, « il s’agit tout simplement d’un changement d’appellations. Au fond les 70.000 enseignants concernés seront privés des droits élémentaires dont jouissent leurs collègues fonctionnaires. Cela est scandaleux ».
En plus, les concessions du ministère, et celles des AREF, ne seraient qu’un « trompe-l’œil ». « Ils ont usé de tous des moyens à leur disposition pour faire taire les enseignants contractuels. D’abord, par la suspension des salaires, puis la violence physique et psychologique, et maintenant la manipulation de l’opinion publique, favorable à la position des contractuels », déplore l’enseignante. Cette dernière a également attiré l’attention sur le danger que comporte ce mode de recrutement sur la gratuité de l’école publique.
Pour elle « le secteur de l’éducation n’est pas rentable, les AREF auront donc du mal à s’acquitter des salaires des enseignants, et se dirigeront inéluctablement vers la privatisation de l’école publique », argue notre interlocutrice qui estime que « cela est à l’encontre de la Constitution de 2011, garante de l’accès équitable et gratuit à l’ensemble des citoyens aux services de l’éducation nationale ».
La mobilité, le nouveau hic
En vertu du nouveau statut adopté par les AREF, les enseignants-cadres des académies régionales ont uniquement la possibilité de changer d’école au sein de la région de leur recrutement. « Le recrutement est régional et se fait sur la base des besoins réels du terrain », ainsi « la mobilité ne peut se faire en dehors de la région », explique Abdelmoumen Talib. Du côté de la coordination des contractuels on estime que « la mobilité doit de faire au niveau du Royaume, à l’instar des fonctionnaires du ministère de l’Éducation nationale », regrette Khadija El Bakaye, avant de poursuivre, « pour le cas d’une femme célibataire qui doit changer de ville à cause d’un mariage, elle aura donc à faire le choix entre le projet de mariage et son travail ».
Une question épineuse qui devra être dépassée dans le cadre d’une éventuelle révision du nouveau statut des cadres des académies régionales. « Rien n’empêche que dans l’avenir nous puissions réfléchir ensemble (entre directeurs des AREF, ndlr.) pour mettre en place une procédure d’échange de postes entre académies », confie le directeur de l’AREF, pour qui « ce statut est vivant est devrait évoluer au fil de son opérationnalisation sur le terrain ».