Ainsi, ce que nous révélions en mai 2017 est appuyé une fois de plus par une instance constitutionnelle indépendante: la libéralisation des prix du carburant s’est faite au détriment des consommateurs marocains. Et au profit des leaders du marché. Le Conseil de la concurrence a livré cette semaine un avis étayé par une analyse approfondie et une rigueur rare concluant à la non-pertinence d’une mesure de plafonnement des prix et des marges bénéficiaires des hydrocarbures. C’était pourtant la formule magique pour résoudre les problèmes de ce secteur, selon le ministre des Affaires générales, Lahcen Daoudi. Mais l’instance dirigée par Driss Guerraoui et fraîchement réactivée par le roi pousse la réflexion plus loin que notre cher ministre.
Le problème du secteur des hydrocarbures est structurel. Ce dernier, dominé par des oligopoles, voire des monopoles, verrouillé par des barrières importantes à l’entrée, ne réunit pas les conditions nécessaires à une concurrence loyale. Pire, l’abandon de la Samir, seul raffineur du pays, qu’aucun responsable public n’a jugé bon de justifier ou de défendre, a bel et bien eu des conséquences directes sur le pouvoir d’achat des Marocains. Moins de concurrence pour les distributeurs de carburant, un gasoil plus cher pour Monsieur tout le monde.
L’enjeu de ce dossier est beaucoup trop grand pour être prisonnier de querelles politiciennes. Sur les carburants, la ligne de fracture est claire. Le PJD s’attaque au RNI dirigé par Aziz Akhannouch, actionnaire de référence du leader du marché des hydrocarbures, Afriquia. Les islamistes se délectant de cet argument pour faire mal à leur adversaire. Quant au RNI, feignant la cécité devant la problématique du pouvoir d’achat sur ce dossier, il défend les gains engrangés par l’Etat suite à la libéralisation et dénonce une instrumentalisation politique orchestrée par le PJD.
Tout ce beau monde peut s’époumoner à l’envi, leurs agitations sont insignifiantes. Ce qui l’est moins c’est l’incompétence, l’improvisation, voire la connivence des acteurs politiques et gouvernementaux en charge de mener la libéralisation des prix du carburant. Il est impensable de dédouaner les responsables publics en charge de mener cette politique. Ils avaient été prévenus du danger par la Cour des comptes, ils n’ont mené aucune étude sérieuse et approfondie du secteur pour évaluer les conséquences de cette libéralisation. Ils ont été indignes de leur mission, quand bien même ils en viendraient aujourd’hui à crier au tahakkoum. Ces mots-là ne font plus illusion.
“Une institution dont les prérogatives sont définies par la Constitution éclaire le citoyen sur une question majeure impactant son pouvoir d’achat, en toute indépendance […] C’est la grande satisfaction de la semaine”
Lors de la publication de son enquête sur les conséquences de cette libéralisation, TelQuel a subi immédiatement le boycott publicitaire du groupe Akwa, dont Afriquia – leader du marché des carburants – est une filiale. Aucun autre distributeur de carburant n’a imposé la même sanction (encore valable aujourd’hui) au journal. La pression exercée par certains acteurs sur ceux qui cherchent à comprendre cette problématique n’est pas fantasmée. Nous l’avons expérimentée durement. Ce sont les règles du jeu. Un jeu où les puissants usent de leur pouvoir pour contraindre les plus faibles. Notre combat n’est pas de défendre une écurie au détriment d’une autre, mais de régulièrement appeler de nos vœux la consolidation d’un Etat de droit. Car dans cet idéal, une institution dont les prérogatives sont définies par la Constitution éclaire le citoyen sur une question majeure impactant son pouvoir d’achat, en toute indépendance, loin des pressions des puissants. C’est cela le véritable combat. Et la grande satisfaction de la semaine.