Mohammed Ben Salmane, surnommé « MBS », n’avait aucune connaissance du dossier, a dit jeudi à Ryad, lors d’une conférence de presse, le procureur général adjoint et porte-parole, Shaalan al-Shaalan. Le chef-adjoint des services saoudiens, le général Ahmed al-Assiri, a ordonné de ramener de gré ou de force Khashoggi. Mais le chef de l’équipe de « négociateurs » dépêché sur place a donné l’ordre de le tuer, a-t-il ajouté.
M. Shaalan a par ailleurs admis que Jamal Khashoggi, un critique du pouvoir collaborant notamment avec le Washington Post, avait été drogué et démembré au sein même de la mission diplomatique, le 2 octobre. Les restes de l’éditorialiste –59 ans au moment des faits– ont ensuite été remis à un agent à l’extérieur du consulat, a-t-il ajouté.
Sur un total de 21 suspects, le procureur général a inculpé à ce jour 11 personnes qui seront déférées devant la justice. Il a requis la peine capitale pour cinq d’entre elles, d’après la même source. Ryad demande par ailleurs à Ankara de signer un accord « spécial » de coopération sur l’enquête, est-il précisé.
Depuis le 2 octobre, le meurtre de Jamal Khashoggi s’est progressivement transformé en scandale planétaire, au fur et à mesure des révélations sur les circonstances macabres de l’assassinat. Après avoir d’abord affirmé que le journaliste avait rapidement quitté le consulat, puis soutenu qu’il était mort dans une rixe, Ryad a fini par évoquer une « opération non autorisée » par le pouvoir.
Les Etats-Unis de Donald Trump, qui ont d’abord tenté de ménager leur allié, ont fini par durcir le ton, tout comme les autres pays occidentaux ayant des liens étroits avec la monarchie saoudienne. Dimanche, le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo avait prévenu, dans un entretien téléphonique avec le prince héritier Mohammed ben Salmane, que Washington allait « demander des comptes à toutes les personnes impliquées dans le meurtre de Jamal Khashoggi« . Il avait estimé que l’Arabie saoudite devait en « faire de même« .
Washington avait déjà pressé Ryad d’élucider l’affaire Khashoggi mais semblait, jusqu’ici, accorder le bénéfice du doute au prince Mohammed, surnommé MBS qui est l’homme fort de l’Arabie saoudite. Jeudi dernier, Mike Pompeo s’était ainsi dit publiquement satisfait de la coopération des autorités saoudiennes pour faire la lumière sur ce meurtre.
Côté turc, le ton était au préalable monté, avec des déclarations du président Recep Tayyip Erdogan affirmant avoir communiqué aux Américains des enregistrements supposément réalisés au consulat le jour de la mort de Jamal Khashoggi. « Ils ont écouté les conversations qui ont eu lieu ici. Ils savent« , avait assuré le président turc lors d’une conférence de presse télévisée. La veille, M. Erdogan avait déjà soutenu, dans une tribune, que l’ordre d’assassiner le journaliste saoudien émanait « des plus hauts niveaux du gouvernement« .
Le président turc avait écarté la responsabilité du roi Salmane, mais n’avait pas absous, en revanche, son fils, le prince Mohammed, régulièrement mis en cause par des responsables et des médias turcs. Vendredi dernier, toujours, la fiancée de Jamal Khashoggi a appelé, dans une tribune publiée dans plusieurs médias, à « prendre des mesures réelles, sérieuses et concrètes pour mettre au jour la vérité et traduire les responsables en justice« .
Cette affaire a considérablement terni l’image de l’Arabie saoudite, royaume ultra-conservateur engagé jusque-là –à l’initiative du prince héritier– dans une stratégie de modernisation et d’ouverture, via l’annonce de mesures de libéralisation économiques et sociétales.
Elle a aussi affaibli la diplomatie saoudienne, Ryad étant sur la défensive notamment au Yémen, où son intervention militaire a fait de nombreuses victimes civiles.