Pour sa rentrée, le Musée Mohammed VI de Rabat (MMVI) consacre, à partir du 23 octobre, une exposition collective de trois peintres marocaines : Chaïbia Talal (décédée en 2004), Radia Bent Lhoucine (décédée en 1994) et Fatima Hassan El Farrouj (décédée en 2011). Une exposition qui aurait pu se dérouler sans remous, mais voila qu’elle ne semble pas être du goût de l’ensemble des professionnels du milieu de l’art.
Hossein Talal, fils de la vénérable Chaïbia et quelques marchands d’art sont montés au créneau pour fustiger le choix curatorial du musée d’art moderne et contemporain de Rabat, durant les mois de septembre et d’octobre. Pour ces contestaires, il existe un fossé entre l’oeuvre de Chaibia Tallal et celle des deux autres artistes exposées. Ils reprochent également au MMVI de ne pas avoir sollicité le fils de la défunte artiste dans le cadre de la conception de l’exposition.
« Les responsables du musée m’ont dans un premier temps contacté en juillet en vue d’une exposition consacrée uniquement à Chaïbia Talal et depuis je suis resté sans nouvelles. Quelques semaines plus tard, j’apprends dans un journal que l’exposition sera dédiée à deux autres artistes additionnelles. Chaïbia Talal est très respectée à l’international, elle est montrée au côté des plus grands comme Picasso ou Giacometti, je ne comprends pas comment un musée national peut la mettre au même niveau que des artistes mineures, » tance Houssein Talal.
Si le fils de l’artiste, qui est également peintre, semble être en désaccord avec les choix du MMVI, il ne demande pas pour autant le retrait des oeuvres de sa célèbre génitrice: « Si j’exprime mon mécontentement, je ne veux pas appeler au retrait des œuvres de Chaïbia car le musée est un projet de Sa Majesté et je ne peux me permettre cet affront ».
« Le MMVI n’a pas vocation de faire des expositions qui plaisent à une poignée de personnes »
De son côté, le président de la Fondation nationale des musées (FNM) Mehdi Qotbi choisit de balayer d’un revers de main la polémique. « Je pense qu’il est tout à fait normal qu’une exposition puisse susciter des interrogatoires et des mécontentements, mais je ne souhaite pas commenter des polémiques stériles, » nous déclare le patron de la FNM avant d’ajouter que « le musée Mohammed VI n’a pas vocation de faire des expositions qui plaisent à une poignée de personnes. Nous travaillons pour l’ensemble des Marocains et c’est à eux de juger sur pièce notre travail ».
Dans le milieu de l’art, les avis sont contrastés. Il y a ceux qui pointent du doigt une maladresse curatoriale du MMVI sans verser dans l’insulte. C’est le cas de Fouad Bellamine plasticien ayant côtoyé les trois artistes exposées par le musée de la capitale. « Chaïbia est une artiste exceptionnelle et nous avons partagé ensemble beaucoup de choses. À elle seule, elle mérite une grande exposition didactique et à la portée de tout le monde, mais ça ne veut pas dire que Radia Bent Lhousine ou Fatima Hassan ne sont pas méritantes. Leurs créations sont simplement assez différentes et faire le choix de les réunir pourrait être maladroit, » explique l’artiste.
Pour l’ancien enseignant d’art plastique, ce n’est pas l’exposition mais la politique adoptée par le musée qui suscite des interrogations: « Il me semble que la polémique autour de cette exposition est une fausse polémique. Je pense que Mehdi Qotbi a réussi à faire de belles expositions, mais à mon sens, il faut revoir les objectifs de ce musée. Car au final le MMVI ne peut pas rester éternellement une vitrine, il doit être au centre d’un projet éducatif, culturel, pédagogique et surtout historique vis-à-vis de la création au Maroc ».
Les questions fondamentales sont ailleurs…
Abdellah Karroum directeur du prestigieux musée d’art moderne et contemporain de Doha n’en pense pas moins. « J’ai suivi de loin cette affaire et je pense que le problème n’est pas de ‘mélanger’ des artistes qui ont des sensibilités et des approches différentes. Je pense que chacune des artistes exposées a apporté une trace dans l’histoire de l’art au Maroc et qu’il est inutile de s’arrêter sur l’importance de l’une par rapport à l’autre. Par contre, les enfermer dans une exposition parce que ce sont des ‘femmes’, je trouve que c’est réducteur, » nous explique le curateur marocain.
« Au Maroc, il y a un réel besoin de monter des expositions sérieuses avec de vraies études approfondies sur les œuvres exposées au public. On ne peut pas se permettre d’organiser des expositions événementielles, approximatives et superficielles pour se dire qu’on a un musée d’art moderne et contemporain. Il faut que les responsables compétents prennent conscience de cette donne, » abonde notre interlocuteur depuis Doha.
Plus tempéré, Farid Zahi estime que les trois artistes peuvent parfaitement cohabiter dans une seule et même exposition. « Ces trois artistes singulières ont des styles différents, mais elles ont des parcours et des univers chargés de puissance, qui méritent d’être montrés. Je trouve que c’est une chance d’explorer l’art au féminin sous de multiples facettes dans un même espace. Imposer un choix curatorial à un musée n’est pas très pertinent, » estime notre interlocuteur.
Il questionne toutefois l’approche adoptée par le MMVI pour l’exposition: « est-ce que le commissaire va jouer le jeu des trois chemins ? Est-ce que l’accrochage sera à la hauteur d’une mise en visibilité de ses trois expressions ? Est-ce que le travail derrière cette exposition est en mesure de détecter les affinités entre les trois ? »
Au-delà de la polémique, ces trois peintres ont réussi à se frayer, dès les années 60, des chemins intéressants dans une scène artistique essentiellement masculine. Chaïbia a réussi à se faire admirablement remarquer à l’international et dans le temps. Radia Bent Lhoucine et Fatima Hassan El Ferrouj un peu moins, mais au final, ça ne change pas grand-chose pour les visiteurs. Les yeux rivés sur la cote des artistes qu’ils commercialisent, les marchands d’art ont en revanche des millions de dirhams de raisons de s’indigner.
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