Mohamed Boussaid, itinéraire d'un ingénieur ambitieux devenu argentier déchu

Le limogeage de Mohamed Boussaid par le roi le 1er août a créé la surprise. Retour sur le parcours de ce fils d'ouvrier devenu « Haut commis de l'Etat » plusieurs fois ministre, et dont la carrière a été propulsée par Meziane Belfkih.

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Tniouni/TelQuel

Je suis un soldat de Sa Majesté». C’est ainsi, nous confie un de ses proches, que se définissait Mohamed Boussaid, limogé par Mohammed VI le 1er août. La raison de sa révocation ? Le communiqué du cabinet royal, relayé par la MAP, n’en donne aucune. Tout juste indique-t-il que «cette décision royale intervient dans le cadre du principe de reddition des comptes que le roi est soucieux d’appliquer à tous les responsables, quels que soient leur rang ou leur appartenance».

Un flou qui ouvre la voie à toutes les spéculations. Ainsi a-t-on pu lire que la sanction viserait le RNI, thèse que justifierait l’allusion à l’appartenance du haut responsable. «Le communiqué du cabinet royal aurait bien pu annoncer son limogeage sans faire référence à son appartenance politique», nous dit un expert en communication. Les rumeurs, nombreuses et contradictoires, évoquent aussi son rôle dans certains retards pris dans la réalisation des projets d’Al Hoceima Manarate Al Moutawassit, le rapport de Bank Al Maghrib, ou encore celui de la Cour des comptes, présentés au roi le 29 juillet.

D’autres lient son limogeage à sa décision d’exonérer les cessions d’entreprises ou d’actions de la taxe d’enregistrement. Une mesure qui représente un manque à gagner pour le trésor de 400 millions de dirhams dans l’opération de cession du pôle assurance du groupe Saham, appartenant à son collègue Moulay Hafid Elalamy, au groupe sud-africain Sanlam.

Le cafouillage est tel que le limogeage du ministre reste entouré de mystères. Interpellé le 2 août à ce sujet, le porte-parole du gouvernement s’est refusé à tout commentaire, se contentant de dire «qu’il n’a rien à rajouter par rapport au communiqué du cabinet royal». Un communiqué lapidaire qui met aux fonctions de l’argentier du gouvernement El Othmani, un ingénieur dont la carrière a été propulsée par Abdelaziz Meziane Belfkih.

Le protégé de Meziane Belfkih

Plusieurs fois ministre, deux fois wali, le haut commis de l’Etat «a été pris de court par la décision royale, comme tout son entourage», nous confie un proche du «soldat de Sa Majesté». «Il a toujours été animé par l’ambition. Il ne se voyait en tout cas pas débarqué de la sorte», poursuit notre source. L’ambition, c’est bien ce qui a permis à ce fils d’ouvrier de gravir au fil du temps les échelons jusqu’au poste d’argentier du Royaume.

Né en 1961 à Fès, de parents modestes, Boussaid fait ses études à l’école publique jusqu’au baccalauréat. Aidé par une bourse, il s’envole pour Paris où il est diplômé en 1986 de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées. Au cours de la même année, le jeune loup revient au bercail, où un poste de cadre l’attend à la Banque commerciale du Maroc (l’actuelle Attijariwafa Bank), alors dirigée par Abdelaziz El Alami.

Ce n’est qu’en 1995 que l’ingénieur commence à côtoyer le monde des ministres. Il est repéré cette année-là par Mohamed Meziane Belfkih, alors ministre des Travaux publics, qui en fait son chef de cabinet. En 1997, Belfkih change de ministère pour prendre les commandes du département de l’Agriculture, de l’Equipement et de l’Environnement, mais ne lâche pas son poulain. C’est le début de l’ascension.

Le ministre de l’Agriculture est nommé conseiller royal par Hassan II en 1998. Boussaid, lui, hérite de la direction des programmes et des études au ministère de l’Équipement, puis celle des établissements publics. En 2004, c’est enfin l’heure de «gloire» pour notre homme, qui se voit confier, par Driss Jettou, le ministère chargé de la Modernisation des secteurs publics. «C’est lui l’artisan du départ volontaire, réduisant le nombre de fonctionnaires de 40.000», se souvient un ancien ministre.

Trois ans plus tard, l’ingénieur est bombardé ministre du Tourisme, secteur alors considéré comme prioritaire par Mohammed VI. Vaisseau amiral de la Vision 2010, le plan Azur qui promet la création de six stations balnéaires en dix ans, chancelle. En 2010, lorsque l’heure du bilan sonne, Mohammed Boussaid est débarqué par Mohammed VI lors d’un remaniement, et cède la place à Yassir Zenagui, aujourd’hui conseiller royal.

La revanche par la politique

«Je me souviens qu’il était dépité, effondré, après son départ du ministère du Tourisme. A partir de là, il se fixait un défi de revenir. C’était une sorte de revanche», nous explique un proche de l’ex-ministre du Tourisme. La revanche viendra par la politique. Comme nombre de technocrates, Boussaid, alors ministre du Tourisme, a jeté son dévolu sur le parti de la colombe en 2008.

«Après être passé par le comité directeur du FUS, Boussaid s’est engagé avec le RNI en 2008. Mais, comme il ne s’est jamais présenté aux élections, c’est avant tout un technocrate», nous dit un poids lourd du parti à la colombe. Certes, Boussaid ne s’est jamais présenté aux élections, mais sa couleur politique lui a permis de côtoyer des personnalités puissantes du parti.

«C’est grâce à Aziz Akhannouch qu’il a pu faire son come-back comme wali à Souss-Massa-Darâa, le fief d’Akhannouch », nous dit un ancien ministre du RNI.

Dans le sud du pays, Boussaid s’attaque à l’habitat insalubre, détruisant notamment plus de 200 habitations illégales construites en pleine plage dans les communes d’Aghroud et de Taddart. L’ancien ministre du Tourisme érige également la relance de ce secteur dans la région au rang de priorité. Il signe dans ce sens le protocole d’accord instaurant l’aménagement de la station touristique de Taghazout.

Après deux ans à la tête de la wilaya de Souss-Massa-Draâ, Mohamed Boussaid est nommé wali du Grand Casablanca et a notamment pour mission de relancer le dialogue avec les élus de la région, interrompu du temps de son prédécesseur, Mohamed Halab. Il occupera cette fonction pendant près d’une année avant de réintégrer le gouvernement.

Un argentier entre réformes et polémiques

Suite à l’élection de Hamid Chabat en tant que secrétaire général de l’Istiqlal, le parti à la balance se retire du gouvernement. Mohamed Boussaid intègre de nouveau l’Exécutif à la faveur du remaniement qui s’ensuit. Il fait partie des sept ministres étiquetés RNI qui intègrent le gouvernement Benkirane II, et hérite du maroquin des finances laissé vide par Nizar Baraka.

Le nouvel argentier du Royaume est alors chargé de poursuivre une série de réformes. La première d’entre elles, mise en place dans le cadre de la loi de finances 2014, est celle de l’amnistie financière qu’il mène aux côtés du patron de l’Office des changes, Jaouad Hamri.

La mesure permet notamment d’alimenter le fonds de cohésion sociale de 2,3 milliards de dirhams, ainsi que le rapatriement de 28 milliards de dirhams de biens, avoirs ou actifs à l’étranger.

Du point de vue des réformes, le premier mandat de Boussaid est également marqué par la démutualisation de la bourse, un projet auquel il prend part aux côtés de Karim Hajji, alors directeur général de la Bourse de Casablanca.

Bien que conduite dans la peine, cette réforme entamée en novembre 2015 finit par se matérialiser en mai 2016. L’actionnariat de la place financière est révisé et les nouvelles prérogatives de l’institution comprennent la structuration des instruments financiers sur le marché boursier et l’enrichissement continu de l’offre de produits et services. La réforme ne répond toutefois pas à la problématique de la faiblesse des échanges sur la place casablancaise. Last but not least, Mohamed Boussaid a également préparé l’entrée des banques participatives sur le marché marocain qui finira par se concrétiser lors des premières heures de son second mandat.

Le nom de Boussaid est également associé à la polémique, qui éclate à la fin de l’année 2015 et qui entoure l’attribution du Fonds de développement rural. Certains, comme l’éditorialiste Taoufik Bouachrine, accusent le désormais ex-ministre des Finances d’avoir subrepticement retiré au chef du gouvernement (Abdelilah Benkirane à l’époque) ses prérogatives d’ordonnateur dudit fonds au profit de son collègue de l’Agriculture, Aziz Akhannouch. Une accusation qui fera la Une des médias, et pour laquelle le directeur d’Akahbar Al Yaoum sera condamné au mois de février 2018, suite à une plainte déposée par les deux ministres.

Serviteur reconduit… puis débarqué

A l’aube des législatives de 2016, le nom de Boussaid ressurgit dans une nouvelle polémique: celle des «terrains des  serviteurs de l’Etat». Le ministre des Finances figure dans une liste de hauts cadres ayant bénéficié de titres fonciers octroyés entre 1998 et 2007. Dans le lot, Boussaid a acquis un terrain d’une superficie de 3.181m² pour un montant avoisinant le million de dirhams.

Il qualifie alors cette polémique de «campagne électorale prématurée visant à engranger des gains électoralistes étriqués sous prétexte de mettre en œuvre les règles de la bonne gouvernance». Une accusation visant indirectement le PJD alors soupçonné d’avoir fait fuiter cette liste. Cela ne l’empêche pas pour autant de reprendre le maroquin des finances suite à la victoire du PJD lors des élections législatives de 2016, et à l’issue d’un blocage gouvernemental long de six mois.

A l’aube de son deuxième mandat, l’argentier du Royaume prépare, aux côtés du wali de Bank Al Maghrib Abdellatif Jouahri, une nouvelle réforme:  celle du régime de change du dirham.Celle-ci est annoncée en janvier 2017, mais ne se conclura qu’un an plus tard, en raison notamment d’une forte spéculation des entreprises sur une dévaluation du dirham.

L’année 2017 est aussi celle du séisme politique qui conduira au débarquement de trois ministres. La synthèse du  rapport de la Cour des comptes sur les défaillances du plan Al Hoceima Manarat Al Moutawassit pointe le manque de concertation entre le département de Mohamed Boussaid, celui de l’Intérieur et les conseils bénéficiaires des fonds destinés à ce projet. Mohammed Hassad (Education, ex-Intérieur) , El Houcine Louardi (Santé), et Nabil Benabdallah (Urbanisme) sont limogés. L’argentier du Royaume est pourtant épargné.

Une décision qu’une source au gouvernement attribue au fait que ce sont le ministère de l’Intérieur et la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima qui étaient chargés de mener le projet. Quelques mois plus tard, Mohamed Boussaid est lui aussi déchu de ses fonctions au motif de la «reddition des comptes».

Auparavant il se distingue par son silence suite à une sortie controversée durant laquelle il avait qualifié les boycotteurs d’ «étourdis», mdawikh,  afin de défendre le patron de son parti, Aziz Akhannouch, dont l’entreprise Afriquia est visée par la campagne lancée fin avril. Une sortie mal accueillie par l’opinion publique et suite à laquelle Boussaid s’était engagé à «ne plus parler» selon l’un de ses proches.

 

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